En temps normal, Ellen aurait été intimidée par un tel festival. Perdue au milieu d'une ville qu'elle connaissait à peine, dans une foule de personnes dont elle était aussi peu familière.

Elle aurait longuement tergiversé sur le fait de ne serait-ce que mettre un pied dehors, se demandant si d'un c'était approprié - après tout, ils étaient de purs étrangers ici - et de deux, si elle ne serait pas trop dépassée par toutes les animations.

Mais aujourd'hui, elle n'avait qu'une seule chose en tête.

Le stand de divination.

Lorsqu'elle avait entendu ces mots, son regard s'était illuminé. Enfin ! Enfin elle allait avoir des indices, des signes sur comment sa vie amoureuse allait se dérouler ! Parce que, soyons francs, c'était le désert jusqu'ici. Trop discrète au milieu des uluberlus du Wreck, trop étrange et timide pour se lier avec un Ijobien. Alors oui, Aiden l'a faite bafouiller comme jamais lorsqu'il lui a offert une fleur à demi fanée qu'il a cueilli juste à ses pieds, mais ce n'était pas un geste exceptionnel considérant le spécimen.

La lueur d'espoir qui s'était abritée dans les yeux d'Ellen à ce moment-là n'avait évidemment pas échappée à son amie Yǎjù, qui lui avait alors fait comprendre qu'elle l'accompagnerait au festival.

Et les voilà, bras dessus bras dessous, perdues au milieu des stands et des marchands s'égosillant à qui mieux-mieux.

Ju lui faisait admirer les danseurs qui déambulaient dans la rue, et Ellen s'extasiait devant un tel spectacle. Le duo était sur un petit nuage ; Ellen se sentit pleine de reconnaissance envers son amie. Dire que sans elle, elle aurait pu rater ça !

Elle crut apercevoir Genzo et Karah au loin, en pleine discussion autour d'un stand avec un homme qu'elle ne connaissait pas. Genzo avait l'air dans son élément... Ellen était un peu jalouse. Malgré les efforts des Ijobiens et des voyageurs, elle se sentait encore trop étrangère, trop détonnante dans cet environnement pour se sentir réellement à l'aise.

Une ombre obstrua son champ de vision, la tirant de ses pensées. Un danseur de rue venait de se poster devant les jeunes femmes, attirant leur attention. La vingtaine, rayonnant d'assurance, il transpirait le charisme (et les muscles saillants). Ellen rougit comme une tomate lorsqu'il s'approcha (pas du tout innocemment) d'elle. Machinalement, elle se rapprocha de Ju comme un enfant intimidé le ferait de sa maman.

Allons Ellen, tu ne vas pas trouver ton âme sœur comme ça. Ni même le stand de divination, d'ailleurs.

Elle ne savait pas où regarder. L'homme était beau et dansait vraiment très très bien. Il voulait qu'on le regarde, mais quelle tête devait-elle faire sans que ça paraisse déplacé ou bizarre ? Et où devait-elle regarder exactement ? Devait-elle applaudir ? Donner des coquillages dès maintenant ? Devait-elle danser elle aussi ??

Bref, dans la tête de la jeune fille, un seul mot : PANIQUE.

D'abord, Ellen fut rassurée par le geste d'apaisement de Ju.

Puis, Ellen fut paniquée (je veux dire, encore plus qu'avant) par l'audace du danseur.

Elle rougit comme une tomate lorsqu'il lui prit la main (elle n'avait pas pris la main d'un garçon depuis l'école primaire - et c'était pour se mettre en rang) mais se laissa faire, bien trop désarçonnée par ce qu'il était en train de se passer. Elle tourna la tête vers Ju, espérant qu'elle la tirerait de là - elle rencontra un mur. Un mur chaleureux, souriant, encourageant. Mais un mur. Elle comprit que sa sauveuse potentielle était aussi en partie celle qui l'avait mise dans une telle situation.

"Yǎjù ! Traîtresse !!!" ne dit-elle pas - mais son regard suffit à faire passer le message.

Elle comprenait, oui. Elle comprenait que son geste n'avait rien de cruel - c'était une taquinerie et un encouragement à ce que la jeune fille sorte de sa zone de confort. Elle se doutait également que Ju la tirerait (probablement) d'affaire à la moindre demande de sa part. Mais le consentement dans tout ça ??

Elle regretta un instant de ne pas être restée dans sa chambre, tranquilou en train de surfer sur son télé... ah non, en train de fixer le plafond, plutôt.

Le danseur la regardait en souriant, l'encourageant à suivre ses pas. Peu sûre d'elle, elle se força à lui rendre son regard en esquissant un sourire gêné. Il n'avait pas l'air de se moquer d'elle, au contraire ; il s'en tenait à des pas simples pour s'assurer qu'elle puisse le suivre. En voyant son amie l'encourager, la jeune fille décida de se laisser entraîner quelques instants, ses gestes se faisant de moins en moins hésitants. Au bout d'un moment, son regard se perdit sur les étalages au loin, et elle crut apercevoir une foule être amassée autour d'un en particulier. Peut-être était-ce le stand de divination ?

Ce dont elle s'aperçut moins, c'était que le petit numéro du danseur avait attiré l'attention. Lorsque son regard se porta sur son environnement proche, elle sursauta.

C'était quoi tout ce monde ?! Elle s'arrêta net.

« Euh, j-je suis désolée, c'était très sympa mais on doit y aller maintenant ! » s'empressa-t-elle de bredouiller. Elle sortit de sa poche quelques coquillages, les glissa dans les mains du danseur, toujours tout sourire. Il devait avoir l'habitude des timides, celui-là.

« M-merci ! » s'exclama-t-elle en saississant la main de Ju et se frayant un chemin dans la foule de badauds venus admirer le spectacle. Le danseur, imperturbable, reprit sa danse de plus belle, profitant de sa toute nouvelle audience.

« Mais enfin Ju, pourquoi tu n'as pas empêché ça ? » demanda Ellen, encore rouge tomate et essoufflée. « D'accord, c'était marrant, mais... Mais !! » Oui, elle ne savait pas quoi ajouter. Son regard montrait cependant qu'elle ne regrettait pas (trop) cette expérience - une lueur d'amusement brillait au fond - et qu'elle râlait surtout pour la forme... même si elle était clairement très embarrassée.

Toute à leur fuite soudaine, Ellen les avait entraînées devant le stand qu'elle avait repéré tout à l'heure. Il y avait du monde en effet, mais était-ce bien le stand de divination ?