Dès lors qu’il se retrouva serré contre lui, Chris lui frotta doucement le dos du garçon. Des fois, la meilleure chose dont on avait besoin, c’était d’un gros câlin.
D’une certaine manière, Karah lui rappelait un peu ce qu’il avait pu être, au collège et au début du lycée. Sauf que lui, il n’avait eu personne pour lui dire que ses parents étaient dans le tort. Il avait compris tout seul que ses vieux n’étaient pas les êtres à la parole suprême dont il avait toujours cherché l’approbation, sans jamais l’obtenir.
Il avait compris que ses vieux étaient juste des connards.

Du coup, de sentir que Karah lâchait peu à peu cette illusion qu’il avait lui aussi de son père, et ce grâce à lui, ça le rendait super fier. Pire, ça donnait du sens à ce qu’il faisait. A ses habitudes. A ses beaux discours. A toutes ses conneries, aussi. Et au fait qu’il ait été mis à la porte par ses propres parents.

Leur étreinte rompue, il avisa son guide une mine un peu désolée.

-Karah.

Il posa sa main sur la chevelure du garçon et lui offrit un sourire étincelant, un brin moqueur.

-Excuses-toi encore une fois et je t'attache à un arbre !

Erf. Ça lui donnait des idées vraiment pas cools, cette menace !
...
Chris...
Non.

Il rit de bon cœur avant de lui adresser un clin d’oeil, refoulant ses fantasmes dans un coin de sa tête.

-Je blague, bien sûr ! Mais vraiment, ne t’excuse jamais pour ce que tu es et ce que tu fais, chaton. Tu es parfait comme ça ! Surprotéger les gens, ça ne rend pas service. Si ton Papa voulait vraiment ton bien, il te laisserait explorer et faire des erreurs. Comment tu pourrais apprendre la vie, sinon ?

Il se releva, pointant théâtralement son ami du doigt, avec une intensité digne de ces discours inspirants que l’on pouvait voir dans les films d’action.

-Il n’y a que toi pour décider si ce que tu fais est bien ou pas !!

En tout cas, quand il avait posé la question, il n’imaginait absolument pas que la conversation deviendrait aussi deep. Même si ça faisait besoin là, c’était quand même rare que Chris joue le psychologue. Donc là, il était l’heure de revenir à une méthode de réconfort un peu plus commune pour le blondinet.
Faire oublier les problèmes !

-Bon, assez parlé ! Hier on a chanté, mais je ne t’ai pas appris les danses de mon pays !

Il se pencha et prit la main de Karah, le tirant vers lui pour l’inciter à se relever.

-Est-ce que tu connais la valse ? C’est marrant à faire, je vais te montrer !

Le blondinet se mit à chantonner une mélodie à trois temps, interrompue par quelques explications de temps à autre.
Un deux trois. Un deux trois. Un deux trois.

Une main posée sur la taille de Karah, l’autre main dans la sienne, le garçon continua de guider son ami avec son éternel sourire joueur. Il riait quand les pieds de Karah marchaient sur les siens, donnait des explications si besoin, saluait la prouesse avec entrain quand le jeune natif ajoutait des paroles à sa mélodie improvisée.

Avoir Karah prêt de lui, qui semblait s’amuser comme un fou, sentir sa main dans la sienne, ce n’était clairement pas déplaisant ! En plus, il lui avait de nouveau fait le coup du baiser sur la joue ! Clairement, là, ça devenait compliqué pour le blondinet. Ça lui rappelait d’ailleurs une chanson tirée d’il ne savait plus quel dessin animé. Un disney probablement : la princesse dansait la valse avec le love interest sur un bateau. De ce qu’il s’en souvenait, leur pote les regardait un peu paniqué, en se disant « merde, j’aurais jamais dû leur faire danser la valse. C’est comme ça qu’une femme et un homme tombent amoureux ! » Des conneries, bien sûr. Déjà, pourquoi spécifiquement un homme et une femme, et ensuite, d’où il suffit d’une danse pour tomber amoureux ? Cependant, maintenant qu’il y était, il pouvait comprendre un peu mieux l’idée. La danse, ça rapprochait, mine de rien ! Diable, mais quel était ce film, déjà ?!

-Après, la valse, c’est seulement un type de danse,  continua-t-il. Mais on en a plein d’autres ! Par exemple, on a le rock !  

Et il fit tournoyer Karah sur lui-même, étira leur bras, et s’enroula pour se retrouver contre lui. De nouveau, il s’éloigna en déroulant leurs bras et fit tourner le natif dans la foulée.

-La salsa !  

Et il lui expliqua de la même manière la base du mambo, fredonnant une petite musique improvisée.
Puis il laissa à Karah le loisir de montrer les propres danses de son île. Ils chantèrent encore les mélodies de la veille qu’ils avaient retenue de l’un et de l’autre.

Chris finit par lui raconter de nouveau comment il s’était incrusté avec Aiden aux cours de l’école de danse à côté de leur fac, quand il faisait encore de l’art dramatique. Il explicitait les termes inconnus, impliquait Karah en lui posant des questions « Et devine ce que j’ai fait pour qu’il ne me reconnaisse pas, le cours suivant ! » Certes, il se pouvait qu’il ait un peu romancé le tout, pour rendre l’histoire plus excitante. Mais ça, Karah n’avait pas besoin de le savoir !
Évidemment, la fin de l’histoire n’était pas très étonnante : lui et Aiden s'étaient fait interdire l’accès à l’école. Mais mine de rien, il y avait participé pendant une semaine, à ces cours de danse ! Est-ce qu’il en avait retenu quelque chose ? Absolument pas ! Parce que bon, on parlait quand même de Chris et Aiden.

Fort d’une journée entière à marcher et d’au moins une demi-heure de danse endiablée, Chris sentait que ça commençait à piquer dessous les yeux ! Mais il n’avait pas envie de dormir ! Il voulait profiter au maximum de cette soirée avec Karah !

Au final, ils s’étaient retrouvés assis, main dans la main.

…

Noooooooon Chris ! C’est non.

-Naaaan, j’suis pas fatigué ! Le sommeil c’est surfait de toute façon ! Et j’ai envie de passer du temps avec toi !  

Petit clin d'œil à la Chris. Oui, il pourrait dormir pendant une semaine entière quand il arriverait à la capitale. Mais ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait passer la soirée en forêt en bonne compagnie !

Honnêtement, Chris avait toujours détesté le concept de « dormir ». En cours, oui, pourquoi pas. Après tout, il n’avait rien de mieux à faire (et c’était surtout qu’il n’avait généralement pas dormi la nuit d’avant) Mais le soir ! C’était là où l’on s’amusait le plus ! Pourquoi devoir tout arrêter juste pour s’allonger sur un matelas et ne plus pouvoir rien faire que des rêves chelous pendant au moins six heures !
Chris avait donc décrété qu’il n’avait pas besoin de sommeil. Un point c’est tout.

-Mais un peu, qu’Aiden est cool ! C’est pas mon meilleur pote pour rien ! Si je le retrouve, avec le reste des voyageurs, je te le présenterai ! Il est tellement con, mais qu’est-ce qu’il est drôle ! Par contre, il est mignon comme tout, mais c’est un désastre quand il s’agit de péchos des filles ! Mais bon, ça aussi, ça fait partie des côtés drôles ! Rah, je pourrais passer une semaine juste à te raconter toutes les conneries qu’on a faites ensembles ! Puis y a pas que lui, parmi les naufragés ! Y a Esteban, le quarantenaire sexy à moustache ! Ali, ma future coloc riche ! Ma petite Ana, qu’est mignonne mais pas le couteau le plus affûté du tiroir. Et j’en passe ! Si on les retrouve, je te présenterais à tout le monde, si tu veux !  

Tout en décrivant ses amis, le blond accompagnait ses paroles de gestes théâtraux. Il finit sur le dos, jouant avec les baies du buisson juste à côté de lui.

-Et toi, chaton ? T’as un meilleur pote ? Une meilleure pote ? Des potes ? Un ou une petite amie ?  

Sa main n’avait pas quitté celle du natif.

-Oulah ! Oui, j’ai un taaaaaas d’amoureux ! J’suis un Prince après tout, héhé ! Je dois commencer à leur manquer pas mal, ça fait un moment que notre bateau a fait naufrage !

Dépendait ce qu’on qualifiait d’amoureux. Question relations stables, Chris en était plutôt au point mort, mais côté amants pas nets délaissés qui ne demandaient qu’à lui péter les rotules, là oui, notre protagoniste en avait une sacrée collection.
Mais bon, c’était pareil non ? Puis il avait une réputation de Prince à tenir, pardi !
L’étudiant roula vivement sur le ventre, plantant son menton dans sa main libre avec une lueur jouasse dans le regard.

-Sinoooooon…. Phanna hein ? Tu es sûr que c’est juste ton meilleur ami ? demanda le blondinet d’un air taquin.

Un forceur. Ce gosse était un gros forceur. Mais bon, à ce stade-là, était-ce vraiment étonnant de le voir ainsi jouer les fouineurs relou ?

-Oooooooh ! fit le blond d’un air outrageusement interessé quand il apprit pour le baiser.

… Il y avait clairement des baffes qui se perdaient. Cependant, le blondinet n’en était pas moins fier de lui. Evidemment, qu’il y avait des bails avec ce fameux meilleur ami ! Il l’avait tout de suite senti. Il avait le flair pour ce genre de chose, héhé !

N’empêche, la question était légitime.

Qu’est-ce que c’était, un couple ? C’était une bonne question, tient !
Pour Chris, un couple, c’était chiant. C’était son père et sa mère qui avaient décidé de renoncer à tout ce qui pouvait être fun pour se marier à 25 ans, avant de faire un gosse à 27 et qui filaient maintenant un train de vie incroyablement chiant en se morfondant sur pourquoi ils avaient raté leur fils.

Et sur l’autre question, NOOOOOOON Karah n’était pas du tout naïf voyons ! La preuve, il n’avait pas du tout cru aux mensonges de Chris sur le fait qu’il était un pr- BIEN SÛR QUE KARAH ÉTAIT NAÏF, JESUS ! Mais dieu, c’était bien ça qui faisait son charme ! Pour l’étudiant râté, les gens innocents étaient ses préférés ! Bah oui, comment ils pouvaient les convaincre d’adhérer à ses conneries, sinon ? Puis avec Karah, il se sentait comme un mentor, un maître de vie, un moine bouddhiste plein de sagesse qui le guidait sur cette voie pleine de remous qu’était la vie.
Ouaiiiiis, Chris était vraiment un poète, quand il s’y mettait!

-Mais non enfin, que t’as pas l’air d’un idiot ! Il te manque juste un tout petit peu d’expérience, voilà tout ! C’est pour ça que c’est si important que tu arrêtes de te laisser brider par ton père et que tu croques la vie à pleine dent !

L’américain plaça sa main sur son torse, avec l’air d’un génie qui vient d’inventer l’eau chaude.

-Un peu, que tu peux être content ! On peut dire que tu es bien tombé, avec moi ! Tu me guides dans la forêt, et je te guide dans la vie, c’est-y pas beau ?

Il se redressa, pointant son doigt vers le ciel. Le génie qui venait d’inventer l’eau chaude se devait maintenant d’expliquer pourquoi il était un génie à son audience.

-Et d’ailleurs, voici une nouvelle leçon de vie garantie par Chris Russell, rien que pour toi. Ça répond à ta question, hein, je la sors pas de nulle part, me remercie pas, c’est cadeau : Un couple, c’est un contrat foireux où tu t’engages à fusionner ta personnalité, tes passe-temps, bref, toute ta vie avec ceux de ton partenaire ! Autrement dit, c’est ULTRA NAZE pour ton intégrité ! Là, ce que t’as fait avec ton meilleur pote, j’appelle ça « profiter de la vie sans se prendre la tête » et c’est ÇA qu’il faut faire ! Pas besoin de t’embêter avec des étiquettes. Moi ce que je fais dans ces cas-là, c’est que je dis que c’est « un ami avec un bonus ». expliqua-t-il en accompagnant ses paroles de grands gestes théâtraux.

Autant dire que Chris avait majoritairement des « amis avec un bonus. » Merci pour le conseil, Chris, vraiment. Un véritable modèle de vie.

Une petite étincelle traversa les yeux du blondinet, alors qu’il s’approchait avec avidité du jeune Karah, pointant vers lui un doigt mi-joueur, mi-accusateur. Ce rouge sur les joues de Karah ne trompait personne !

-Mais ne change pas de sujet ! Ce qui est vraiment intéressant, c’est ce que tu ressens TOI ! Après tout, vous vous êtes embrassés, ce n’est pas rieeeen ! Avoue, t’aimerais bien le mettre dans ton lit, le père Phanna !

Non Chris, tout le monde n’était pas comme toi.