Noire noirceur de la nuit, profond vide des sons, Nahuel flottait sur les ténèbres d’un sommeil sans rêve. Il n’y avait rien dans son esprit, rien dans le monde autour de lui. Tout, jusqu'à son essence, n’était rien.

Et puis, un lointain grouillement. Le vide se remplit de léger bruits, aigus, distant. Sur la noirceur, des rides voient le jour, cercles concentriques qui voyagent sur la surface d’une eau invisible. De cette eau, des roseaux surgissent. Le chant des grillons est bientôt si fort que les tympans de Nahuel grouillent sous son joug. Les roseaux grandissent encore, les grillons sautent d’une feuille à l’autre, puis, au moment où il s’apprête à faire un pas, l’un d’eux bondit sur son visage.

Nahuel poussa un cri. Il regarda à gauche, à droite, le palais d’Oluh bercé par le clair de Lune était de retour. Lautaro dormait paisiblement sur le lit d’à côté.

Il posa une main sur son coeur, inspirant et expirant profondément pour en calmer les palpitations. Fermant les yeux, il laissa le doux silence de la nuit le bercer loin des insectes qui s’apprêtaient à le manger… Mais attendez, est-ce qu’ils voulaient le manger ou est-ce qu’ils voulaient jouer ? Enfin, quelle importance, à partir du moment où ils lui sautent dessus sans crier gare…

Nahuel essaya. Il essaya longtemps de se rendormir. Mais rien n’avait l’air d’aider. A chaque fois qu’il fermait les yeux, les images de sauterelles géantes envahissaient son esprit. Les colosses à carcasses géantes marchaient dans des forêts marécageuses, changeaient de couleurs, luisaient sous le clair de Lune et manquaient de l’écraser à chaque reprise.

Il soupira et se leva d’une traite. Bon, y’avait pas trente-six mille solutions, si ?

A la lumière d’une chandelle, le peu d’encre que Nahuel possédait encore se déversait sur le dos du carton qui façonnait la reliure de son sketchbook. La douce brise du jardin le prenait dans ses bras alors que les insectes géants surgissaient un à un sur le carton. Pour en indiquer la taille, Nahuel dessina de petites gens à leurs pieds. Brouillons, mais assez clair pour qu’on les voit. Il maudit cent fois le fait d'être à cours d'encre colorées... Qu'est-ce que ses créatures auraient l'air plus oniriques, plus proches de ce qui bondissait dans son esprit ! Car aucune de ses créatures n’avait l’air d’un prédateur. Ce n’étaient que des géants qui marchaient dans leur forêt, indifférent de ce qu’il se passait à leurs pieds, tels des esprits détachés du monde matériel, attachés aux ciels, aux die-

- Tu dessines quoi ?
- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!

Après ce premier cri, Nahuel jeta son sketchbook et son pinceau. Il fixa les yeux vers l’adolescent au masque étrange, les yeux verts qui luisaient dans la nuit et d’autres “Aaaah !” saccadés suivirent. Il s’éloigna, toujours assis, à reculons. Honnêtement c’était un peu le flou dans sa tête. Inconnu bizarre. Palais bizarre. Cris. Voilà.