Ahhhh c’était beau l’innocence ! Il allait pouvoir lui apprendre la vie, au petit Karah ! Ce que c’était de profiter un peu ! Le blondinet s’y croyait vraiment, c’était désespérant.

Seulement plus le discours de son compagnon avançait, plus l’éternel sourire enjôleur de notre protagoniste laissait place à une moue boudeuse. Bien sûr qu’il avait déjà été amoureux, enfin ! De… euh… Bah son premier copain déjà ! C’était l’amour fou ! La pasión, avec un vrai accent espagnol et un mouvement significatif de la main ! Bon, ça n’avait pas très bien fini, étant donné que la relation s’était achevée en une véritable guerre froide à coup de rumeurs et de coups bas, mais c’était de l’amour quand même ! L’amour n’était qu’à deux pas de la haine, de toute façon, c’était bien connu !
Puis pleins d’autres, enfin ! Comme euh… Ce type là, qu’il avait rencontré en soirée ! Ouais, avec lui ça avait été court, mais intense ! Une partie de jambe en l’air comme on n’en fait plus !
En y réfléchissants, on pouvait même dire qu’il y avait été un peu amoureux de chaque personne avec qui il avait eu une aventure, non ?
Et puis, ça ne lui correspondait pas, ce grand idéal où le prince charmant vient soudainement te montrer l’amour avec un grand A et il vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfant ! Et poour être franchement honnête, il n’y croyait pas beaucoup non plus ! Il en connaissait suffisament, des idéalistes qui finissait déçus parce que « c’était pas comme j’imaginais » Très peu pour lui !

Il profitait, c’était suffisant. Pourquoi diable se « blesserait-il » pffff. Encore une preuve du lavage de cerveau de ce pauvre Karah par des adultes qui se berçaient d’illusions !

Par contre, il était très fier de lui.  Il semblait vraiment y avoir des choses entre Karah et son meilleur ami ! Mais c’était sûr en fait ! Rah vraiment, il avait un don pour spotter les tensions amoureuses et sexuelles ! Au loups garou, il aurait dû être cupidon ! Remarque, ça avait été drôle avec Aiden ! La bromance avait gagnée ! N’était-ce pas là une preuve que l’amour était volage, quand l’amitié, elle, gagnait à coup sûr ?

Le blondinet se rejeta en arrière et croisa les bras, fixant le ciel avec une mine outrageusement mitigée.

-Meeeeeh. J’crois pas au grand amour. On finit toujours déçu ! Navré de te décevoir, mais ce n’est pas possible d’avoir quelqu’un de parfait pour nous ! C’est scientifiquement prouvé ! Je me brûlerais les ailes si je cherchais le grand amour justement ! Là, tu vois, je me préserves ! CQFD !

Une nouvelle étincelle de jeu parut dans ses yeux, alors qu’il se redressait de nouveau et se tournait vers Karah.

-Mais si je comprends bien, tu as une touche ! C’est bien ça ! C’est le début du succès !

Probablement pas que le début, d’ailleurs, vu le joli minois du tailleur. La malice dans les yeux rouges de Chris s’accentua.

-Aaaah mon cher Karah, tu es si naïf. Dans le lit, on peut faire toute sortes de choses, et c’est généralement des choses pas très catholique, si tu vois ce que je veux dire.  

Non Chris, il n’y avait aucun moyen que Karah sache de quoi tu parlais. Il n’avait probablement aucune idée de ce qu’était un catholique.
Chris, lui, en était plutôt à se demander si Karah savait ce que c’était de coucher avec quelqu’un tout court !

-Tu vois, quand deux personnes (ou plus) s’apprécient très fort, elles ont des envie qui montent et elle font des câlins tout nus dans un lit et si elles se protègent pas et sont de sexe opposé c’est généralement ce moment où on fait des bébés et-

Tout le long de son discours, il guettait les réactions avec un haussement de sourcil pour voir si son compagnon suivait ou non.

-Tu vois de quoi je parles, mon berlingot ?  

Il plissa les yeux, une parodie de voix suave sortant de sa bouche.

-Tu veux que je te m-

A ce moment précis, un fruit inconnu lui tomba sur le coin de la tête, lui arrachant un couinement. Se frottant frénétiquement la tête, le blondinet fusilla du regard l’arbre responsable du projectile.

Sous ses doigts fins, le blondinet finit par sentir une bosse. Maudit arbre fruitier ! Il en était où ? Il ne se souvenait même plus, avec une telle interruption. Puis il fallait avouer qu’il était tard, les petits neurones fonctionnaient difficilement à cette heure là de la journée. (Déjà qu’ils fonctionnaient difficilement de base...)

Quand la question fut posée, il expliqua effectivement ce qu’étaient les catholiques : une religion répandue sur l’île d’où il venaient, qui n’aimaient pas trop les garçons qui avaient des sentiments pour des garçons, le filles qui avaient des sentiments pour les filles, et les gens qui se laissaient vivre en général. Ce fut la parfaite opportunité pour expliquer la signification d’avoir « un balais dans le cul »

Puis vint le vif du sujet.

Oh oh ! A en juger sa réaction, Chris avait vu juste ! Le petit Karah n’avait pas connaissance des plaisirs de la chair. Et bien mes amis, ça allait être l’heure du cours d’éducation sexuelle !

Il plissa les yeux en direction du bout de mangue que lui tendait son compagnon, le dévisageant avec suspiscion (pour peut qu’on puisse dévisager un fruit) Seulement il finit par se dire que non seulement ça le nourrirait, mais en plus, ça constituerais la meilleure des vengeances pour l’affront. Alors en haussant les épaules, il se saisit du bout juteux et se le calla dans le bec.

-Merchi.

Il machouilla en réflechissant. Comment expliquer le sexe de manière simple ? Ça lui parraissait tellement évident que c’était compliqué à décrire.

-Beh en gros, commença-t-il la bouche pleine, avant de déglutir et de s’essuyer la bouche de sa main, ça t’es jamais arrivé d’avoir des envies étranges pour un garçon ou une fille que t’aimais bien ? Genre que ça devienne un peu dur à ce niveau-là ?

Il désigna son propre entre-jambe.

Que tu te sentes excité par quelqu’un en gros.

Comme quoi, quand il s’agissait de sujet qui l’intéressait, Chris était capable d’être pédagogue.
Mais tout de même, s’était compliqué. Il choisissait avec soin ses mots, se grattant la tête en faisant la moue.

-Ou alors, ça t’es jamais arrivé de te « faire du bien tout seul » ? De t’astiquer le manche, en gros ?

Ouais. Chris n’avait aucune shame. C’était carrément indécent.

-Bah tout le monde a ça, et c’est pas cool que personne t’ai expliqué que c’était normal. Ça s’appelle du désir sexuel. C’est la trique quoi, pas de quoi fouetter un chat. .

Il reprit un morceau du fruit (meurt, fruit du démons !), cherchant toujours. Etonnement compte tenu du sujet, il parlait de la chose de manière très cartézienne.

-Bah quand deux personnes ressentent ça l’une pour l’autre, elle peuvent… Comment dire… Se soulager à deux ? Genre… Arf…

Ouep, ça devenait complicado.

-T’as vraiment jamais vu deux lémuriens monter l’un sur l’autre et faire des mouvements de bassin frénétiques ? Ou deux lapins ? Vous avez des lapins ici ?

Nouveau morceau dans la bouche.

-Bref, ils font cha par inchtinct, parce que cha permet de che reproduire. Mais nous, les humains, on le fait juchte pour che faire du bien à deux, quoi, déclara-t-il la bouche pleine.

Il avala de nouveau, avec difficulté cette fois.

-Mais c’est pas gênant du tout. C’est même sympa de voir un autre aspect de la personne ! C’est naturel !

-Aaaaaaaah, on arrive à la question intéressante !

Le blondinet se redressa tout fier, tel le précepteur qu’il était (ou plutôt qu’il pensait être)

-Mon chaton, laisse-moi te parler du consentement !

Avalant son dernier bout de fruit, dont le pêché avait été subitement oublié, Chris se racla théâtralement la gorge.

-Les animaux se prennent pas la tête avec ça, donc souvent, ça arrive qu’un des deux partenaires ne soit pas d’accord et ce n’est…

Il fit une croix de ses deux bras avec un air outrageusement dramatique.

-PAS COOL DU TOUT ! Comme je te disais, le sexe, c’est à deux ! Sinon, ce n’est en rien « plaisant », comme tu dis. Donc faut être sûr que tout le monde est d’accord ! Quand au fait de savoir si tout le monde est d’accord…

Disclaimer : Toute la description qui suit est donné par notre protagoniste, et donc par un gros loozer. Veuillez ne pas prendre au sérieux ce qu’il dira. Nous rappellons à l’audience que les quatres règles du consentement sont les suivantes : le consentement doit être explicite, reconductible (on peut le retirer), libre (on ne peut forcer à être consentant) et éclairé (on ne peut-être consentant si l’on n’est pas dans un état mental ou physique qui le permet, par exemple en ayant pris des substances)
En nous excusant d’avance de toute la désinformation qui va suivre.

-Et bien, ça vient tout seul ! Généralement, y a des signes qui ne trompent pas. L’attraction mutuelle, ça se sent !

Chris… Est-ce que tu as écouté un traitre mot de ce que je viens de dire à l’audiance ?

-Exactement comme n-

Heureusement, un gros rongeur qui passait par là s’énerva de voir un humain agiter ses bras devant lui et lui planta ses chicots dans la main. Ramenant brusquement ladite main à lui avec un couinement, l’étudiant raté constata une marque rouge sur le côté droit, mais nulle trace de ce qui pouvait en être l’auteur.

-Bizarre. J’ai dû raffler un buisson d’épine en m’agitant. Bref, qu’est-ce que je disais déjà, moi…

Allez Chris ! Il était temps d’apprendre à ce pauvre Karah quelque chose d’un peu plus pertinent que ce que tu avais l’habitude de faire. C’était important là !

-Ah oui ! Au pire, si t’es pas sûr, ça coûte rien de demander ! Et si jamais t’as peur de casser le mood, tu peux prendre une voix suave pour demander...

Il entreprit de prendre ladite voix suave. Aussi convaincu qu’il l’était d’être irrésistible, Chris ne se rendit pas compte que le résultat n’avait absolument rien de séduisant.

-Un peu comme ça.

Ce gosse me fatigue.

-Et pour ce qui est de se sentir prêt… reprit-il avec sa voix normale, pour peu qu’on puisse qualifier le ton de Chris de « normal », au début, j’avoue que ça peut être un peu angoissant ! Même moi, qui voulait perdre ma virginité au plus vite, j’ai flippé un peu sur le coup !

Le garçon rejeta un peu son buste en arrière, s’appuyant sur ses bras. Il sonda un peu ses propres souvenirs, les yeux perdus dans le ciel. Flippant, oui, mais dans son cas, il n’avait pas flippé longtemps.

-Faut vraiment pas trop se prendre la tête. Au final, c’est pas un aussi gros deal que ce que l’on pense. C’est un peu comme quand tu discutes avec un ami tu vois ? Sauf que vous discutez avec vos corps, et que ça fait vachement de bien.

Merde. Ça y est. Il avait envie de ken. Fallait qu’il pense à autre chose.

-Mais tu me demandais si c’était normal. De quoi ? La sexualité ? C’est on ne peut plus normal, tout le monde est concerné, à l’exception des asexuels. M’enfin, ceux-là, il font rien comme tout le monde. J’étais tombé sur un type qui s’était finalement avéré asexuel une fois. La grosse déception. Quel dommage.

Ce qui était vraiment dommage, c’était la connerie de Chris. Mais bon, pour le coup, c’était pas nouveau.

C’est ainsi que Karah avoua le fond de sa pensée. Sur sa vision de la chose, sur celle des autres, sur eux deux.
Et ainsi, toute la tension sexuelle disparut d’un coup.

La nouvelle s’abattit brutalement sur Chris, qui s’effondra comme une héroïne de shojo qui vient de découvrir que sa meilleure amie sort avec son crush. Les jambes délicatement ramenées sur son côté, appuyé sur un bras, il ramena son poing à son cœur, alors qu’il tournait son visage vers le sol pour dissimuler ses larmes à son compagnon. Un filet d’énergie noir s’échappait de tout son corps, alors que sa respiration se faisait fébrile.

Pas de sexe avec Karah.
Pas de sexe du tout.

-Je… Je vois. Je comprends, hoqueta-t-il.

C’était dur, que dis-je dur, c’était la plus lourde des TRAGÉDIES. Triste vie que celle choisie du destin ! N’était-il donc destiné qu’à souffrir ? Qui était le perfide dieu qui prenait tant plaisir à le torturer ? Ô cruel destinée. Mais même si cela était difficile, il se devait d’avancer ! Pour Karah ! Il l’avait dit lui même, le sexe, c’était à deux. Il se devait de montrer l’exemple !
Alors, séchant les petits diamants qui perlaient de ses yeux, le blondinet se redressa brusquement, pris d’un regain d’énergie. Serrant son cœur dans sa main, il présenta son poing et ses yeux brillants au ciel, se faisant la promesse muette qu’il protégerait ce cœur pur, en dépit de la souffrance et de la frustration.

Quelle drama queen, sérieux.

Revigoré, le blondinet se tourna vivement vers son compagnon, comme si rien ne s’était passé. Avec un sourire confiant, de petites étincelles brillant autour de lui, il adressa un pouce en l’air à son compagnon.

-PAS DE SOUCIS, MON BERLINGO ! Tu vas à ton rythme ! Le sexe, ça ne doit pas être une obligation, ça doit venir du coeur ! Ce que les autres disent, on s’en fiche ! Tu es le seul qui peut savoir ce qui est bon pour toi !

Déni, colère, négociation, dépression et guérison. Il me les faisait à chaque fois qu’on lui mettait un rateau.

-Et puis si ça se trouve, tu es juste asexuel ! Ça veut dire que ça ne t’intéresse pas plus que ça ! Et c’est ok ! Tu fais ce que tu veux ! C’est ça, la vraie vie !

Dixit celui qui disait un peu plus tôt que l’asexualité, c’était dommage.
Soudain, le garçon prit une Jojo pose dramatique.

-Mais si jamais tu changes d’avis…

Avec une gestuelle digne d’un protagoniste de japanimation, Chris Russell présenta son meilleur sourire de vendeur de produit vaisselle, finger guns en avant.

-Tu peux toujours me demand-

BOOM ! Une bourrasque avait choisi ce moment-là pour s’élever, projetant une bûche (u-une buche ?!) sur le visage de Chris. Son nez se mit à saigner (pour une raison extérieure à lui-même, pour une fois) Seulement, tout habitué qu’il l’était, il se calla automatiquement dans chacune de ses narines un bout du mouchoir usagé qu’il avait dans sa poche depuis deux mois.
Un sourire radieux étira ses lèvres, plus franc cette fois.

-Comme tu l’as dit, profitons de la fin de ce voyage pour s’amuser ! Ça te tente que je t’apprennes le *insérez ici le nom du jeu*. Il nous faudrait *n* dès ! Tu saurais nous fabriquer des dés en taillant rapidement du bois ? Ça ressemble à un cube avec-

Et ça y est, la tempête était passée. Chris était revenu à son naturel Chrisesque.

***
Soudain, le blondinet ouvrit les yeux. Il pouvait entendre la respiration régulière et profonde de Karah tout prêt de lui. Le feu ne s’était pas complètement éteint, baignant leur campement de fortune d’une lueur tamisée. Ne pouvant plus se retenir, il se leva d’un bond et alla discrètement (du moins essaya-t-il) s’enfoncer entre les arbres, tâtonnant dans la pénombre.

Ziiip. Bruit de fermeture éclair que l’on ouvre, suivi d’un jet d’eau s’écoulant sur le sol. Avec un soupir de soulagement, le voyageur encore à moitié dans les vapes se mis à chantonner doucement, alors qu’il soulageait sa vessie contre un arbre. Maintenant qu’il s’y était fait, l’obscurité ne semblait plus si profonde que ça. Les rayons de la lune passaient au travers des feuillages, éclairant légèrement les environs. Pourtant, il ne remarqua la présence de l’individu qu’à l’instant où celui-ci fit craquer une branche à deux mètres de lui.

Encore dans les choux, immobilisé et son engin dehors, Chris avisa l’homme qui venait de le surprendre, son expression ahurie faisant écho à celle de l’inconnue. Gardant toujours son sens des priorités, le blondinet eut quand même le temps de se dire que ces deux nattes, cette petite couette et ce visage anguleux étaient super sexy, alors qu’il se prenait un coup qui le ferait basculer dans l’inconscience.

Le lendemain matin, il ne restait plus du voyageur que son kimono bleu près de l’arbre qu’il avait arrosé durant la nuit.