Convaincu par les dessins, je me repositionnais correctement, assis sur mes genoux cette fois-ci. Le sol était dur, et j’aurai payé pour avoir un coussin. Bon, je pouvais aussi aller m’assoir sur l’un des bancs de la salle ou sur les quelques sièges à disposition, mais les assises conventionnelles n’étaient pas digne de l’artiste que je suis.

- Je vois,je vois, acquiesçais-je, Je comprends mieux l’histoire de ce héros, Ugulu … machin chose. C’était un mec cool quoi. C’est cool aussi que tu acceptes et l’œuvre écrite, et les réinterprétations. Il y a des théatres et des opéras par ici ? Ma mère aime trop les opéras, du coup elle m’y trainait des fois. J’aime pas trop ça, mais je serai curieux de voir à quoi ça ressemble.

Je le comprenais au fond, ce Thudrius. Moi aussi je voulais être reconnu par mes talents de comédien, mais c’est compliqué de percer quand t’es jeune. ‘fin tu vois l’tableau.

- Je te connais pas depuis longtemps, mais j’te trouve vachement sage moi, tu sais ! T’es même la personne la plus sage que j’ai jamais rencontré, après Chris.

Après quelques temps passé dans le palais, j’avais beaucoup appris sur la culture Ijobienne. Et moi, y avait beaucoup de chose qui me passionnaient ici, notamment le côté très nature - même si je détestais les singes, c’est moche et ça pue – qui me permettait de créer des soins cosmétiques. Mais c’était aussi l’occasion d’en savoir plus, alors autant poser les questions à mon professeur :

- J’ai une question, annonçais-je, determiné. Est-ce que vous aimez fabriquer des choses ? Souvent les intellectuels comme vous, et comme moi, cela va sans dire, sont doué pour fabriquer des choses. Moi par exemple, depuis que je suis arrivé sur l’île, je me suis découvert une véritable passion pour les soins cosmétiques à base d’ingrédients naturels.

Prochaine question, je lui demande s’il a un p’tit copain ou une p’tite copine.

OOOOOOOh il avait souri là, non ? Faut dire que j’suis la muse du compliment, moi. Fallait que je lui présente Chris un de ces quatre. Comme ça, si lui et Chris se parlaient, il allait vite devenir un sage, c’est sûr.

Hochant la tête pour ponctuer la réponse de Thudrius, je me satisfaisais de ses propos. Il avait raison après tout. Les intellectuels étaient souvent manuels, c’était un fait. Fallait que je lui file un échantillon de crème hydratante de nuit, vu qu’il faisait des cartes du ciel étoilé, ca voulait surement dire qu’il ne dormait pas beaucoup la nuit. Alors qu’on le savait tous : le secret d’une peau reposée et de la jeunesse éternelle : c’était le sommeil.

- Vous avez un échantillon de votre travail ? Même si vous n’avez qu’un seul exemplaire sur vous, ça me va complètement vous savez ! J’suis pas difficile ! le rassurais-je.

Finalement, ce n’est pas tant sur la culture que je voulais en savoir plus, mais sur lui-même. En soit, si je le connaissais assez, peut-être pourrais-je en savoir plus sur des plantes du coin vu qu’il en connaissait un rayon. D’ailleurs c’était surement la chose qui me serait le plus bénéfique.

- Dites, je pense que je nous ai trouvé un terrain d’entente, tentais-je. Vous faites des remèdes, et moi des soins cosmétiques. Du coup, pensez-vous qu’il serait possible de me partager quelques-uns de vos savoir, surtout en ce qui concerne la flore ici ? Parce que c’est vraiment très différent de chez moi, et même si je reconnais certaines plantes, dont l’aloe verra, l’hibiscus, le cerfeuil ou encore la camomille, je pense qu’il y a plein de plantes dont je ne connais pas le nom et qui pourrais m’être utile. Vous voulez bien m’apprendre quelques trucs.

Yeux de chiots. C’était là mon atout de persuasion. Pourvu qu’il accepte, les plantes, je kiffais trop.  Et puis finalement, j'avais oublié de lui poser la question du petit copain ou de la petite copine.

L’observant déplier la carte, je me rapprochais de lui, le cul toujours par terre.

- Waaaaaaaaaw, lachais-je, alors que la carte apparaissait devant mes yeux. C’est super beau ! Mais j’y comprends que dalle. En gros, tu dessines le ciel tel que tu l’observes depuis là où tu es ?  C’est pas toujours la même chose ? Genre, je sais que la terre tourne autour du Soleil, et que du coup, le ciel change un peu, mais…Enfin, j’imagine que si tu le fais, c’est que t’aimes ça.

J’observais maintenant la fiole. Elle semblait contenir un liquide, et les explications de Thudrius me confirmèrent qu’il s’agissait d’un vrai remède. Trop fort.

- Il sert à quoi du coup ce remède ? demandais-je, en le pointant du doigt.

Il déballa par la suite sur une sorte de nappe beige des plantes. Le millefeuille ? Je connaissais que de nom, mais je ne savais pas vraiment à quoi il pouvait bien servir. Tentant un instant de me creuser mentalement les méninges, j’abandonnais en un soupire. Il avait parlé de l’effet cicatrisant de la plante, c’était donc de toute manière forcément un bon soin, surtout quand la peau est délicate ou facilement agressée par le soleil. Note à moi-même, il fallait que je l’essaye sur quelqu’un.

La deuxième plante par contre, je ne la connaissais pas.

- Le … salami ? répétais-je.Je connais pas du tout. Tu penses qu’elle fait quoi comme effet sur la peau ? Il vaut mieux une application cutanée ou … il vaut mieux l’avaler ?

Merde, j’avais pas pris de carnet pour prendre des notes. J’étais obligé de faire fonctionner un minimum mon cerveau. C’était fatiguant. J’allais bien dormir ce soir.

- Et qu’est ce que vous entendez par « ne pas trop en mettre » ? Parce que ça fait vachement peur quand même. Imaginez, tu te lèves un matin, tu mets ta crème de jour , tu bois un thé. Entre temps, tu oublies que tu as mis votre crème de jour, du coup, tu en remets, et boum, tu meurs ? C’est dangereux quand même…

Maman, j'veux pas mourir

Les explications de Thudrius étaient si claires que j’avais l’impression d’être en terrain connu, de ne pas trop avoir à forcer pour que les informations pénètrent ma tête. C’est comme s’il débloquait un savoir qui avait toujours été là. Je devenais intelligent là ? Mes profs de fac seraient bien étonnés, non, choqués même de voir que j’étais capable de retenir autre chose que les paroles de musiques. Finalement, j’étais pas bête, haha !

- L’amande je connais ! J’en mange avec des yaourts des fois. Je ne savais pas qu’on pouvait en trouver par ici ! On en trouve dans un coin de la forêt ?

Au-delà de l’aspect esthétique, j’aimais beaucoup manger des amandes. Ça calait vite, et c’était pratique à emporter sur soi pour manger discrètement, pendant les cours notamment. J’en glissais souvent une poignée dans mes poches, et hop ! Le tour était joué. L’odeur ne dérangeait personne, pas de bruit de plastique chiffonné qui perturbait le cours, pas de gros bruit désagréable de mastication. Bref, une aubaine ces amandes.

- Je ne connais pas du tout l’Argousier. J’ai une peau très sensible et délicate moi aussi, alors si je peux m’en procurer pour en faire un soin de protection des rayons du soleil, ça m’arrange !

Bronzer pour être viril, j’étais d’accord. Mourir à cause d’un cancer de la peau : c’était non. Nos échanges étaient très enrichissants, finalement, je ne regrettais pas du tout d’être sorti un temps de ma chambre. Ca faisait déjà une bonne heure qu’on discutait là, et je n’avais jamais été concentrée aussi intensément pendant une telle période. Visiblement, Thudrius était un bon professeur, il n’avait pas besoin de s’inquiéter.

Sur l’échange de bon procédé, je lui proposais soudain une activité qui pouvait pimenter notre échange de savoir (J’étais pas particulièrement obligé de partager mon savoir, mais je trouvais l’échange plus équitable ainsi : j’étais tenu d’en apprendre plus sur la culture, et quoi de mieux que de rassembler nos savoirs pour en apprendre davantage ?)

- Professeur Thudrius, et si nous passions à une activité plus manuelle ? Vous avez la peau sensible, et moi aussi… Et si, à l’aide de nos connaissances, nous concoctions un baume de protection solaire ? Jusqu’à présent, les crèmes que j’avais n’étaient pas assez puissante, mais je suis sûr qu’avec votre aide, nous serions capables de créer un baume de protection solaire de haute qualité !

J’étais particulièrement enthousiaste. Motivé même.

Place à l’atelier pratique. J’observais avec précaution les gestes et les ingrédients choisi par professeur Thudrius. Une véritable patte experte. Le choix des ingrédients me paraissait vraiment pertinent, et mis à part l’argousier, j’avais l’habitude de manipuler ces ingrédients. Je m’inquiétais juste de tout faire foirer.

- Ok, annonçais-je en me frottant les mains, et regardant furtivement chacun des ingrédients. Je pense qu’on a de quoi faire. J’avais lu une recette dans un magazine, c’est celle que je suis toujours quand je concocte mes baumes. Après, je change souvent un ou deux ingrédients pour voir le résultat.

Les ingrédients que Thudrius portait sur lui étaient vraiment pile ce que je recherchais. Peut-être devrais je apprendre davantage de lui en lui demandant de me former au métier de guérisseur ? J’lui poserai la question un autre jour.

- L’huile de coco et la cire d’abeille sont, en plus d’être hydratant, de très bon protecteur naturel d’UV. Il nous faudrait aussi de l’oxyde de Zinc, je sais pas comment en obtenir, donc j’en mets jamais, et c’est peut être pour ça que mes baumes ne sont pas assez efficaces… Est-ce que tu sais comment en obtenir ? lui demandais-je, plein d’espoir.

Je me permettais de bouger les ingrédients de Thudrius en les séparant en deux. D’un côté les ingrédients qui nous étaient utiles, et de l’autre ceux qui n’allaient pas nous servir sur ce coup. Naturellement, j’avais placé la cire d’abeille, l’huile de coco ainsi que l’argousier du bon côté.

- Je ne sais pas comment manipuler et transformer l’argousier ? Faut-il le faire chauffer ? Avec l’eau filtré ?

Sur ces mots, j’ajoutais les amandes du côté des ingrédients nécessaires. Il nous fallait de la vitamine E, et quoi de mieux que les amandes.

- Ce n’est pas la partie la plus amusante, mais si tu veux, je peux m’occuper de presser l’amande pour en obtenir l’huile. Ça, je sais faire !

Et c’était vrai. Très sincèrement, quand il s’agissait de faire des produits cosmétiques, j’étais doté soudainement de talent. Faut dire, en plus d’être beau comme un dieu, j’étais gâté par la nature en matière de dons.

J’attendais maintenant les instructions de Thudrius.