« I wanna hide the truth, I wanna shelter you
But with the beast inside, there's nowhere we can hide, no matter what we breed, we still are made of greed, this is my kingdom come »

L'art de la commission

Son bâton de prêtre sur une épaule, une bestiole emplumée sous l'autre, Thadas passa du chemin pavé au sentier vers la forêt, les pensées en tumulte, bien qu'il s'efforçât de les purifier un maximum.
Cependant, le gris qui venait tacher le cyan de son esprit y était comme accroché, tel un vilain nuage ; sombre reste de feu l'ouragan. Sa mine était de fait légèrement assombrie par les événements, bien que son tempérament bon vivant lui permettait de mieux encaisser ce qu'il s'était passé il y a peu de mois.
Quelques mois dans la trame temporelle ; des jours dans l'âme collective d'Ijoba, c'est ce qu'il ressentait profondément. Cela faisait plus exactement deux mois et demi, et la vision de tout Ijoba déchirée par les ravages lui serrait le cœur comme jamais.
Putain, en plus, l'ouragan n'a même pas épargné l'un de ses bordels préférés à Isokan !!... *toussote*.

Enfin, ceci n'était qu'un petit détail ; ce qui préoccupait le plus son esprit, c'étaient toutes les pertes, qu'elles soient humaines ou matérielles. Ça lui fichait aussi un coup de ne pas avoir senti venir de loin cette catastrophe. En tant que Grand Prêtre, il aurait souhaité avoir des messages plus clairs, afin de sauver le plus de personnes possibles du carnage. Et plus tôt.
En effet, environ une demi-heure avant que le malheur ne s'abatte sur l'île, il avait bien senti quelque chose arriver. Cependant, il ne l'avait pas dû à ses talents divinatoires, mais à ses capacités d'observation.
Tout commença par les oiseaux. Alors qu'il était à côté du temple d'Oorun, il s'était rendu compte que les chants des oiseaux avaient cessé. Levant les yeux, il vit des nuées s'enfuir à tire-d'aile du lieu, pour se mettre à l'abri.
Thadas trouva cela très curieux, et plus que perturbant.
Toutefois, pas autant que lorsqu'il prit rapidement conscience que, s'il y a quelques heures, des dizaines de chats traînaient autour de lui en ronronnant, ils avaient subitement disparu.

C'était mauvais signe.
Une drôle de sensation fit alors frissonner l'arrière de ses tripes, remontant jusqu'à son échine courbée.
Qu'est-ce que cela veut bien dire ?

Et puis, le calme. Pas un calme apaisant, serein, harmonieux. Non. C'est comme si l'on avait aspiré la moindre onde sonore du monde. Il n'y avait pas une seule caresse du vent pour faire trémousser le feuillage des arbres.
Thadas s'était même immobilisé pour écouter cet insoutenable silence, les sens aiguisés comme jamais.

Sinistre hurlement d'aigle.


C'est alors que le chaos commença.
Une rafale d'une puissance comme jamais connue balaya l'asphalte, percutant objets et êtres vivants avec la même violence qu'une vague de plusieurs mètres de hauteur. L'oxygène s'enfuyait, et ne semblait pas vouloir être capturé par les poumons des terrestres, les branches des arbres les plus fragiles commencèrent à grincer désagréablement.
Thadas planta son bâton devant lui, se campant fermement dans le sol, sentant tout d'un coup le danger surgir alentours, comme s'il avait été là depuis bien longtemps et qu'il se cachait, attendant le bon moment pour sauter à la gorge des Ijobiens. Ses habits battaient une mesure irrégulière sur sa peau, et le ruban blanc maintenant habituellement ses cheveux disparut dans le tumulte. Serrant les dents, il s'efforça de faire quelques pas, sentant l'urgence d'agir au plus vite lui prendre au ventre.

"Dei, dea, deum, nous, Afefe, je Te prie de m'aider à passer indemne l'épreuve de Ta colère et faire de même pour tous ceux n'ayant pas fini leur vie !! Apporte-moi Ta force et Ta vaillance pour sauver ceux qui doivent l'être !"  , envoya-t-il mentalement avec toute la puissance dont il était capable.

La bourrasque se fit beaucoup plus agressive, envoyant des petits rochers tranchants qui éraflèrent légèrement les côtés du visage de l'homme.
Thadas ne savait pas ce qui avait provoqué un tel courroux, mais Afefe ne semblait certainement pas vouloir coopérer, et même tout le contraire. Orun grondait et tonnait, l'air s'épaississait et se faisait tumultueux.




Le vent s'intensifia, et les premiers objets commencèrent à voler farouchement au petit malheur la malchance, et la pluie tomba par trombes des nuages menaçants et tonnants, qui dès lors se mirent à jouer de leur éclairs et de leurs tonnerres.
Symphonie de la destruction n°2 pour orchestre naturel.
Thadas gronda férocement de frustration, les mâchoires serrées en un rictus déterminé.
Quitte à ne pas réussir à calmer Afefe pour l'instant, il fallait qu'il aide à protéger les démunis ! Les mettre à l'abri dans les temples, avec l'aide d'autres prêtres, ou encore mieux, au château ! Bon sang, il espérait que cette espèce de chiure d'Ode faisait bien son boulot et protégeait la reine, car, là, Thadas ne pouvait pas mener la bataille sur deux fronts !!




Thadas ferma les yeux et se mit à réciter rapidement des formules en langue ancienne, invoquant dans son propre corps la senteur marine dont il s'était tant délectée lors de ses passages à Aisiki.

"Utilise-la à bien, mortel, que mon aide ne soit pas vaine." , siffla une voix après quelques secondes.

Une sorte de léger chemin, comme une faille, se dégagea dans le mur imparable de vent, devant Thadas, qui ne perdit pas un instant de plus et détala en évitant le plus habilement possible les missiles volants. Les gens paniquaient de toutes parts, voyant les toits de leurs maisons se décrocher petit à petit pour s'envoler en éléments disparates et fatals.
Il y avait trois temples dans le village : ceux d'Oorun, d'où vient Thadas, celui d'Iseda, et enfin, celui d'Imo.

- Mon bébé !!  , sanglota une femme qui tendit un bras désespéré vers la petite masse enveloppée de doux tissus, qui s'en fut avec le vent.

Thadas les enserra, elle et celle qui semblait être sa compagne, d'un bras protecteur, et les dirigea dans l'antre d'Iseda, qui à coup sûr saurait mieux apaiser leurs cœurs meurtris que des bonhommes comme Oorun et Imo. Toutes les personnes que Thadas guida à grand renfort de cris se laissèrent en grande majorité diriger comme des troupeaux, trop épouvantées, affectées ou choquées pour refuser la présence rassurante du Grand Prêtre. Ce dernier pria brièvement le trio divin de bien vouloir accueillir tous ces rescapés.
Des prêtres et des gardes suivirent l'exemple de Thadas et rapatrièrent au mieux les survivants et les blessés.
Cependant, l'ouragan se faisait de plus en plus mortifère, et chaque seconde de resté dehors était une seconde de péril, qui les rapprochait au plus près du sein d'Iku. Quand des troncs d'arbres et des rochers d'une taille effrayante se mirent à voltiger, ce fut le terrible signal pour que les sauveteurs aillent se sauver eux-mêmes dans les temples ; ils devaient aussi essayer d'apaiser les habitants agités par le désastre qui se déroulait sous leurs yeux.

Thadas fut le dernier à pénétrer dans l'antre du dernier temple où il restait assez de place, rageant de ne pas pouvoir retourner au château pour s'assurer de la sécurité de ses proches ; comme beaucoup d'autres humains dans son cas, en somme. Cependant, il laissa ces états d'âme-là de côté, et se concentra pour ériger une puissante barrière de protection énergétique autour des trois temples, plaçant des cristaux là où ils ne seraient pas arrachés, et les reliant entre eux avec un fil d'énergie qui se déploya, avec l'aide des dieux des sanctuaires. Le Grand Prêtre courut entre chaque temple pour installer ses protections, enchaînant à toute vitesse ses prières, espérant à chaque seconde qu'il n'arriverait pas trop tard ; jamais son tatouage au bras ne lui avait été aussi utile.
C'est finalement un autre prêtre qui le tira limite à l'intérieur, quand il eut fini.

Il eut raison, car Thadas aurait bien été capable de foncer au château malgré sa sempiternelle prudence.


Puis, après le temps d'intense action, vint l'insupportable moment d'attente.

La ville serait probablement ravagée. Et pas uniquement. Les gens aussi.
Thadas, après avoir reprit son souffle, en appela à son légendaire sang-froid. Un silence de plomb régnait dans le sanctuaire, dérangé par les claquements de dents de certains, et les pleurs d'autres. Le Grand Prêtre se plaça en face de l'assemblée.




Il était rare de voir Thadas les cheveux détachés ; cela semblait à la fois le vieillir un peu et à la fois lui donner un côté plus paternel que d'ordinaire. Des faces pâles d'angoisses et de douleur étaient amassées devant, les yeux s'apaisant un peu.


Thadas se souvint pendant cette attente s'être inquiété du sort de son ami Nashoba, qui vivait dans les bois.

Heureusement que quelqu'un trouva Nashoba avant qu'il ne soit trop tard, car si on ne lui avait pas administré de soins, il aurait été incertain qu'il se tienne debout encore aujourd'hui.
C'est un jour, un de ces jours mouvementés d'après la catastrophe, où Thadas rendait visite aux soigneurs pour répandre des bénédictions et essayait d'apaiser les victimes, que Thadas trouva l'espèce de grizzly attitré d'Oluh. Imaginez Thadas qui entre dans l'antre d'un soigneur avec sa tête sérieuse et les traits un peu fatigués, et, deux secondes plus tard, à la vision de son ami vivant et allongé avec sa tête toujours en mode vioque féroce, ses yeux s'exorbiter et sa mâchoire tomber légèrement de surprise de façon presque comique.
C'aurait été assez drôle, les courtes secondes durant lesquelles le Grand Prêtre garda cette expression stupéfaite, si voir ce crétin dans l'état dans lequel il était ne fut qu'uniquement un immense soulagement, et non pas aussi une nouvelle source d'inquiétudes.

Thadas, après l'ouragan, s'était de fait rendu à l'espèce de cabane qui sert de maison au poly-homme, cependant, l'état plus qu'inquiétant de cette dernière avait commencé à lui faire croire que le sinistre avait fini par emporter l'imbécile avec lui. Thadas s'était bien douté que, avec une tête de mule pareille, il faudrait un colosse pour en venir à bout, car même armé d'un cure-dent, il s'avérerait être un tenace adversaire en face d'un ours.

Il n'avait pas été sûr de si l'increvable bourrique qu'est Nasho survivrait à l'infection, et pourtant, ce nigaud y parvint.
Et heureusement.


C'est donc environ deux mois et demi après tous ces événements que Thadas se dirigeait de nouveau vers là où habitait son ami, dans la forêt. Le temps s'était calmé, mais les âmes étaient toujours agitées ; c'était compréhensible.

- Nasho, t'es là ? J'ai un colis pour toi, tête de mule.  , gueula Thadas en mettant sa main en porte-voix, un large sourire sur ses lèvres.

Il s'agissait d'un coq empaillé. Thadas n'aurait pas trop aimé ce genre de cadeaux carrément étranges, mais de toute façon, il ne lui était pas destiné. Il s'agissait d'une tisseuse qui semblait reconnaissante envers Nashoba pour quelques services rendus ou il ne savait plus trop quoi, et comme elle craignait qu'il refuse ce cadeau de rétablissement, Thadas s'était proposé pour le lui porter ; de toute façon, il comptait justement aller visiter son ami, histoire de voir comment il survivait.
N'oubliez pas que Thadas a des capacités de persuasion redoutables.

« FEAT @Nashoba Octoahnacto »

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

« I wanna hide the truth, I wanna shelter you. But with the beast inside, there's nowhere we can hide. No mattert what wee breed, we still all made of greed. This is my kingdom come »

Plume(s) d'une histoire

Une terrible bataille semblait avoir eu lieu autour de l'ermite, car gisait ci et là des restes brisés de ce qui fut l'ossature de sa demeure. Quel carnage !

- Thad’ ! Vieux frère ! Comme je suis content de te voir !  , lança son ami d'un ton enthousiaste, avec un sourire qui ne pouvait qu’agrandir celui déjà présent sur le visage du religieux.

Nashoba s'était prestement avancé dans une attitude amicale, semblant particulièrement content de voir un mec en chaussettes-sandales débarquer chez lui.
Thadas avait attendu tellement longtemps, patientant farouchement, de pouvoir apprécier la gueule dubitative que n'aurait pas manqué de tirer l'ours d'Oluh.
Il ne fut pas déçu.

- C’est quoi cette merde ?

Thadas éclata d'un rire tranquille, décidant de graver le visage de son ami à cet instant précis dans le groupe des mémoires les plus hilarantes de son existence. Amusé, et joueur, son bâton de prêtre planté dans le sol et posé contre son épaule, il fit une légère pression de l'index sur le front du barbare, avec un ton sermonneur qui ne concordait pas vraiment avec l'expression de son visage.

- Dis donc, c'est comme ça que tu accueilles le cadeau d'une gente dame ? Mon-vieux-mon-vieux, ce n'est pas digne d'un gentleman comme toi.

Un sourire de bandit sur la face, Thadas n'attendit pas et plaça le coq dans les mains de Nashoba, se libérant de ce fardeau.
Enfin, il est Grand Prêtre, tout de même, pas facteur. C'est sympa de briller devant la gente féminine, mais faut pas que ça prenne toute la journée quand même. De son bâton métallique et tintant, il tapota légèrement une des épaules de son pote, et fit, cette fois un peu plus sérieusement, ses yeux plissés en deux croissants diplomatiques :

- C'est étonnant, mais mine de rien, y'a des personnes autres que moi-même qui s'inquiètent de ton état... Donne-leur des raisons de ne pas se faire du mouron, hm ?

Ajoutez à cela un léger haussement des zygomatiques, et voilà des paroles dites d'un air entendu.

- Alors, voyons voir de plus près...  , changea de sujet Thadas, se dirigeant vers le massacre boiseux.

S'il agissait à la fois calmement et nonchalamment, il ne pouvait empêcher son cœur de se pincer à cette vision. Déjà, parce que c'était une sacrée baraque qui avait été faite avec peu de moyens et la force de deux bras vaillants, tous seuls, pendant des années. Bien que le sens esthétique n'ait pas vraiment été à l'appel lors de cette construction, rien que tout le boulot que ça avait demandé et le résultat final plus que fonctionnel, imposaient le respect.
Ensuite, parce qu'il ne pouvait imaginer à quel point ça devait affecter Nashoba.

Thadas avait du mal à se mettre à sa place car contrairement à son ami, il n'avait jamais eu à se soucier de manquer d'un toit et que s'il lui prenait parfois de dormir à la belle étoile c'était juste pour un plaisir oisif, et non pas parce qu'il n'avait pas le choix. De plus, bien qu'il squattait surtout le palais, sa petite hutte personnelle où il stockait principalement son matériel religieux ou encore la maison familiale des Hallrar, ce n'étaient autres que des ouvriers hautement qualifiés qui les avaient édifiées.
Quand on a de l'argent, tout est plus simple ; quand il s'agit du domaine du matériel tout du moins.

Thadas se gratta l'arrière de la tête. Hmmmm.
Il tourna de nouveau sa tête vers son ami et respira profondément un coup puis posa son regard en particulier sur le bras qui quelques semaines avant était pour le moins salement amoché.
Il le désigna vaguement.

- C'est réjouissant de ne plus voir ton bras avec une attelle. Il eut un léger sourire en coin qui adoucit l'air concerné qui luisait discrètement au fond de ses prunelles sérieuses. Ça faisait vraiment bizarre de te voir avec... Hm. Plus sérieusement...

(Ou comment féliciter quelqu'un de son rétablissement, l'air de rien.)
Le Grand Prêtre avait conscience qu'il se lançait dans un chemin gravillonneux, mais de toute façon, faut bien que ce sujet arrive dans leurs discussions à un moment ou un autre. Il se dégagea les cordes vocales, et continua d'une voix plus claire.

- Tu comptes vraiment tout reconstruire tout seul ?

« FEAT @Nashoba Octoahnacto »

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

« I wanna hide the truth, I wanna shelter you. But with the beast inside, there's nowhere we can hide. No mattert what wee breed, we still all made of greed. This is my kingdom come »

Thadas écouta calmement et sérieusement son ami relâcher tout ce qu'il avait sur le cœur. Il le connaissait bien, le vieil ours, et il savait que si on le laissait seul avec ses galères il avait tendance à tout garder en lui du moins quand il s'agissait de ses problèmes. Aider son ami à s'alléger de ce fardeau émotionnel réjouissait le prêtre.
Il savait mieux que quiconque que parler à quelqu'un de confiance soulage toujours les maux de cœur.

Toutefois, ça marqua fortement Thadas de voir son vieux comparse dans cet état. Il remarqua des cernes et des rides nouvelles dont il n'avait jamais eu conscience jusqu'à présent. Il paraissait... affaibli. Ou du moins pris de la fatigue causée par la lassitude. Dieux, il sembla si vieux à un instant. Le Grand Prêtre ne put s'empêcher de ressentir de nouveau un peu d'inquiétude, mais ça le rassura un peu de voir que le bougre continuait d'avoir de la suite dans les idées, et que malgré la perte de sa maison, il s'accrochait, telle la tête de mule qu'il avait toujours connue.
C'était un coup dur, mais il sentit qu'il s'en remettrait ; la preuve, il est déjà prêt à changer de cap.
Et bien sûr, le tatoué comptait l'aider autant que possible à faire ce changement (possible dans le sens où c'est autant que le lui permettra Nashoba). Ah non parce qu'avec cette andouille, il faut des fois s'engueuler avec et s'imposer pour lui apporter de l'aide.

En même temps, Thadas ne pouvait pas trop le lui reprocher car il respectait profondément cette allégorie vivante de l'indépendance et du galérien. Il le respectait d'autant plus que ce n'était pas une "indépendance partant dans tous les sens en grand n'importe quoi" ; non, Nashoba était quelqu'un de très organisé et rigoureux. C'était probablement ces qualités premières, avec sa détermination, qui avaient tout de suite plu à Thadas.

- Bon, je pense que pour aujourd’hui, je vais m’arrêter là. Demain, je chercherai sûrement un endroit adéquat, éventuellement, je reviendrais ici récupérer ce que je peux sauver. Mais là, j’ai pas envie.

Thadas lui donna un regard calme et compréhensif, restant silencieux, mais communiquant d'autant plus aisément son amitié au bougre. Avec un air sincèrement conciliant, il lui fit une petite tape dans le dos et laissa sa main sur son omoplate droite pour apporter un peu de chaleur humaine afin de chasser cette tristesse qui l'habitait. Thadas n'avait pas pitié - de toute façon, si lui-même le prendrait mal qu'on ressente de la pitié pour lui, il ne doutait pas que ça rendrait soit Nashoba furieux, soit que ça le décevrait. De la pitié, ce n'était pas de ça dont l'artisan avait besoin. C'était de la présence, du soutien qu'il lui fallait, s'il le souhaitait. Thadas était prêt à apporter son soutien à son frère d'armes n'importe quand, n'importe où, et autant qu'il le pourrait. Il espérait qu'il le sentirait à travers son attitude malgré ses troubles émotionnels.

- Hey, ça te dirait qu’on aille à notre taverne ? Même si le tenancier est différent, je crois qu’elle a été réouverte, et me taperais bien une liqueur, perso.

Au tour de Thadas de se faire tranquillement patpat l'épaule.

- Je te paierais un jus de fruit, si tu veux.

Thadas lui rendit son sourire, son bâton de prêtre chantant légèrement à chacun de ses mouvements, et lui répondit de sa voix grave, un peu taquin - histoire de détendre un peu l'ambiance quoi :

- Décidément, tu me connais bien... On dirait PRESQUE que ça fait des années qu'on se connaît. Thadas lui fit un clin d’œil. Je payerai la deuxième tournée va.

Et en route pour le pays de l'éthanol.
De ce que Thadas savait, l'ancien tavernier était encore en convalescence des suites de l'ouragan... Il espérait qu'il s'en remettrait, déjà parce que c'était un chic type, et ensuite parce que c'était un excellent informateur.

[PLAY THE MUSIC IN THE TITLE]

En ce début d'après-midi, bien que la taverne gardât son éternelle ambiance chaleureuse, on ne pouvait pas dire qu'il y avait grand monde. Tant mieux ; ça leur faisait plus de choix de tables. Thadas fit un petit signe de main au barman pour le saluer, ainsi qu'à une prêtresse ivrogne qu'il connaissait fort bien et qui se terrait au fond du bar. Elle vit à peine son geste de salut, écroulée sur sa table jonchée de choppes vides dont certaines dégoulinaient sur le parquet.

Il posa son sempiternel bâton contre le pilier à côté de la table choisie par eux, et s'installa sur la chaise de bois tendre (joli boulot d'ailleurs, pour une chaise de bistrot). C'est fou, on aurait presque dit qu'il n'y avait jamais eu d'ouragan les réparations quasiment toutes finies. Faut dire que tous les ivrognes du coin, craignant que leur repaire prenne trop de temps à se remettre dans le circuit, avaient prêté une main vigoureuse et étonnamment motivée à sa reconstruction. Si le Grand Prêtre avait su que l'alcool avait un tel effet sur les gens... Il se peut d'ailleurs qu'il soumette l'idée plus tard, si jamais il y a besoin de main-d'oeuvre enthousiaste : proposer des boissons gratuites aux volontaires... Mais il faudrait qu'il fasse en sorte que ça soit rentable et que ça ne devienne pas ingérable financièrement ni moralement.

Les boissons commandées, elles ne tardèrent pas à apparaître comme par magie devant les deux amis. Thadas leva son verre pour trinquer.

- À l'homme le plus tenace d'Ijoba et à sa future baraque.

Thadas disait ça avec sincérité, mais en attendant, une autre idée lui trottait fortement en tête depuis tout à l'heure, et il sentit que c'était le bon moment de l'exposer.
Il but tranquillement une gorgée sucrée du jus de raisin, leur laissant à tous deux le temps d'atterrir calmement à la taverne. Puis, il prit une inspiration, et parla d'une voix tranquille et posée.

- En attendant... Tu sais, si jamais tu n'as pas de toit sous lequel t'abriter, j'ai ma hutte où j'ai mon matériel religieux... Je sais que les palaces, c'est pas trop de ton goût, sinon je t'aurais carrément proposé une chambre au palais mais si tu le souhaites, ça ne me pose aucun problème que tu squattes. Ses ambres étaient plantées dans les yeux de l'artisan, bienveillantes et franches, l'étudiant. C'est très calme, à la fois pas trop loin de la ville et isolé de la cohue urbaine, à côté d'un bout de forêt. Il glissa lentement son index le long du verre, l'aura assez sereine. Si ça peut t'aider, c'est de bon cœur que je te la laisse..... T'y réfléchis... puis tu me dis ?

Et puis, ce n'est pas comme si Thadas vivait dans la précarité la plus extrême, bien au contraire.
Quelques instants pendant lesquels le prêtre agite doucement le liquide grenat, observant attentivement les reflets dorés de la lumière qui révélaient les entrelacs rosés du liquide.
Peut-être qu'il serait temps de changer de sujet, sinon ça risquait de balayer la pièce d'une nouvelle vague de déprime et ce n'était pas trop le but. Thadas ricana légèrement.

- Putain, ça fait six ans mec, ça ne nous rajeunit pas. Six ans.  Nouvelle gorgée. Tu te souviens de notre première rencontre ?

Qui eut crû qu'elle les emmènerait si loin, jusqu'aujourd'hui ?

« FEAT @Nashoba Octoahnacto »

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

« I wanna hide the truth, I wanna shelter you
But with the beast inside, there's nowhere we can hide, no matter what we breed, we still are made of greed, this is my kingdom come »

L'Ours d'Oluh

Six ans plus tôt.




Les amphores étaient éclatées au sol. En soi, le fait qu'elles soient des amphores brisées n'était pas dramatique, le problème était qu'elles étaient sacrées. Les prêtres d'Oorun comptaient les utiliser dans la semaine qui vient pour un rituel en l'honneur du dieu solaire, un procédé à base de plantes, de fumigations et de chants holistiques. C'était un événement heureux censé apporter la bonne fortune sur les Ijobiens, mais il risquait de ne pas avoir lieu si l'on ne fabriquait pas de nouveau de superbes jarres, et l'on connaît le sens de la rigueur de Thadas. Il avait choisi tout spécialement celles-ci il y a deux ans en modèle limité. Il n'était pas certain de pouvoir retrouver l'artisan qui les avaient faites à temps.

Le fautif d'un tel carnage ? Un petit con qui voulait s'amuser à se planquer dans l'une d'elles pour une partie de cache-cache avec ses amis. Bien sûr, comme en plus d'être con il était pas aidé, l'urne dans laquelle il était en train de se réfugier tangua et la scène se dégrada tel un fatidique écroulement de dominos.

- P-p-pardon G-g-g-grand P-prêtre, j-je-je, je v-voulais p-pas...




Putain, y'en a pas une d'épargnée, c'est un vrai massacre.
Il posa fermement sa main sur l'épaule de l'adolescent, ses ambres brûlant ses yeux de leur sérieux, et tonna d'un calme ampli de sévérité.





- T-tout de suite !

Alors que le jeunot s'affairait hâtivement à sa punition - avec ma foi un petit air dégoûté, mais peut-être rassuré que le Grand Prêtre ne lui ait pas balancé quelques foudres magiques droit dans la gueule (un personnage aussi balèze doit bien avoir des techniques du genre, enfin peut-être, non ? On ne sait jamais...) - , le religieux sortit du temple d'un pas pressé, ne lâchant pas du coin de l’œil le garnement jusqu'à ce qu'il soit dehors.
Les jeunes de nos jours.... Aucun respect. Moi je vous dis, de mon temps, c'était pas comme ça.

Oh merde, le voilà qui parle comme un vieux alors qu'il vient fraîchement d'atteindre la trentaine, c'est-y pas malheureux.

Thadas se mit en quête d'un bon artisan, essayant de fouiller mentalement dans son carnet de contacts qu'il avait laissé dans sa hutte à l'autre bout, s'activant. S'il faut résoudre cela, c'était maintenant sinon ce ne serait jamais prêt à temps. En ce moment, tous les artisans étaient étrangement plus ou moins surbookés, mais enfin, leur emploi du temps trouverait bien un espace à libérer comme par magie pour une commande venant de sa haute éminence le Grand Prêtre - j'ai nommé lui -, ça tombe de soi.
Mais ces bougres étaient quasiment tous fermés ce jour-là ! C'était un complot ou quoi ? Ces artisans faisaient partie de la crème de la crème que Thadas avait débusqués à force d'être toujours à l'affût de tout, il ne voulait pas des autres sagouins qui bâcleraient assurément un travail de cette importance.

- Vous cherchez un bon artisan ?   , fit une vieille voix à sa droite alors qu'il soupirait d'agacement face à la énième boutique de fermée par laquelle il passait ce jour-là. Je vous conseille d'aller voir du côté de la forêt, y'en a un qui fait de très bons ouvrages et qui touche à tout, regardez c'est même lui qui m'a fait ma canne !

Thadas scruta un instant l'âgée personne puis posa ses yeux sur le morceau de bois qu'elle levait à son intention pour qu'il s'en saisisse, et l'analysa brièvement mais méticuleusement.

Hm.
Hmm ?
Hmm.
Hm-hm.

Ça pourrait le faire. En tout cas, ça vaut le coup de jeter un coup d’œil, non ? Ça semble tout près de là où il est actuellement en plus.

Peut-être que les dieux lui indiquaient gentiment que c'était peut-être lui le bon, lui qu'il devait allait rencontrer. Le brun rendit respectueusement sa canne à l'antiquité.




- Mais de rien, jeune homme. Par contre je vous préviens, certains ont tendance à l'appeler l'Ours d'Oluh mais enfin vous verrez bien... bonne journée.

La ridée s'en fut sur ces mots, sa vue douteuse ne lui ayant peut-être pas fait remarquer qu'elle s'était adressée au Grand Prêtre à l'instant, mais ce n'était qu'un détail. Thadas espérait vraiment que cette fois-ci ce serait la bonne et qu'il n'aurait pas besoin de continuer à courir partout à la recherche d'un artisan de qualité, et aussi que son œil exigeant ne s'était pas trompé.


Il marcha encore, grimpa avec ténacité, s'aidant de son bâton chantant, et puis...

- Putain… d'émotions… de merde !

Glinnng gling fit le bâton du prêtre alors qu'il s'arrêta un court instant pour analyser la situation avant de reprendre son avancée.
A priori, il y a peu de gens traînant dans ce coin habituellement, peut-être que c'est son homme qui est en plein déboire émotionnel ?

Que ce soit lui ou pas, il semblait particulièrement plongé dans quelques ténèbres, et c'était son rôle de religieux que de l'aider à se tourner de nouveau vers la lumière. Et puis, si c'est bien ce soi-disant "Ours d'Oluh", ce serait embêtant qu'il ne puisse travailler correctement car son état mental ne lui permettrait pas ? Il y a de l'intérêt humain et de l'intérêt religieux à aider ce semblable humain.

Se trouvant quelques petits mètres derrière une espèce d'énergumène semblant s'être battu férocement avec des morceaux de bois, à côté d'un arbre, Thadas se racla légèrement la gorge pour annoncer sa présence.




Il fit quelques pas pour s'approcher avec une certaine nonchalance bien que son visage soit assez sérieux. Ses paroles seules empruntes d'un peu d'humour apportaient de la légèreté à son calme faciès encore empli du dynamisme de la jeunesse. Il inclina brièvement la tête en un léger salut, sa stature s'ancrant dans le sol, haussant légèrement une épaule, parlant avec ce rythme tranquille, profond et un peu lascif qui lui est caractéristique.




Bah parce que c'est vrai quoi, c'est un peu urgent cette histoire de commandes, mais en même temps voilà enfin.

« FEAT @Nashoba Octoahnacto »

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

« I wanna hide the truth, I wanna shelter you
But with the beast inside, there's nowhere we can hide, no matter what we breed, we still are made of greed, this is my kingdom come »

Asseoir le Pouvoir

Oui. Oui oui. Ce gars EST un ours. Il porte bien son surnom en ville, hein. L'essentiel ? Le pragmatisme va très bien à Thadas. On avance plus vite avec des gens qui vont droit au but. Maintenant, voyons si sa proposition fait mordre le poisson à l'hameçon ou si l'ours va essayer de lui bouffer la main pour rester à se fatiguer avec ses emmerdes personnelles. Le Grand Prêtre haussa un sourcil à la familiarité du bonhomme. Il semble n'en avoir rien à fiche de son aura de haut-placé hein, pas vrai ? Si Thadas n'était pas un peu pressé - même s'il ne le montrait pas, restant décontracté -, il aurait certainement pris le temps pour se sentir un peu outré et réagir sévèrement.... mais l'heure n'est pas à des questions de hiérarchie. Et puis ce n'est pas non plus comme s'il se trouvait en face de l'adolescent de tout à l'heure. Il est là pour faire affaire, et même si son nom ne semble pas avoir eu un quelconque effet sur l'estime du gaillard, avoir une discussion adulte parlant de coquillages et de travail pourrait arranger les choses. Le mieux est de rester détaché et de laisser glisser pour cette fois - il les veut ses jarres putain, les religieux d'Oorun en ont besoin. Se crêper le chignon : non.




Et oui, tranquillou bilou, comme un fauve sur son territoire, avec confiance et assurance, comme si c'était la plus naturelle des choses. Il déposa calmement son bâton à l'horizontale sur ses genoux, ses ambres scrutant l'homme grognon.
"Cet homme est à n'en pas douter un marginal comme on en voit peu. Il va falloir que je joue franc-jeu mais en finesse - je ne dois pas oublier que je me trouve probablement devant un homme blessé doublé d'un sale caractère." Ça, il a l'habitude. En s'asseyant sur le territoire du brun, Thadas avait aussi assis sa position, permettant d'éviter qu'il n'expulse trop hâtivement sa commande - il y a pas mal de détails dont il doit discuter, des détails primordiaux.

Son expression faciale indiquait clairement qu'il ne s'exprimerait pas tant que l'autre aussi ne se serait assis - une façon d'être sur la même ligne tout en se posant un coup. Réfléchir à tête reposée, tout ça tout ça. Bien sûr, il s'attendait à tout venant de son interlocuteur, surtout avec l'humeur massacrante qui semble l'habiter ; dont l'option qu'il n'en ait rien à foutre. Mais.... qu'il ne pense pas pouvoir se débarrasser de lui en quelques minutes et ce même s'il décide de refuser ce travail qu'il lui propose - ce qui serait un peu fou et téméraire comme décision. D'autant que si ce ne sont pas des oreilles attentives qui peuvent aider cet humain avec ses actuelles blessures au cœur - quelles qu'elles soient - .... quoi de mieux que de lui permettre de se donner corps et âme dans une tâche dans laquelle d'autres comptent sur lui ?

Comment Thadas arrive à être à la fois aussi matérialiste et pécunier, et en même temps aussi investi envers ses semblables, même les plus rêches ? Oui bon, d'accord, avec les gens qu'il déprécie, c'est une pute. N'empêche, quel drôle de contraste.

« FEAT @Nashoba Octoahnacto »

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia