Avait-il perdu la tête ? Il fallait croire que oui. Seuls les fous refaisaient encore et encore la même chose en espérant obtenir un résultat différent. Quelle sorte d’illusion, de folie, avait pu mener ses pas dans les tombeaux de ses remords passés ? Tant de questions auxquelles il n’avait hélas qu’une réponse : la folie.
Il se sentait amer d’avoir atterri dans ce palais, encapuchonné, comme poussé par le hasard qui voulait à tout prix lui remémorer les instants d’une vie heureuse. Pour obtenir ces informations, en quête de la vérité, il n’existait que deux méthodes : la persévérance et l’inconscience. Il avait choisi les deux. Maintenant qu’il avait ce qu’il voulait, Feran quitta expressément l’informateur. Sur le chemin, une vue, presque enchanteresse, l’arrêta. Figé comme une proie qui observe le chasseur. Des motifs sur les murs, ressacs de son ancienne vie qui firent froncer ses sourcils, créant une vague soucieuse au milieu de son front ridé.
Ces tapisseries sur lesquelles dansaient des kyrielles de motifs lui évoquaient bien des souvenirs. L’homme se surprit à sourire à cette pensée : il ressassait. Il avait mieux à faire que de s’ébahir, nostalgique, devant des murs. Sa tâche ici était terminée, plus rien ne le retenait.
Alors qu’il commençait à filer comme une ombre, d’autres arrivèrent en sens inverse. L’homme reconnut des visages, d’autres non : mais ils partaient tous dans une direction similaire, comme guidés par un but. Il pensa d’abord qu’il devait s’agir d’un simple mouvement de foule au palais. Il n’était pas intéressé par ce qu’il s’y passait. C’était sans compter la pensée qui traversa sa membrane. Une idée folle : c’était peut-être l’occasion d’obtenir davantage d’informations. Il était curieux de savoir ce que pouvait donner une co-habitation étrange entre voyageurs et natifs. Mieux observer pour mieux comprendre. Cette troisième méthode - tout juste improvisée - lui plut.
Comme on ne remarquait pas les petites gens, le pêcheur n’eut aucun mal à se faufiler et à suivre une ombre. Il ne reconnut pas cette étrange porte qui n’était pas similaire aux autres ; comme pareille à une osmose qui paraît entre la conscience et le rêve. Il entra, laissant le froid siffler sur sa peau sans frémir. La mer et le sel accommode aux températures les plus cruelles. Plusieurs odeurs taquinèrent ses narines, ainsi que d’autres voix. Quel était cet étrange endroit, pourvu de coussins éventrés, terreux et où trônaient d'étranges objets laissés à l'abandon, rongés par le temps ? Il crut entendre le sifflement aigu des rongeurs, sans en être sûr. Tout paraissait irréel et l'homme se tenait sur ses gardes.
D'ailleurs, cette voix : il la reconnaissait. Il y avait beaucoup d’individus… Et surtout l’autre gamin - comme il aimait bien l’appeler.
Lui aussi avait deviné, de l’oeil, ce qui se tramait ici. Était-ce donc ça, le résultat d’une co-habitation expérimentale entre deux mondes ? Les bougies semblaient leur avoir illuminé l’esprit. Mais Feran était assez croyant pour être curieux de savoir ce qu’il allait se passer. Il salua, par formalité, d’un simple hochement de tête. Il alla s’adosser contre un pan de mur libre, croisant les bras, observant la foule comme un aigle. L’iris calme et le regard plissé, comme pour mieux voir au loin, il croisait parfois celui de Ode dont la présence l’agaçait. Il ne comprenait pas l’objet d’une telle réunion… Mais peut-être qu’il ouïrait et verrait des choses plus intéressantes que prévu.