C’est une de ces journées étranges où le temps ne semble pas s’écouler. Pour Ode, il semble que les heures s’étendent et s’étendent jusqu’à n’en plus finir. Il est de garde au palais, aujourd’hui. Un poste qui, s’il l’adore, promet parfois des jours interminables où il ne se passe pour ainsi dire, rien. Le chasseur soupire. Il donnerait tout pour être en forêt, en ce moment-même, mais il n’est pas question qu’il renonce si facilement. La Reine compte sur lui pour protéger le palais et c’est bien ce qu’il a l’intention de faire. Il ne la décevra pas.

D’ailleurs, quelqu’un est en train de venir vers lui. En train de courir vers lui serait même plus exact. Ode se tend légèrement, sur ses gardes. Un tréspasseur ? Un visiteur ? Il plisse les yeux, croyant reconnaître cette crinière brune. Où est-ce qu’il a bien pu l’apercevoir ?

Puis ça lui revient. Le bar. Le jeu. Cette soirée maudite où Thadas et lui se sont retrouvés liés. Un moment qu’il a, depuis, bien essayé d’oublier. Il y a des choses qui malheureusement, vous restent dans la tête. Avec un frisson, Ode passe la main dans ses cheveux en essayant de renvoyer l’image d’où elle vient. Il se souvient du garçon, qui le fusillait du regard après sa mort dans le jeu. Est-ce qu’il vient visiter le palais ? Demander une audience à la Reine ? Il a quand même vraiment l’air de venir vers lui. Mais ce n’est pas possible, pas vrai ? Ils ne se connaissent pas, et Ode ne voit pas bien ce qu’il lui voudrait. Il est forcément là pour le palais, pas vrai ?
Wrong.

Alors que le garçon s’arrête juste devant lui et se met à lui parler, les sourcils du chasseur se froncent légèrement. Il l’écoute attentivement, sans dire un mot. Peut-être qu’il a eu un problème et qu’il a besoin de l’assistance d’un garde ? … Les paroles du brun mettent une seconde à faire sens dans sa tête. Instinctivement, Ode lance un regard derrière lui. Non, il n’y a personne d’autre, c’est bien à lui qu’il parle. Maître d’armes ? Lui ? Quoi ?

« Écoute petit... »

Non, il lui a dit son nom, la moindre des choses est de l’utiliser.

« Karah. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. »

Lui ? Être professeur ? Évidemment, il sait manier les armes, il a suivi de longues formations pour en être capable, et il s’entraîne tous les jours. Mais il ne lui est jamais venu à l’esprit d’enseigner ses connaissances à quelqu’un d’autre. Il n’est pas doué avec les gens, ni avec les mots d’ailleurs, alors qu’il les cherche pour expliquer à Karah le pourquoi du comment. Mais voilà qu’il le regarde avec ses grands yeux et la détermination d’Ode vacille. Il n’a, après tout, pas grand-chose à faire de sa journée, et le jeune a l’air d’être plein de bonne volonté. Mal à l’aise le chasseur détourne le regard. Il s’éclaircit la gorge pour essayer de se redonner constance :

« Tu risquerais de te blesser et je n’ai pas été formé pour enseigner… »

@Karah

Oh bordel, il se balade avec une arme ! Un sabre ! Ode lance un regard inquiet autour d’eux. Ce serait bien le moment pour que quelqu’un débarque et croit que Karah essaie de l’attaquer. Les choses ne vont pas du tout dans le sens qu’il espérait et un petit vent de panique s’insuffle en lui. Pourquoi a-t-il fallu que ça tombe sur lui ? Est-ce que c’est parce qu’il s’est plaint que les choses soient trop calmes ? S’il avait su, il se serait retenu et aurait apprécié toute la tranquillité de sa journée. Mais il faut croire qu’on n’apprécie jamais les choses que quand elles sont parties…
Et Ode en fait à présent les frais.

« Non, ce n’est pas… »

Ode est dépassé. Il passe à nouveau une main dans ses cheveux, regarde autour de lui, dans l’espoir peut-être, que quelqu’un lui viendra en aide.

« Tes sculptures sont très jolies, c’est vrai, mais ce n’est pas pareil que de manier un sabre ! Si tu te rates, tu ne vas pas avoir une simple coupure, tu peux perdre un doigt, ou pire. »

C’est vrai que les œuvres du jeune homme sont réussies, et il est sans aucun doute talentueux, mais c’est une chose que de manier un couteau, et une toute autre que d’avoir une arme entre les mains. Il est vrai qu’un couteau peut tout à fait faire des ravages s’il est bien aiguisé, il peut même tuer quelqu’un. Mais ce n’est pas là sa fonction première.

« Pourquoi tu veux apprendre à utiliser un sabre ? Ce n’est pas un jouet tu sais. »

Au fond de lui, Ode espère encore qu’il va changer d’avis. Mais Karah a l’air déterminé, et le chasseur se dit que les humains sont décidément vraiment trop compliqués. Il soupire, pèse le pour et le contre dans sa tête. Quel est le pire qui puisse arriver ? Qu’il soit un professeur médiocre, certes, mais surtout que Karah se blesse sérieusement. Le problème est que le jeune homme se balade déjà avec un sabre sur lui. Il est déjà en bonne voie pour se faire mal, surtout s’il la manipule sans savoir ce qu’il fait. Lui enseigner la méthode pourrait peut-être prévenir de futures blessures.

Le visage d’Ode se referme complètement alors qu’il le réalise.
Il est dans l’impasse.
Il ne peut plus vraiment refuser, maintenant que Karah a exhibé le sabre. Ce serait complètement irresponsable de sa part de laisser une arme pareille à un non-initié. Et même s’il la lui confisquait (de quel droit?), comment empêcher qu’il s’en procure une autre ? Ode est bien placé pour savoir que lorsqu’on est vraiment résolu, rien ne nous arrête.

« D’accord, d’accord. J’accepte. Mais tu devras absolument suivre ce que je te dis. »

Du bout en bois de sa lance, Ode repositionne les pieds de Karah.

« Là. Commence par te tenir bien droit. »

Mais dans quoi est-ce qu’il s’embarque ?  

@Karah

Mais qu’est-ce qu’il est en train de fabriquer ? Il n’est absolument pas fait pour enseigner ! Dans quoi est-ce que tu t’embarques Ode ? Qu’est-ce que tu fous ?
Lui-même ne le sait pas.
Malgré sa taille, Karah n’est qu’un gosse. Le chasseur se dit qu’il n’aurait pas dû céder. Qu’il aurait dû le renvoyer vers un vrai maître d’armes qui sait ce qu’il fait. Pourquoi il n’y a pas pensé plus tôt ?? C’est trop tard maintenant, il s’est embourbé là dedans, et en sortir va être compliqué.
Il n’a pas le cœur de reprendre sa parole quand il voit à quel point Karah est heureux. Ce serait vraiment cruel que de lui dire non, maintenant qu’il lui a fait croire à un oui.
Et Ode n’est pas quelqu’un de cruel.

En examinant le jeune, le chasseur réfléchit. Il essaie de se souvenir des premiers cours qu’il a eu en la matière et quels ont été les premiers conseils qu’on lui a prodigué. Tout ça remonte à loin maintenant, mais il faut commencer par les bases.

« Tout d’abord, il faut savoir que manier un sabre, ce n’est pas une activité physique, mais un art. »

Il appuie sur ce mot, comme son maître le faisait à l’époque.

« Cela demande de la persévérance. Tu vas toujours devoir chercher à progresser, à affiner ton geste, à t’améliorer. Tu ne pourras pas apprendre en une après-midi. Tu vas devoir pratiquer. Tu comprends ? »

Pour Ode, c’est un investissement. Et toute bonne volonté, si elle n’est pas accompagnée d’une détermination à s’entraîner constamment, est vouée à l’échec. Comme on ne devient pas peintre en un jour, on apprend pas à maîtriser une arme en se contentant de regarder et de reproduire une fois. Si l’on a peur des tâches répétées, de se lasser, ça ne fonctionnera pas. Ode lui-même a passé de nombreuses années à apprendre et à se perfectionner.

« Tu vas devoir revenir ici souvent et t’entraîner chez toi tous les jours, si tu veux réussir à manier ce sabre avec précision. »

Une fois que les choses sont claires entre eux, Ode pose sa lance contre le mur derrière lui. Il prend ensuite l’arme des mains de Karah.

« Pour l’instant, tu vas te contenter de faire comme moi. Tu n’auras le droit de posséder cette arme que quand tu sauras un minimum t’en servir. »

Lors de ses premiers entraînements, Ode se souvient qu’il n’a pu voir les lames que de très loin. Il a mis longtemps avant de pouvoir en toucher une de ses propres mains.

« Il va falloir qu’on te trouve un sabre en bois, pour commencer. Je devrais pouvoir trouver ça à l’armurerie, mais je ne peux pas quitter mon poste dans l'immédiat. »

Qu’il le veuille ou non, il est toujours de garde et même s’il n’y a pas grand monde, il est hors de question qu’il déserte sa tâche. Il a prêté serment, et l’homme qu’il est ne revient jamais sur sa parole. Il accomplit toujours ses missions avec le plus grand sérieux.  

@Karah

Le voilà responsable de Karah. En un sens en tout cas. Ode n’est pas sûr d’aimer ça, c’est déjà suffisamment compliqué de prendre soin de soi-même pour ne pas avoir à gérer un autre être humain. Au moins, le jeune a l’air de savoir dans quoi il s’embarque et ne pas chercher la facilité. Ode, en grand intransigeant de la vie, est allergique à la médiocrité. Il n’aurait pas pu accepter d’enseigner à Karah si celui-ci avait fait preuve de négligence ou de stupidité. Il est bien plus enclin à se montre indulgent envers quelqu’un de travailleur et de motivé. Ce que Karah semble être.
Ode hoche la tête et lance un coup d’oeil au sabre :

« Il n’est pas abîmé, je pense qu’en le laissant aux mains d’un forgeron quelques temps, elle reprendra tout à fait sa splendeur. »

Le chasseur réfléchit un instant. Il fait le tour mental de ses connaissances.

« J’en connais un. Je lui confierai ton arme, le temps de ton entraînement. Et tu la récupéreras quand tu auras atteint un niveau suffisant. Disons que ce sera comme une récompense si tu t’appliques. »

Ça lui paraît un bon compromis. Il pourra passer chez le forgeron d’ici quelques jours et lui remettre le sabre. Cela évitera aussi à Karah de dépenser ses coquillages dans l’achat d’une arme digne de ce nom. Après tout, la lame qu’il a apporté n’est pas en mauvais état, juste un peu vieille. Un rien la rendrait tout à fait lumineuse. Le jeune pourra toujours investir dans un nouveau sabre plus tard, quand l’art lui sera entré sous la peau. En attendant, celle-ci fera l’affaire.
En parlant d’armes, il faut un sabre en bois à Karah.

« Il y a nombre d'armes d’entraînement qui ne sont pas utilisées à l’armurerie du palais. Tu n’aurais qu’à dire que tu viens en mon nom. »

Ode réalise alors qu’il ne lui a même pas donné son nom. Ce qu’il peut être bête parfois, franchement…

« On m’appelle Ode. Ode Egan. On te prêtera un sabre en bois et quand tu récupéreras celui-ci… »

Il pointe le sabre de Karah.

« Tu le rendras. Pas besoin de dépenser tes coquillages pour un outil qui ne te servira qu’au début de ton entraînement. Et si vraiment tu tiens à en avoir un à toi, tu pourras toujours le sculpter. »

Ode, lui-même, n’a pas gardé le sabre en bois dont il se servait à ses débuts. Son maître le lui avait prêté. Bien sûr, cela admette qu’il fasse confiance à Karah et que celui-ci ne disparaisse pas dans la nature avec l’arme d’entraînement… Ode le dévisage un instant. Le jeune n’a pas l’air du genre à s’évaporer du jour au lendemain. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Le chasseur se dit qu’il verra au moment venu. Dans le pire des cas, il devra quelques coquillages à l’armurerie, mais il ne sera pas ruiné et sa réputation ne prendra pas trop cher. Les risques sont minimes pour ainsi dire.

« L’armurerie se trouve après les jardins et les cuisines. Par là, tout droit. »

Il lui indique la direction de sa main libre, l’autre portant toujours le sabre.   

@Karah

Important ? Lui ? Non, pas particulièrement, mais il passe beaucoup de temps au palais et les personnes travaillant à l’armurerie ont appris à le reconnaître. De la même manière que le chasseur a appris leurs noms quand il a intégré la garde royale.
Alors qu’il s’apprête à dissiper le malentendu avec Karah, celui-ci prend la route de l’armurerie. Ode le regarde partir en se demandant si ça va aller. Maître hein ? C’est une lourde responsabilité à porter sur ses épaules. Il va devoir organiser ses journées entre la chasse, son temps au palais et les entraînements avec Karah, ce ne sera pas tous les jours facile, il n’en est que trop conscient. Mais s’il doit le faire, il doit faire les choses bien, pas à moitié, pour le bien du jeune mais aussi pour sa propre dignité. Il ne sera pas dit qu’il ne va pas au bout de ses engagements.

Alors qu’il est seul, Ode soupèse le sabre de Karah dans sa main. Le sabre n’est pas son arme de prédilection, il préfère de loin sa lance et son arc, voir même son épée, mais il sait toutefois le manier avec précision. Il n’a jamais oublié ce que son maître lui a appris et il s’est trop entraîné pour perdre la main. D’un geste souple et élégant, Ode effectue quelques mouvements. Les connaissances lui reviennent aussitôt en un flot de souvenirs. Cela le rassure instantanément. Se laissant porter par le flot, le garde fait quelques parades, s’habituant au poids de l’arme. Ce n’est pas un mauvais sabre, loin de là. Ode se demande où il l’a trouvé. Pour qu’il soit dans cette condition, il a dû être abandonné depuis un moment. Son propriétaire s’est-il lassé ? Ou bien, n’est-il simplement plus en état de l’utiliser ? La question restera toujours sans réponse.
Le sabre a déjà une histoire et en fermant les yeux, Ode essaie de se l’imaginer.

Ses réflexions sont interrompues par la voix de Karah et le chasseur rouvre les yeux. Il baisse les bras et se re-concentre sur la réalité. Il hoche la tête en direction de Karah qui arrive avec le sabre en bois.

« Bien. »

Ode attend que le jeune arrive à sa hauteur pour reprendre :

« On va commencer par quelque chose de plutôt simple, comment te positionner quand tu sors ton sabre. Suis mes gestes, d’accord ? »

Ode commence par placer le sabre à sa taille, du côté gauche, lame vers le bas, comme si elle se trouvait dans son fourreau, représenté par sa main gauche. Puis il fait un pas de son pied droit et fléchit un peu les jambes.

« Ton poids doit être réparti équitablement sur tes deux jambes quand tu te positionnes. »

Attendant qu’il exécute la position, le chasseur l’examine de près.

« Avance un peu plus ton pied droit. »

Puis il hoche la tête. Oui, ça lui paraît bien. Puis il tire la lame pour la positionner devant lui, à hauteur de son nombril. Il positionne ensuite sa main gauche derrière la droite, sur la garde du sabre.

« Les poignets doivent être alignés quand tu tiens ta lame. »   

@Karah