« Genzo s’est encore tiré. »

Constat devenu un peu trop répétitif pour les touristes séquestrés, nerveux. Les questions angoissaient commencer à fleurir sur les lèvres nerveuses.

« Imagine qu’il nous condamne tous ? Que les Autres n’aient plus confiance et décident de tous nous zigouiller ?? » « Vous croyez qu’ils ont des arènes, comme les Romains ? Avec des lions pour nous manger ? » « Si je vois Genzo, il s’en souviendra. » Rapidement, les craintes laissent placent aux menaces.

— Esteban.

Je ferme les yeux plus fort, fronce les sourcils, garde ma tête entre mes mains, croyant naïvement que ça suffirait la personne qui me fait face de poster LA question à laquelle je n’ai aucune envie de répondre.

— Este, bro, faut faire quelque chose.

— Ah bon ?

— Allez, on sait tous que t’es déjà venu ici, tu connais l’coin, nan ? Chuis sûr que tu peux r’trouver Genzo en un temps record et le ramener ici, t’es bâti comme un bison. Ah, attend, c’est pas mexicain mais texan nan, les bisons ? ‘tain j’sais plus. Bref, y’a que toi pour ce job, Este.

Ce n’est pas un compliment, détrompez-vous. Par-là, il veut dire que je n’ai pas la même couleur de peau d’arrière train oublié que la plupart d’entre eux et que je me fonds plus facilement dans la masse des autochtones de l’île - quoi que les couleurs de peau forment une palettes vraiment étendue, c’est très intéressant. Ça et que je suis la babysitter officielle de ce groupe, entre les petits bobos à réparer et les turbulents à encadrer, j’ai juste l’impression d’être un animateur de vacances au bout du rouleau.

Un air outré sur le visage, je lève les yeux vers un touriste bedonnant au crâne luisant. C’est qu’une assemblée entière s’est formée autour de nous, depuis.

Poussant un soupir à fendre l’âme, je me lève et m’étire, avant de m’éloigner.

— Tu le ramène, hein !

— Oui, oui…

Sales Yankees.
J’espère qu’ils vont encore flipper un moment.
Mais, au moins, je ne les reverrai plus.


Une fois à bonne distance du palais, j’enlève ma capuche et délaisse mon foulard pour le fixer à ma taille, histoire de ne pas avoir l’air d’un mystérieux dérangé au milieu d’une foule de visage dénudés face à la chaleur.

Le fait qu’ils nous aient laissé des vêtements d’ici rend les escapades hors du palais bien plus facile, d’autant plus qu’ils ne connaissent pas encore tous nos visages. Tant qu’on est rentrés le soir, tout va bien, ce qui nous permet d’avoir une certaine marge de manœuvre. Je comprends qu’ils veuillent protéger leur peuple, mais ce n’est pas comme si nous constituions vraiment une menace pour ces gens armés dès l’âge de 5 ans. Mais peut-être que notre venue ne fait pas l’unanimité et que certains pourraient vouloir notre peau, c’est l’autre explication à notre confinement.

L’étranger est toujours considéré avec suspicion de toute manière, peu importe d’où il vient et où il va.

Avisant quelques commerces, je commence à poser des questions aux passants, assez bas pour que seuls mes interlocuteurs m’entendent. Certains attendent de moi que je leur glisse de l’argent, ou des coquillages, je n’ai pas bien compris, et n’ayant rien, retrouver la piste de Genzo devient de plus en plus ardu. J’avais bien demandé à la grande organisatrice, l’intendante de service, de me donner plus d’infos sur l’économie de ce pays, mais elle m’a craché des réponses vagues et inutiles à la figure comme si je venais d’essayer de programmer une crise économique.

En me cachant le plus possible des gardes - à tous les coups, ma moustache est rentrée dans les annales -, je parviens néanmoins à glaner quelques informations me permettant de savoir à peu près où se trouve Genzo.

« Une bouteille à la main. »
« Disparu dans la forêt. »
« Vraiment très bizarre. »
« Parlait de « rhum », « plage » et d’autres trucs bizarres. »

C’est mon homme, pensais-je à chaque fois avec un sourire satisfait.

A quelques reprises j’ai pu goûter aux saveurs locales, certaines vieille dame raffolant visiblement de la galanterie comme des moustaches. Les autochtones ne connaissent donc vraiment pas l’art raffiné ? Il faudra remédier à cette situation, parler à la Reine, s’il le faut !

Heureusement qu’il est plutôt visible, comme type, avec sa dégaine de mafieux. Pas moyen qu’il inspire la conscience peu importe qu’il soit aux Etats Unis ou sur une île oubliée du monde. Possédant toujours la carte que Crook nous avait balancé, aussi peu détaillée soit-elle, je parviens à suivre un sentier menant à une grosse rivière.

A tous les coups, Genzo essayait de se remémorer les bons moments passés en toute innocence de l’autre côté de l’île. Par contre, s’il avait emporté de l’alcool, il y avait de grosses chances qu’il était en train de s’empoisonner.

Je passe néanmoins un bon moment à faire des allers-retours dans la forêt, craignant à chaque seconde de me retrouver face à un prédateur. C’est pas par là qu’Ode le chasseur s’était fait attaquer ? Chassant avec grand mal cette pensée, je continue une petite heure de longer une rivière pour finalement tomber sur le borgne.

Celui-ci, allongé, se retourne sur le vendre presque aussi difficilement qu’un nourrisson prenant conscience de son corps. A côté de lui trône une bouteille. Oh-oh… ce ne serait pas l’alcool improvisé que Chris, Alisha et moi avons réussi à faire faire aux autres il y a quelques temps ? C’est plus un remède de grand-mère que de l’alcool, à vrai dire.

— Yo, je peux me joindre à toi ?

Main sur les hanches, j’observe les alentours. C’est qu’il s’est trouvé un coin sympa. Le clapotis de l’eau apaise sans mal mon esprit agité tandis que sous nos pieds - ou en l’occurrence mes sandales en cuir - du gros sable rappellerait presque une petite plage.

Sans attendre sa réponse, je m’assoie à ses côtés.

— Tu fais flipper tout le monde, au palais. Ils disent que tu vas nous faire tuer à force de t’évader, ce genre de conneries…

Un soupir las s’échappe de mes lèvres.

— Envoie la bouteille.

Je tends une main vers lui, avant d’ajouter :

— Qu’est-ce que t’es venu faire ici ?

C’est pas avec son cache œil qu’il va éviter de se faire bouffer par un animal ou attraper par les gardes, pour peu qu’ils arrivent du mauvais côté de son visage.

Accueillant le silence de Genzo comme une réponse positive, je m’assoie et tend la main vers la bouteille qu’il me tend, ponctuant son geste d’une référence à Harry Potter. Pas mon film préféré, mais je vois ce qu’il veut dire. Et il n’a pas tort. Ron c’est le choix pas dépit, seuls les menteurs souhaitant passer pour des gens tellement différents du commun des mortels diront le contraire. Il est attachant, mais un peu trop stupide. « Golden boy de l’oubli », le titre m’arrache un ricanement moqueur.

Portant la bouteille à mes lèvres, je grimaces en constatant qu’effectivement, on est bien sur du gros bas de gamme. C’est encore moins bon que le rhum de la cachette de Crook, faut vraiment être désespéré pour boire de son propre chef ce truc immonde.

— Tu marques un point, je railles avec un air moqueur.

Mais quelque part, ça rappelle le bon vieux temps des soirées arrosées sur le pont du bateau et autour du feu de camp, avant que tout ne dégénère pour de bon et que ce sale capitaine se taille avec son épave.

Captant le sourire de Genzo, je me demande si c’est ce que cette bouteille lui rappelle, à lui aussi. C’est peut-être notre bouteille de Proust, si ça se trouve. La madeleine des naufragés désespérés de ne plus trouver du rhum nulle part.

Se décidant finalement à me répondre, il expose les raisons de son absence un moment. A la fin de son court discours, je me fends d’un sourire railleur.

— Ouai, merci de m’accorder ce grand privilège, monsieur Genzo, je rétorque en effectuant une brève révérence des bras, tête baissée et bouteille à la main.

Il n’a pas tort. Tout le monde commence à en avoir ras le bol du palais. Au moins, les serviteurs essaient - à contrecœur, il faut le dire - de nous confier des tâches, de nous intégrer à la vie palatiale, peut-être en prévision de notre remise en liberté. Mais ce n’est pas suffisant pour tout le monde. Sauf que les autres n’ont pas les mêmes compétences que Genzo pour se faufiler entre les mailles du filet royal.

— Plus sérieusement, je comprends, je souffle. J’espère qu’on pourra rapidement se sortir de cette situation.

Reportant mon attention sur Genzo, je réfléchis à sa question avant de le considérer d’un air moqueur. Il ne lui est pas destiné, bien au contraire. Une fois la bouteille dans sa main, je m’attarde sur sa question, lissant un instant ma moustache.

— J’espère que ces gens sont quand même différent des Amerloques, sinon on est vraiment dans la merde, je soupire, avant de continuer : mais si toi ou d’autres continuez de manquer aux appels, nos libertés vont être de plus en plus réduites et ça, personne ne le veut. Si tout le monde se comporte sagement ou se fait discret, ils auront confiance en nous. Faut voir ça sur le long terme.

Parce que c’est pas Crook qui va surgir des mers avec une armée pour vous sauver.

— Mais oui, plus je suis loin des autres là, mieux je me porte. Mais comment t'as fait pour t'échapper d'ailleurs, t'es plutôt inratable comme gars !

Désignant la bouteille, une idée me vient.

— Dis, tu crois pas qu’on mérite mieux, comme boisson ? Les gens de cette île ont beau vivre mille ans dans le passé, je crois que l’invention de l’alcool remonte à la nuit des temps… avec un peu de chance, on devrait pouvoir en trouver quelque part…

Regard pétillant de malice.

— Tant qu’on se fait pas remarquer, ça devrait le faire… t’en dis quoi ? Ça nous évitera de tout ressasser comme deux vieux, même si ton coin de paradis est vachement sympa.

Durant ma dernière escapade solitaire, j’ai appris que ce peuple n’était pas foncièrement hostile. Ils ne se dévorent pas entre eux, ne font pas la guerre, et vivent selon une certaine harmonie depuis peut-être des siècles.

Ça ne devrait pas être une entreprise risquée, si ?

— Mais faut pas gâcher, alors on va finir celle-là, avant.

Peu de chance qu’elle vous fasse quoi que ce soit, de toute manière.

L’attitude de Genzo m’avait toujours intrigué. A mi-chemin entre le pote ingérable et l’oncle étrange aux milles et un tours dans son sac, il avait toujours un truc amusant à dire, quand bien même il essayait de parler d’un sujet très sérieux.

En l’entendant parler de ses compétences de ninja, je pouffe.

— Et moi je suis les rois des tacos, c’est ça ? je rétorque avec un sourire amusé.

Maître ninja et roi des tacos, ça pourrait avoir de la gueule dans un énième remake des power rangers.

Je ne relève pas sa blague et ne cherche pas à découvrir le secret qui lui a permis de s’échapper au regard attentif des gardes qui nous surveillent depuis quelques temps déjà. L’imaginant parfaitement faire du charme à l’un d’eux, je renonce plutôt facilement à obtenir le moindre détail.

Mes propositions attisant peu à peu l’intérêt de Genzo, j’observe avec un regard complice un large sourire s’étirer sur son visage. Ça ne présage évidemment rien de bon, mais ça présage quelque chose, et ça a son importance, à un moment où tous les jours se ressemblent.

Saisissant la bouteille tendue par mon compère, j’en bois deux gorgées avant de la reposer sur le sol en reportant toute mon attention sur l’asiatique pour écouter ses suggestions. A n’en pas douter, il aura un plan, quelque chose pour que nous puissions parvenir à nos fins.

Et quelles fins ! Du vrai alcool, enfin !
Une merveille de la nature, certainement élaboré avec soin.
Rien à voir avec notre piquette improvisée, donc.

Peut-être qu’en rentrant au palais, nous pourrions en rapporter dans nos vêtements, qui sait. l’idée de travestir Genzo traverse fugacement mon esprit - fugacement parce que je me débarrasse bien vite de cette image.

Ses idées me ramenant sur terre, je jette soudain sur lui un regard outré.
C’est qu’ils n’ont pas fini d’essayer de me faire briser mes vœux, ces vauriens.

Détournant le regard, je porte celui-ci sur l’étendue d’eau.

— S’il s’agit de manipulation, pourquoi pas, mais tu sais très bien que je suis un homme fidèle, n’est-ce pas ? Pas question d’aller plus loin… pas d’amusement pour moi, j’annonce fièrement en croisant les bras.

Mais il envisageait tout de même la possibilité de suivre Genzo dans un plan de drague bidon. Et si l’idée de tromper Chelsea - quand bien même celle-ci avait rompu leurs fiançailles, rappelons-le -, la perspective de manipuler de pauvres indigènes pour leur soutirer une ou deux bouteilles d’alcool ne lui faisait ni chaud ni froid.

Peut-être parce qu’il doutait sérieusement de leur réussite…

Je reprends une nouvelle dose du breuvage qui a certainement eu bien trop chaud pendant le voyage entre le campement et le palais et darde un regard déterminé sur Genzo.

— J’ai cru comprendre qu’ils ont de bons médecins sur cette île, je doute de pouvoir leur échanger un remède miracle contre de l’alcool, je soupire.

Je réfléchis à mon tour, jusqu’à ce que le cri de mon voisin me fasse violemment sursauter. Braquant un regard paniqué sur lui, je m’attends à voir un prédateur dans les environs, avant de remarquer le coléoptère.

— Dios mio, mais tu vas m’avoir à l’usure, Genzo.

Mes yeux roulent dans leurs orbites alors que j’éclate de rire face au manque de crédibilité de mon interlocuteur, rassuré, tout de même, de ne pas avoir à choisir entre se faire dévorer sur place ou détaler face à une bête sauvage.

— Tiens mais j’y pense, et si on jouait les artistes de rue ? On pourrait se faire de la monnaie locale ! j’annonce, peut-être un peu trop enthousiasmé par l’alcool. Tu aurais juste à chanter ton répertoire favori, c’est sûr qu’ils ne connaissent rien aux classiques de la variété américaine, ici ! A coup sûr ça les transportera…

Je marque une pause, à la limite du fou-rire.

— Et si ça ne marche pas, tu pourras toujours aller chanter la sérénade aux dames de la ville…

J’ai du mal à articuler les derniers mots, tant l’image me plie en deux de rire.

« Je sais que tu es fidèle ».

Je détourne le regard, le cœur lourd, et après avoir englouti plusieurs gorgées d’alcool, je pose une joue dans ma main, fermant les yeux. Si seulement c’était vrai. Pourrais-je seulement me pardonner toutes mes pensées, tous mes actes ? La distance et le temps justifient-ils que l’on piétine en quelques mois à peine des années de relation ? Je n’ai aucun doute sur la persistance de mon amour pour Chelsea… mais quelle est son intensité ? Son poids dans mon cœur ? N’ai-je pas à plusieurs reprises fait d’impardonnables faux pas, fautant comme un mari au cœur aigri ? Dans la Bible d’Alan, je serais déjà condamné pour péché de regard ou de pensée, et les douces et bienveillantes paroles du borgne ne font qu’enfoncer le couteau dans mes plaies ouvertes.

Et maintenant, je continue de proférer des paroles imbues, qui sonnaient auparavant comme la vérité, devant des gens qui n’ont pourtant rien à faire de mes histoires de cœur… quoi que Genzo me semble être quelqu’un de particulièrement attentif à autrui.

C’est moi, le monstre, en vérité.
Mon regard se voile.
Quelle étincelle ?

— Tu serais bien le premier, je soupire, c’est presque à croire que l’univers entier essaie de me faire tourner la page…

Mes pensées dérivent dangereusement vers une certaine demoiselle un peu trop insistante, avant que je parvienne à en reprendre le contrôle. Combien de temps encore invoquer mentalement Chelsea comme un exorcisme m’aidera-t-il à ne pas m’écarter de nos vœux et de mes promesses ?

Je jette un bref coup d’œil vers mon alliance.
L’anneau, autrefois synonyme de réjouissance, semble me broyer les os et me brûler la peau depuis quelques temps.

Le son des mains de l’asiatique m’arrachant à mes pensées avec un nouveau sursaut, j’esquisse un léger sourire en direction du borgne, avant de prendre à nouveau une gorgée d’alcool.

— Pas de souci, les insectes de me dérangent pas, je m’esclaffe légèrement. Merci pour ces mots, Genzo, ça me redonne foi, tu sais.

J’écarte la bouteille, l’approchant de lui, pour m’éviter de céder au caprice de mon esprit malmené. M’écoutant attentivement, le brun finit par se fendre d’un sourire carnassier qui en dit long sur ses pensées.

Eclatant de rire, j’imagine déjà la scène.

— On va me prendre pour un proxénète, t’en as bien conscience ?

L’avantage, c’est que j’ai déjà vu ce genre de spectacle, en version bien plus miséreuse, dans les rues de Sinaloa et que je sais parfaitement comment fonctionne la mendicité - car il faut appeler un chat un chat, aussi attrayante soit-elle -, même déguisée sous du fard à paupières et des paillettes.

— Par contre Genzo, tu dis « on » mais je doute de savoir me déhancher aussi bien que toi, je raille, m’imaginant assez mal suivre le rythme de cet animal de la danse.

Un large sourire s’étire sur mon visage amusé.

— Mais le reste me va, j’espère juste que les gardes ne feront pas partie des spectateurs, ou je compte sur toi pour les charmer eux aussi.

Le borgne se redressant, mon regard remonte vers lui pour suivre son unique mirette. Pour une fois qu’il me surplombe, je le laisse en profiter un petit moment et ne me relève pas. Devant sa pose, je pouffe avant de répondre très sérieusement :

— J’imagine que oui, mais je doute que les escarpins soient très rependus ! Tu n’as pas vu les chaussures compensées de certaines dames de la cour ? Regarde les pieds de ces gens, quand tu les trouves grand, tu seras peut-être surpris, j’achève avec un clin d’œil.

Je me relève avec un peu de mal et époussette mes vêtements.

Avisant la bouteille, je remarque qu’il n’en reste pas énormément.

— On finit le reste en route ?

Comme quoi, ce n’est pas la distance qui m’empêchera de penser à la boisson colorée, peu importe son amertume.

Éclatant de rire face au cliché énoncé par Genzo, les larmes me montent aux yeux. Pour le coup, je ne sais pas s’il faut commencer à douter de notre performance ou se dire que si ça correspond aux clichés… c’est qu’on est FAITS pour ça.

Emporté par le geste de Genzo, je me retrouve sans trop comprendre pourquoi assez proche de lui, pendant qu’il semble me passer au peigne fin du regard. Oh-oh, je crois que j’ai réveillé la diva en lui, et pour peu que ça lui prenne, il risque de vouloir faire de moi son prochain cobaye… sauf que je ne suis vraiment pas fait pour ça.

Certes, avec Alan, on a veillé à entretenir notre forme, entre siestes bien méritées et séances de musculation tous les deux jours… mais ça ne fait pas de moi un gogo-danseur né, au contraire de Genzo.

— D’ailleurs, les hommes aussi portent des chaussures hautes, c’est assez étonnant, je me permets d’ajouter.

La mode de ce peuple a l’air complètement étrangère aux notions de genre, et ça fait plaisir à voir, surtout lorsqu’on vient des Etats Unis. En Amérique du sud, j’avais pu croiser le chemin de stylistes spécialisés dans les vêtements féminins portés par les hommes, ce genre de chose. Avec un sourire, je me remémorais la boutique de chaussures à talon faites sur-mesure pour les hommes, à Buenos Aires, en me disant que c’est une adresse qui intéresserait peut-être Genzo.

Appréhendant légèrement la suite, je suis néanmoins sans broncher ses pas de danse, entraîné par l’alcool et sa mine goguenarde, à laquelle on ne refuse rien, une fois que le Japonais a endossé son rôle de starlette.

Un peu secoué par les pirouettes, je ne proteste pas lorsque Genzo s’écarte. Enfin, jusqu’à ce que je comprenne ce qu’il voulait dire par « un petit cours ». Sourire crispé sous ma moustache, je frotte l’arrière de ma nuque d’une main et balaye l’air de l’autre.

— Sans façon ! Je n’ai pas… ton talent.

Mes yeux roulent dans leurs orbites et je pousse un long soupir résigné devant le regard brûlant de passion du Japonais.

— Mais pourquoi pas… ahem ! si tu y tiens.

Peut-être que ça nous permettra d’atteindre notre objectif plus rapidement ? Même si, bien que j’accepte de faire ça au milieu de cette forêt, il est hors de question que cela se reproduise en public.