Le silence de ma belle demeure était plaisant. D’ordinaire, je suis quelqu’un qui apprécie vivre la nuit pour éviter tous les inconvénients de la vie diurne, c’est-à-dire le soleil, la chaleur et les gens.
Ainsi la journée, je me prélassais tel un chat paresseux, m’étendant de tout mon long, ignorant les bruits à l’extérieur de mon petit palais et maudissant par intermittence de phase lucide les passants extérieurs.
Mais le soir, j’entrais dans ma phase active. Je me hâtais lentement vers mon atelier dans une pièce au rez-de-chaussée, juste à gauche de l’entrée principale, et m’installais confortablement à mon bureau, en bois d’érable, afin d’y tailler minutieusement mes bébés.
Ce soir-là, je commençais par attraper un rubis. Une belle pièce brute, d’environs 2 kilos. Dedans, je pouvais au moins tailler 10 petits rubis, prêts à être vendu aux plus offrants des marchands (mais bon, je n’en espérais pas tant de la part de ces radins). Pour habitude, je faisais filtrer la lumière au travers de la pierre brut pour y comprendre la forme de taille naturelle, et être inspirée.
Les dieux me guideraient-ils dans mon entreprise ?
Pas du tout. J’les entendais pas moi, les dieux. Tout le monde me prenait pour une grande chamane alors que moi, tout ce que je voulais, c’était tailler mes pierres précieuses et être riche.
Petit spam de colère. Je ratais la taille de ma pierre. Je lançais les outils à l’autre bout de la pièce dans un cri de colère (qui ressemblait pour être honnête au jappement du renard, mais personne n’est parfait), et sortais pieds nus, à l’extérieur.
Grande inspiration. J’expirais avec un juron. Il me fallait une source d’inspiration pour ce soir. N’importe quoi. Un arbre. Une flaque d’eau. Un mec bourré qui sort d’un bar. Une chaussure abandonnée avec une chaussette pour lui tenir compagnie. N’im-por-te-quoi, tant que c’était quelque chose.
Je me mettais alors a marcher, un peu au hasard, dans des ruelles que je connaissais bien, d’autres que je connaissais moins bien. Mais rien ne venait frapper de plein fouet mon divin génie. Rien de très palpitant. Alors me rendant sur l’une des places principales d’Oluh, vide à cette heure-ci, je m’allongeais au milieu, en étoile de mer, et lâchais un :
- Mes pieds sont sales maintenant. Bordel, montrez-moi un signe pour une fois, dieux à la noix !
Coïncidence ou pas, il semblait que pour une fois, les dieux m’avaient entendu.
La journée a été longue, très, très, très longue. Il n'a jamais pensé une seule fois que son père pouvait lui raconter autant de merde en une seule journée. Des fois, il a vraiment l'impression qu'il est jamais sorti de chez lui le vieux rouquins là. Sans déconner, comment il peut lui parler de la géométrisation du soleil sur le sol alors qu'il sait même pas si la maison est droite ou carré !? Rien n'a de sens dans ce qu'a dit son père et ça l'a juste fait chier. Donc là, ce soir, il a même pas attendu qu'il soit vraiment tard ni même de se cacher pour sortir. Sa mère a hurlé derrière lui, il l'a totalement ignoré. Son abruti de paternel pourra enfin parler avec quelqu'un d'aussi sourd que lui tiens.
Il attrape une échelle pour monter rapidement sur un toit, souffle avec un léger mal être puis regarde la meute de chat qui ont décidé que ce serait le bon moment de venir le voir. Après tout, il a toujours ce qu'il faut sur lui d'habitude non ? Mais comme si Oruko avait décidé que ce serait le soir où il aurait pas dût sortir, il n'a rien. Il lève les mains pour indiquer aux félins qu'il n'a rien. Étonnement, les trois quarts l'abandonnent là et le reste vient lui chercher des câlins. Il reste bien un quart d'heure à leur donner l'amour qu'il mérite puis se redresse avec peine.
Malgré le fait qu'il soit tôt, que sa coloration commence à laisser voir ses racines et qu'il n'est clairement pas de bonne humeur, il a une tâche à faire pour la déesse de la nuit. Il doit commettre une infraction d'une façon ou d'une autre. Un léger sourire monte sur son visage. Sortant une petite boîte d'un coin du toit, il en sort le neccessaire. Il remet correctement son masque, ses bijoux aux oreilles comme à son cou la clochette. Voilà, tout est prêt. On lui dirait qu'avoir une clochette au cou pour un voleur est l'une des meilleures façons de se faire retrouver... mais il a quand même – et à contre cœur – dût retirer le petit bout de métal à l'intérieur. Ce fut l'un des pires jours de son existence... La clochette ne faisait plus ding ding...
Enfin, peu importe, il redresse sa main de sa clochette et reprend un visage plus concentré. Il saute au sol après avoir descendu quelques l'échelle. Il traverse ensuite l'une des places principales avec pour mission de – oh oh oh ! Coco ! On se calme, regarde sur ta droite... L'autre droite. Il remarque une dame, pas trop vieille allongée sur le sol. Elle a l'air d'être pas mal riche... il pense l'avoir déjà vu quelques parts mais... Mais où ? Franchement, il s'en fout en fait, s'il la vole, il la vole et on sera demain qui c'était. Les nouvelles vont vite !
A pas de chaton, il s'avance vers elle, prend une légère respiration et elle hâpe comme une folle en disant un truc improbable sur les dieux ! Il fronce les sourcils et se met du coup juste à côté d'elle :
« Oui, bonsoir, pour les dieux, Shä à votre écoute bonsoir. » Il la fixe droit dans les yeux. « Problème avec vos pieds M'dame ? Si ce n'est que ça un peu d'eau et ça part. »
Il se redressa de sa position assise juste pour se pencher sur elle et lui faire un léger sourire taquin :
« Puis bon, là c'est pas que les pieds qui vont être sales si vous restez en plein milieu de la place. » Il tend sa main à la dame, et franchement, il espère presque qu'elle lui foute un vent.
Juste histoire de pouvoir la faire chier en râlant dessus. Mais une chose l'intrigue quand même pas mal... Elle est carrément plus riche que ce qu'il avait supposé... et ce visage... putain, elle lui dit vraiment un truc. Une part de lui a tendance à lui hurler de fuir dans le doute, mais son esprit jeune (et con) lui affirme que c'est la bonne idée de rester.
Puis, on verra bien. Ça peut pas être pire que les cours de son géniteur.
La lune était pleine. Comme mes poches avec le succès de la vente de mes pierres précieuses. Pierres que je n’arriverais pas à vendre si je n’étais pas foutu ce soir de tailler un malheureux rubis. La seule chose qui pourrait rendre ma soirée encore plus emmerdante qu’elle ne l’était déjà, c’était de tomber sur un fou ou un alcoolique. Ce qui, à cette heure, était probable.
Ainsi perdue dans mes pensées, je n’entendis pas l’approche d’un individu, personnage secondaire totalement inutile dans ma grande épopée que j’avais appelé « ma vie ». C’est pourquoi lorsqu’il répondit à mes appels rhétoriques, je me relevais d’un bond. Les dieux m’avaient-ils entendu pour une fois ?
Mais je fus déçue. Ce n’était qu’un gamin. Alors je m’affaissais de nouveau lourdement au sol, et lui répondais sans prendre la peine de le regarder.
- Si l’eau pouvait régler mon problème, j’aurais bu une coupelle d’eau, sombre crétin. Et si tu parles de mes vêtements, ne t’inquiète pas, je ne les ai pas lavés depuis au moins…
Comptants sur mes doigts avec mes mains au-dessus de ma tête, je complétais ma phrase :
- Depuis au moins 4 jours et 5 nuits, si on compte celle-ci. Donc ce n’est pas un problème.
Je me redressais de nouveau. A ce rythme, j’allais être musclée et tout, heureusement, j’étais bien trop faignante pour faire de l’exercice.
- J’aime bien tes cheveux, gamin. Puisque je demandais un signe, j’imagine que je l’ai eu. D’ailleurs, on voit tes racines, ce n’est pas classe du tout. Tu es orphelin ? Sans domicile ? Si tu veux de l’argent, t’as qu’à bosser comme tout le monde, je t’en donnerai pas.
Penchant la tête de côté, et à en juger par ses vêtements, il était clairement mieux sapé que moi. Mais comme d’habitude, j’avais parlé trop vite. S’il avait été orphelin et sans domicile, il aurait senti au moins aussi mauvais que moi, et ça n’avait pas l’air d’être le cas.
- Bon sérieusement, qu’est ce que tu me veux ? Est-ce que les dieux t’ont dit un truc du genre « Va dire à Adewora qu’elle doit danser comme une folle au milieu des ruelles de la ville pour retrouver son inspiration et réussir à tailler son foutu rubis » ? Parce que s’il faut faire ça pour retrouver mon inspiration, dis-leur que c’est mort.
Alors je me relevais, et commençait à m’épousseter les jambes lorsque je compris que ce n’était pas de la terre ni même de la poussière que j’avais sur mes vêtements, mais de l’argile. Cette tenue était bonne pour la poubelle, mais bon, c’était pas trop grave, les tâches donnait un style non ?
Et réalisant que je m’étais indirectement présenté, je demandais à l’inconnu, les bras croisés :
Hé bien, elle a un caractère de merde cette vieille peau. Il retire ce qu'il a dit elle a clairement les capacités de l'emmerder encore plus que les cours de son padre. Il continue calmement de sourire comme un chaton mais son esprit a déjà bien envie de lui foutre un bon petit pain dans la tronche. Elle lave elle-même ses affaires en plus, si c'est pas signe d'une fragile pauvreté ? Comment peut-elle lui parler de gagner de l'argent alors qu'il n'en a clairement pas besoin ? Au final, il devrait lui prendre tout ce qu'elle a et le redonner à une des bourses de don de la ville, au moins comme ça elle aura fait une bonne action une fois dans sa vie cette sorcière.
Puis qui pouvait danser au milieu de la ville nu pour attirer l'aspiration ? Il faut un cerveau totalement fumé pour penser à quelque chose comme ça... ou être exhibitionniste comme Ode. Tiens, il lui demandera s'il avait déjà fait ça dans sa vie. Il est persuadé que oui, l'alcool fait des ravages. D'ailleurs... Il renifle. Elle pue, mais elle ne sent pas l'alcool à plein poumon. C'est une folle au naturel. Très bien, et dommage, il aime bien les créatures d'Oruko. Ils sont mignons.
« Je passerai le message. Et merci pour mes cheveux, je sais qu'ils ont un chat-risme incroyable, mais j'aime toujours autant l'entendre. » Même si là, actuellement, il y a des fhjhs;gjfhd de racines qui l'emmerdent au plus au point. « Mais non, je ne pense pas que les dieux pensent à faire danser quelqu'un nu dans la rue, à l'exception des personnes qui ont déjà un besoin oppressant de montrer leur corps au monde, aux gens et d'en avoir la sympathie avec des moments intimes et teintés de fausses vérités qui finira par les faire hurler et pleurer. »
Vision de l'amour fataliste et absolument biaisé, bonjour, voici Chetan. Peu importe, il faut que le monde sache ! Avec un petit passage de main dans ses cheveux il répond :
« Sinon, oui Shä est mon vrai nom, c'est si étonnant ? Mes parents m'aiment pas – et non ils ne sont pas morts – mais ça c'est pas nouveau. Pas le peine de pleurer, je leur pourris assez l'existence comme ça. Ils le valent bien. Mais si j'ai bien compris tu cherches l'inspiration ? »
Il sourit de travers tout en la fixant, des éclats bruts d'intérêt dans son regard émeraude. Il aime bien quand on le prend pour modèle, mais il sait que ça n'est bon qu'avec la motivation de l'artiste. Ainsi, il prend la main de cette crasseuse acariâte et l'amène dans ses cheveux :
« Tu es autorisé à les exploiter pour t'éveiller en création. Après tout, tu en as appelé au dieu, et Oruko m'a conduit ici. » Ou pas. Mais ça c'est un secret bien gardé.
Chat…risme ? Ok. Donc je retirais tout ce que j’avais dit à présent. Ce n’était qu’un gamin, et certainement pas envoyé par les dieux. (Non et puis sérieusement si moi je ne pouvais pas entendre la voix des dieux, pourquoi lui il les entendrait ?).
Outre ce jeu de mot complètement pourri quoi que probablement adéquat pour un gamin, je me retins de partir en courant. Il n’était pas là pour m’inspirer mais pour pourrir ma soirée en fait.
- Mais t’as pas compris ou quoi ? J’ai dit que c’était pas classe. T’auras pas de succès avec les nanas avec ta troche là. Puis sérieux, passe ton humour sous silence parce que c’est pas terrible.
Mais à la mention de ses parents, et dans un élan de compassion nocturne, je lâchais un :
- Ouais, les parents, la famille et tout , ca sert à rien. S’ils ne t’aiment pas, ne les aime pas en retour. A la fin, on se rend compte qu’ils ont davantage besoin de l’amour de leur gosse que l’inverse. Quoi que quand j’ai appris que ma mère – cette vache à lait- était morte, j’ai bien ris.
Bon finalement, je l’avais peut être jugé un peu trop vite. Mais je ne l’aimais pas. C’était certain. Tournoyant sur moi-même jusqu’à tombé sur les fesses avec une sensation d’étourdissement, je soupirai bruyamment en tentant de fixé le gamin.
- Tu sais quoi ? Avec la tête qui tourne comme ça, t’as l’air de te casser la gueule, alors que c’est moi qui suis par terre. C’est fou comment notre raisonnement peut être corrompu par nos émotions. Et puis, là au moins, je ne vois pas tes racines.
Enfin, quand ma vision redevint stable , je me levais et m’approchai du gamin (sans le toucher) et observait la couleur de ses longueurs.
Je marmonnais divers noms de pierres précieuses et semi-précieuses avant de claquer mes mains ensembles en parfaite harmonie avec un « Oh – oh~ ! ».
- Tu vois, je pensais que tes cheveux étaient de la couleur de l’Hyperstène. Mais en fait, vu que c’est une coloration, ils n’ont quasiment pas de reflet. Ce qui signifie que tes cheveux – enfin tes longueurs- sont davantage de la couleur de la Shungite !
Et enfin, tout s’illumina. Tout faisait désormais sens. Je n’avais plus qu’une chose à faire. C’était certain. Et que les dieux soient d’accords ou pas, je savais que je devais le faire. Mais puisque Shâ le gamin était là, autant le traîner avec moi non ? Puis s’il ne voulait pas venir, il pouvait toujours me foutre la paix non ?
- Je sais ce qu’il me reste à faire. « Nous » reste à faire si tu ne sais pas quoi faire de ta soirée. La bonne nouvelle, c’est que tu peux être certain que si tu me suis, ça ne ferait pas plaisir à tes parents. La mauvaise, c’est que c’est pas « super » légal.
Dans une grande révérence maladroite, je lui annonçais mon plan :
- Il nous faut de la Shungite. En la taillant, je trouverai l’inspiration pour assortir un rubis avec. Et vu que j’en ai pas, on va aller se servir chez un « collègue » qui possède de la Shungite. Tu en es ?
Il amene une main à ses cheveux avec une envie de pleurer quand elle lui rappele ses racines. Sans déconner quelle monstre que d'appuyer là où ça fait mal ! Il soupire ensuite en la voyant s'agiter à droite et à gauche. Il se demande s'il rira quand sa mère mourra... Sûrement. En même temps vu qu'elle sait que hurler, ça aide. Est-ce qu'il ne fera pas pareil avec son père ? Non, là, il fêtera sûrement ça par ce que ça veut dire qu'il prendra enfin sa place auprès d'Oorun. Il prie tout les jours que son père décède, mais pour le moment le dieu solaire est encore en train de chouchouter ce vieux con.
Son visage se penche quand elle commence à parler de noms qu'il ne comprend pas. Il a dût lire ça quelque part mais il n'a pas plus d'avis à donner là dessus. Est-ce qu'elle essaie d’appeler quelqu'un à travers ses mots ? Sans déconner, c'est une sorcière en fait cette meuf ? Elle est totalement folle c'est ça ? Un peu plus et il lui mettrait un coup de boule. On aime pas les sorcières chez lui, ok ?
Puis elle a cette vieille illumination de folle, en se rendant brusquement compte que ses cheveux peuvent vraiment l'inspirer. Bha quand même. Ces cheveux sont merveilleux ok ? Même avec des racines. Par contre, il a toujours pas compris pourquoi il devrait avoir du succès avec les meufs ? Il a pas envie de finir comme cette espèce de fou du cul de Grand Prêtre, merci bien. Puis, sans déconner, qui voudrait de ce genre de relations avec qui que ce soit ? C'est dégradant !
« Ok. Donc des pierres de la même couleur que mes cheveux. Très bien, ça me va. »
En même temps elle lui propose un cambriolage. C'est son rayon ça ! Il va pas dire non alors qu'il a enfin trouver quelque chose à faire de sa soirée ! Il met une main sur sa hanche :
« J'te suis. Si c'est pas légal et que ça fait chier mes parents, pourquoi je dirai non à des emmerdes ? C'est quasiment une bénédiction d'Oruko à ce niveau là ? »
Non, non Oruko est toujours en train de te faire des signes de partout pour te dire que c'est une mauvaise idée. Tu vois pas qu'il y a étrangement aucun chat ici ? C'est pas un signe ça ? Haaaa... Sauvez cet enfant têtu et débile.
Joie. Le gamin était d’accord pour m’accompagner. Puis il avait ce quelque chose qui me faisait vite fait penser que le danger l’attirait. Moi le danger, je n’aimais pas ça. Mais si ca me permettait d’obtenir des pierres, ça m’allait.
Telle une incantation, je me répétais les yeux fermés un court instant : « Shungite, Shungite, Shungite ». Un frisson parcourra mon corps. Oui, la Shungite était définitivement la réponse à tout. La réponse à mes questions. La réponse à mes tourments. La réponse au sens de cette soirée.
- Les emmerdes par contre, je ne te les promets pas. Enfin sauf si on se fait chopper. Ce qui n’est pas improbable. Il faudra plaider la folie si jamais on se fait choper, compris ?
L’avais-je déjà fait ? Oui. J’avais une réputation à entretenir après tout. Est-ce qu’on m’avait cru ? Oui, je suis chamane après tout. Tout ce qui sort de ma bouche est parole sainte. Même si les Dieux ne parlent pas. Mais ne dit-on pas que c’est dans l’Indicible que se trouve l’Invisible, et donc le divin ?
Pas peu fière de mon monologue intellectuel, je me ressaisissais rapidement en pensant maintenant à notre objectif principal, la Shungite.
- Ok, très bien. Ecoute, mon « collègue » est un vieil aigri qui grâce à ses parents, a hérité d’une grande main d’œuvre composé de gars vraiment balèzes pour aller dénicher de la pierre de très bonne qualité dans les mines de Kekere.
Les mains derrière le dos et faisant les cents pas de manière peu discrète et peu élégante, je me permettais de raconter mon histoire, comme si ça pouvait l’intéresser, et comme si ça m’amusait.
- Sauf que moi, ca m’énerve tu vois ? J’ai dû me construire en partant de rien du tout. Des fois, c’est moi qui vais dans les mines pour chercher des pierres.
Bon, ok, je mentais un peu, mais il ne pouvait pas le savoir hein ?
- Ce vieux profiteur s’appelle Atijo. Sa maison, c’est la grosse qui se trouve en face des bains, celle qui a des petits escaliers pour accéder à la porte. Je ne sais pas si tu vois laquelle c’est… Mais pour t’aider à visualiser, c’est celle où de gros bras trainent souvent pour monter la garde !
Avec un large sourire, complètement forcé, et un hochement de tête, les yeux écarquillés, j’enchainais :
- En bref, va falloir passer discrètement, ou alors créer une diversion ! Vu que l’éthique, ça n’a pas l’air ton truc, je n’aurai pas besoin de te rassurer en disant que si les dieux ne nous arrêtent pas, c’est qu’ils autorisent nos actions.
En claquant les mains de manière un poil trop forcé, j’avais des fourmis dans les mains maintenant, je lançais de manière faussement joyeuse, avec un petit rire malsaint :
- C’est parti !
Entamant la marche en direction de la maison, j’en profitais pour ajouter :
- Ah, et inutile de te dire que je ne sais pas où il cache ses pierres exactement.
Pourquoi il la suit sans déconner ? Elle est la voleuse la moins préparée du monde. Sans rire, il en a fait des vols mais là, c'est clairement celui qu'il a le moins de chance de réussir. En plus c'est pour sa petite pomme qu'elle lui demande ça. Elle a juste envie d'avoir des trucs brillants dans ses mains par ce que c'est une clocharde avec trop d'ambition. Il a un peu honte de traîner à côté d'elle en fait là. D'un coup, il se demande si la loose c'est quelque chose qu'on transmet aux autres. Non vraiment, il adore Oruko mais là il comprends vraiment pas pourquoi il doit aider à faire son casse cette espèce de vieille folle.
Il aime le danger pas de soucis, mais il est pas con non plus. Puis plaider la folie ? Sérieusement ? Elle est pas un peu stupide cette meuf, elle l'est vraiment folle, pas besoin de jouer la folie. Il soupire, une vraie mine blasée sur le visage. Oui, il va le faire, oui ! OUI ! Mais par contre, elle a quand même de la chance qu'il ait l’habitude de faire ce genre de chose correctement lui.
« Ton plan c'est de la merde. » Oui, bon pour la subtilité, vous reviendrez en journée ok ? « On va se faire chopper. Et en plus, t'as vraiment pas l'air prête. »
Chetan passe dramatiquement sa main dans ses cheveux décolorés, un bon sourire beaucoup trop fier de lui sur le visage :
« Heureusement que j'ai déjà volé chez lui. » En même temps, un connard comme ça ? Riche ? Évidemment qu'il y est déjà allé. Pour qui on le prend là. « Suis-moi. »
Sans chercher plus loin, il lui prend le poignée et la traîne à deux rues de ça. Il la relâche juste pour grimper à une des échelles qui amènent aux hauteurs. Il lui fait signe de venir.
« On va passer par la fenêtre de sa fille. Elle est toujours ouverte et sa fille est saoule dès quinze heures, autant te dire qu'à cette heure, elle roupille comme un cadavre. Personne ne garde la salle d'eau qui est rattachée à sa chambre ; on peut donc passer par là pour rentrer dans la propriété sans être vue. Pour le reste, le coffre se trouve au même endroit que tout les coffres d'homme un peu riche et parano : dans leur chambre. »
Il lui fit un léger signe, alors que ses yeux émeraudes brillaient dans la nuit :
Etait-ce légale de frapper un gamin ? Il n’y avait pas de témoin, hein ? Un gamin comme ça, ça ne manquerait à personne, n’est-ce pas ? J’aurai pu lui sauter à la gorge pour le bouffer, littéralement. Mais je n’avais pas envie de me dégueulasser.
Mais il ne connaissait pas l’excitation de se faire chopper ? C’était le plus marrant. Ce moment où l’électricité parcourt votre corps, où un déglutis amer coule difficilement le long de votre gorge, le sang glacé et les pieds de plombs. Les plans surfaits, c’était le crédo des gens trop bien. Mais bon. J’aime bien ses cheveux, alors je vais lui laisser le bénéfice du doute.
Bénéfice rapidement balayé. Il avait déjà volé chez lui ? Me voilà rassurée ! J’étais donc en charmante compagnie ce soir. Comme quoi, cette société était vraiment naze. Si les dieux ne nous empêchaient pas de commettre se genre d’acte, ça voulait dire qu’ils étaient parfaitement tolérés par les dieux, et que, par conséquent, nous étions impunissables.
J’allais tout de même le suivre, parce que je n’avais pas envie de me faire réprimander par des gardes aussi stupides que puants, mais le gamin me pris par le poigné pour m’attirer deux rues plus loin. Mais on s’éloignait là, non ?
Lorsqu’il relâche mon poigné, je sens que c’est le moment où de gros bras débarquent avec des armes pour me tuer. Mais non. En fait, il montait juste à l’échelle. A… L’échelle ? UUUUGGGGGHHHHHHH, nooooooon. Un effort physique.
- Dis gamin, tu veux pas me porter, j’aime pas monter aux échelles.
Bon, je ne le pensais pas vraiment, parce qu’au moment où je prononçais ces mots, j’avais déjà agrippé un barreau et avait posé un pied sur un autre. Montant à l’allure d’un gastéropode, je pris une bonne minute à monter les quelques barreaux. J’allais être toute courbaturée.
- Whaaaa ! Cette ville est vraiment laide, même la nuit ! C’est fou !
Il m’exposait son plan. Pas bête. Pas bête du tout. Mais j’avoue que le risque était présent, et ça, c’était le pied.
- Donc tu as vraiment déjà volé chez lui ! Je te préviens, t’as pas intérêt à venir voler chez moi.
Par contre, sa proposition pour l’exercice là… C’était une blague ?
- Tu rigoles là ? Tu m’as pas vu escaler difficilement cette échelle ? Je suis lapidaire, pas acrobate !
Et pourtant, je disais une chose, mais je pensais autre chose. Il me fallait cette pierre. Absolument. J’allais transpirer, j’allais faire des efforts physiques, j’allais devoir parler et coopérer avec un autre être humain, j’allais être courbaturée MAIS tout ceci pour la bonne cause ! Pour avoir ma Shungite. Et accessoirement pour voir la tronche de ce vieux porc terrorisé le lendemain. On allait en entendre parler, pour sûr.
… Elle pense vraiment qu'à ses biens cette meuf. Comment dire que le chaton est blasé par son comportement ? Il va pas voler chez une folle, il aurait trop peur que sa déesse prenne ça pour de la pitié ou pour un fait de bas étage. Sans déconner, elle a vraiment des biens qu'elle mérite cette meuf ? Non par ce que là, il a même un peu honte pour elle quoi... Vous avez vu à quel point elle est crade sans déconner ? Vu de prêt c'est toujours pire ce genre de personne.
Et en plus... elle râle alors qu'elle le suit. Mais qu'elle se taise si c'est pour agir normalement mince quoi. L'apprenti prêtre eu un long soupir. Il doit rester patient, des gens aussi compliqués à gérer, il en verra pleins au temple. Déjà il verra son père et c'est déjà pas un cadeau. Son père et elle ? Quelle calamité !
... Au passage, ignorons le commentaire sur la ville. Elle est belle, ok? De jour comme de nuit !
« Allez... vient. » Il saute de l'autre côté d'un muret de terrasse et lui fait signe de le suivre.
Oui il aurait peut-être pu l'aider à passer ce muret. Mais... ! Mais rien, il a la flemme, il est pas là pour les handicapées et déjà qu'elle a l'air de l'être mentalement, il va pas en plus devoir prendre soin d'elle physiquement...
S'il vous plait arrêtez de le regarder comme ça il culpabilise.
Alors qu'il ouvre la fenêtre de la fille... il se retourne avec un grognement et tend sa main à son acolyte du soir. Il peut pas la laisser comme ça... Ils vont faire un casse à deux... Et c'est important de partager même les petits obstacles. Par contre si elle l'envoie chier, plus de pitié ! Hein !
C'est chiant d'être bien éduqué.
« Je vais t'aider. » Ses mains pendent toujours pour la faire passer.