Ode examine son disciple alors qu’il effectue une nouvelle position. Ses sourcils se froncent un peu plus mais il ne dit rien. Il se rappelle très bien quand il était plus jeune et avide d’apprendre, quand il observait les chasseurs à Aisiki en imitant leurs actes, espérant que cela lui apprendrait leur art. Il ne se rappelle même pas le nombre de fois où il a épié les entraînements d’Iwuri pour essayer d’apprendre de lui. Ode pousse un soupire. Iwuri saurait comment gérer l’apprentissage, lui. Le chasseur aurait probablement dû renvoyer Karah vers lui, ça aurait été la solution la plus intelligente.
Ode baisse son arme et de sa main libre, corrige la position du jeune homme :

« Voilà. Mais cette position ne te servira à rien tant que tu ne connaîtras pas les bases. C’est comme si tu essayais de cuisiner un plat de chef sans savoir éplucher des pommes de terre. »

C’est la première analogie qui lui est venue à l’esprit, il espère en tout cas que c’est clair pour Karah. Puis il se remet en garde, comme il vient de l’apprendre au jeune :

« Reprends la position que je t’ai montrée et regarde bien ce que je fais. »

Les jambes toujours fléchies, il avance son pied droit en le glissant sur le sol, effectuant une légère poussée de la jambe gauche, puis il avance son pied gauche, de manière à se retrouver dans sa position initiale, le tout en gardant le dos droit et le regard devant lui. Le visage sérieux, Ode reprend :

« Ce geste, je veux que tu le répètes des dizaines… non des centaines de fois par jour. Jusqu’à ce qu’il devienne naturel pour toi. C’est comme ça que tu dois te déplacer avec ton arme, et c’est fondamental. »

Ode se remet en position de repos, et continue :

« Dans un combat, un mauvais déplacement peut t’être fatal. Alors tu ne dois surtout pas lésiner sur l’entraînement, tu m’entends ? »

Le garde est bien placé pour savoir que les gestes les plus anodins sont ceux qui nous maintiennent en vie. Et il veut que Karah comprenne l’importance de ces mouvements malgré l’ennui qu’ils peuvent représenter à répétition, surtout en matière de combat, il en va de sa protection et de sa sécurité.

« Si je m’aperçois dans une semaine que tu n’as pas pris le temps de t’exercer pour maîtriser ce pas, je refuserais de t’entraîner plus. »

Il espère que ça suffira à le convaincre de prendre le tout au sérieux. Aussi, quand il obtient l’approbation du jeune, ou en tout cas qu’il a l’impression que le message est bien passé, il reprend :

« Je ne peux rien t’apprendre de plus pour l’instant. Il faut que tu maîtrises ce pas avant que je commence à t’enseigner la coupe verticale. »

Il sait que c’est frustrant, de débuter, mais il n’y peut rien. Si Karah se dégonfle à la vue de ce qui l’attend -qui ne sera pas forcément très drôle, alors il n’est pas fait pour tenir une arme. Si au contraire, il reste déterminé et y met du sien, alors Ode acceptera de le prendre pour élève jusqu’au bout et de lui enseigner l’art du sabre comme il se doit. Ce pas, non content d’être essentiel, est aussi une épreuve pour le jeune homme.    

@Karah

Ode hoche la tête aux propos de Karah. Oui, bizarrement il n’a aucun mal à croire que le jeune n’est pas du genre à abandonner. Peut-être est-ce à cause de cette étincelle dans son regard ? Quand il l’observe, Ode a l’impression de se voir quand il était plus jeune, et à cette époque rien ni personne n’aurait pu l’arrêter. Il aurait tout fait pour accomplir son rêve ou, au moins, s’en rapprocher, au point qu’il avait travaillé sans relâche ni repos, parfois jusqu’à s’en rendre malade. Avec un peu de chance, Karah n’est aussi buté que lui et il ne mettra pas sa santé en danger pour son apprentissage.

« Donc ça veut dire que je vous verrai pas durant la semaine ? Comment vous pouvez être sûr que je progresse.
- Je le verrai à ta façon de faire quand on se reverra. Quelqu’un qui manque d’entraînement est beaucoup moins souple et confiant dans son geste que quelqu’un qui pratique tous les jours. »

Il est facile de démarquer les débutants de ceux qui connaissent la chose. Ode en voit tous les jours aux entraînements de la garde. Des jeunes qui n’ont aucune envie d’y mettre du leur, des plus anciens qui se croient à l’abri par leurs années d’expériences mais dont tous les gestes crient la maladresse.

« Il faut que je m’organise pour pouvoir t’entraîner en dehors de mes heures de travail. Dans une semaine, rejoins-moi ici à la même heure qu’aujourd’hui, et je te ferai part des heures où nous nous retrouverons. Ce sera probablement tôt le matin ou tard le soir, j’espère que ça ne te dérange pas. »

Le garde est trop sérieux dans ce qu’il fait pour utiliser son temps de travail autrement qu’en travaillant. Et si une urgence se présentait ? Si on avait besoin de lui et que, trop distrait par l’entraînement de Karah, il manquait à sa tâche ? Impensable. Non, il faut qu’ils se voient une fois ses heures de garde terminées. Cela veut aussi dire qu’Ode va devoir mettre un peu la chasse de côté pendant quelques temps. L’idée d’être loin de la nature pendant plusieurs semaines, voir des mois, n’est pas forcément pour le ravir, mais il se dit que ce n’est que partie remise, et qu’il trouvera bien un moyen, quelques heures par ci par là, pour se rendre en forêt, ne serait-ce que pour se ressourcer.
Ode pose le sabre contre le mur derrière lui.

« Tu peux m’appeler comme tu le souhaites. Ode me va très bien aussi. »

Il ne se sent pas vraiment l’âme d’un maître, mais il doit bien accepter que pour Karah, c’est ce qu’il est. Il espère qu’il sera à la hauteur. Au sourire de Karah, Ode répond par un regard plus doux et indulgent que celui qu’il a pu afficher jusque là. Difficile d’être insensible face à la bonne humeur et la gentillesse du garçon :

« Je ne peux pas te promettre que l’entraînement sera toujours agréable, mais je ferai de mon mieux pour que tu apprennes dans les meilleures conditions. »

Il lui doit bien ça, non ? Karah lui fait confiance pour lui apprendre l’art du sabre, en toute sécurité et compétences, alors Ode se doit de faire de son mieux et de ne pas le laisser tomber. Il le regarde répéter le geste en croisant les bras et hoche la tête :

« Je pense que tu t’en sortiras très bien. »   

@Karah

Une semaine. Voilà qui lui laissera le temps de réfléchir et surtout de mettre en place un plan d’action. Il va devoir revoir quelles sont les priorités à apprendre et surtout comment les enseigner. Ce ne sera pas facile, après tout, c’est tout un métier pour lequel Ode n’est pas formé, mais il fera de son mieux. Il songe avec un peu de regret qu’il aimerait qu’Iwuri soit dans les parages pour pouvoir lui poser des questions. À défaut, il va devoir se contenter de lui-même et de son instinct, ce qui n’est pas forcément pour le mieux.

« Tu ne seras plus un petit animal sans défense, en effet. J’espère que tu useras de l’art des sabres à bon escient. »

Il n’y a pas pensé. Il a cru Karah sur paroles, et il espère ne pas s’être trompé. Il ne manquerait plus qu’en vérité le jeune ait des envies vengeresses ou quelque chose de ce genre. Est-ce qu’Ode se sentirait responsable, par lointaines concordances ? Probablement. Mieux vaut qu’il ne pense pas à ça. Karah a l’air tout à fait sain d’esprit et pas du genre à enfoncer son sabre dans les entrailles de quelqu’un pour une broutille. C’est en tout cas ce qu’il préfère croire.
Les paroles qui suivent en revanche, alertent le garde. C’est vrai que Karah ne vit probablement pas ici. Est-ce qu’il a de quoi vivre dans les parages ? Financièrement et de manière comestible ? Est-ce qu’il va s’en tirer ? Le regarde d’Ode est sérieux lorsqu’il se repose sur le garçon et qu’il déclare :

« Si tu as besoin de quoi que ce soit, que tu as besoin d’aide, de nourriture ou autre, n’hésite pas à venir au palais d’accord ? Je ne serais pas forcément ici, à cette place, mais il te suffira de demander à un autre garde s’il sait où je me trouve pour avoir ma position. Je t’aiderais, si tu en as besoin. »

Ode n’est ni riche, ni très talentueux à bien des choses, mais il est bon chasseur et il gagne suffisamment sa vie pour avoir de côté de quoi nourrir quelqu’un d’autre. En outre, il se sent responsable de Karah et n’admettrait pas que quelque chose arrive au jeune parce qu’il a manqué de vigilance ou d’attention. Ode hoche sobrement la tête à l’intention de Karah :

« En attendant, entraîne-toi bien, et fais attention à toi. Rends-moi fier. »

Je t’attends dans une semaine. Et c’est là, que les choses sérieuses commenceront. Un entraînement dur et sans erreur possible. Ode montrera à Karah l’art du sabre dans toute sa grandeur jusqu’à ce que cela devienne une seconde nature chez lui. Il sera, comme ses maîtres avant lui, exigeant et sérieux afin que le sabre devienne une extension de son bras.
La journée a certes pris un tournant inattendu, mais Ode se montrera digne de cette nouvelle épreuve sur son chemin. Il fera tout pour ça.

@Karah