La jeune fille resta un long moment en tailleur à fixer le matou comme si l'intensité de son regard pourrait le faire tomber. Qui sait, peut-être qu'elle se découvrirait des talents de psychokinésiste ? Pour l'instant ça n'avait pas grand effet quoi qu'on en dise. En vérité, le chat lui rendait même son regard, avec cette lueur typique entre supériorité et nonchalance de cette espèce, l'air de dire : "Too bad you're so weak and I'm so powerful, human". La situation ne pouvait changer que selon son bon-vouloir, semblait-il.
Elle ne savait pas ce qui la retenait de lui balancer son marteau à la gueule, au final. Peut-être parce qu'elle sentait qu'il l'éviterait sans trop de mal. Elle serait bien partie à sa course-poursuite en grimpant à l'arbre mais encore une fois, elle sentait qu'il serait plus rapide qu'elle. Ça la faisait rager.

Alors qu'elle s'apprêtait finalement à  tenter le coup de la course-poursuite macaque, le félin sembla s'intéresser à autre chose que sa poupée. Ses moustaches frémirent... Ses yeux s'arrondirent... Prudemment, silencieux comme une ombre, il entreprit de descendre adroitement de l'arbre, laissant gisante la petite poupée sur la branche où il était auparavant perché.
"C'est ça, dégage espèce d'enculé qui m'a bien faite tourner en bourrique putain de bordel de merde de chiotte." , songea-t-elle avec une mauvaise humeur brûlante. Elle se frotta l'arrière-train pour en faire partir la poussière du sol puis entreprit d'enlever ses bottines... Elle aurait de meilleures prises pieds nus. Grimper aux arbres, elle s'y connaissait pour cause d'avoir vécu et grandi à Aisiki. Que ce soit pour cueillir des fruits ou des feuilles médicinales ou pour même échapper à un prédateur traînant dans le coin, les arbres restaient les meilleurs refuges.

Ainsi Tùpka bondit-elle adroitement sur le végétal et entreprit de l'escalader tout aussi adroitement, son regard à la fois fixé sur son parcours et sur son objectif, les battements de son cœur s'accélérant. Elle maîtrisa un tressautement de surprise au contact chaud et pulsant du gigantesque arbre blanc et rouge et ne se déconcentra pas.
Elle finit par mettre pied sur la branche et s'avança prudemment, veillant à garder son équilibre - c'est que c'est assez haut ici pardi. Son bras se tendit.... Elle se pencha...
Ses doigts saisirent son bien volé.

Elle n'eut pas le temps de laisser le soulagement l'inonder car un garde gueula en bas :



... Son pied dérapa de surprise.
Elle ne dut de retomber sourdement sur ses fesses sans rien de grave qu'à ses réflexes qui lui firent ralentir sa chute en cherchant des prises sur le grand arbre.
Il n'empêche que ça faisait un mal de chien !! Il est con ou quoi ce garde ?!!
La poupée était tombée un peu plus loin d'elle. Elle ignora la douleur vibrante de son cul et tendit le bras pour la récupérer, tendue as fuck. Il fallait qu'elle vérifie absolument qu'elle soit en bon état !...

Enfin, elle serra la poupée contre sa poitrine. La douleur bien trop physique de son derrière maltraité par la chute ne comptait plus. Rien ne comptait d'autre que cette odeur familière de maison qui fait chaud au cœur, de ce tissu rêche et vieux qui rappelait les mains de son vieux, rien d'autre que cette présence si petite mais si importante aux yeux de la jeune femme. La petite fille qui avait tremblé en elle se tranquillisa et elle se laissa même à fermer les yeux pendant quelques infimes secondes, cependant que ses oreilles captaient involontairement ce qu'il se passait à côté.

.............. Ah ouais. Elle en a vraiment de la chienne cette étrangère pour parler avec autant de confiance. La langue bien pointue hein ? Tùpka se releva calmement, grimaçant de son fessier endolori, puis installa précautionneusement sa poupée là où elle a l'habitude d'être : à sa ceinture. Et de sorte à ce qu'elle ne choie pas cette fois.
, grogna-t-elle sobrement.
Son visage était toujours sombre mais plus neutre. Il avait suffit qu'elle récupère son bien pour qu'elle s'apaise et réagisse avec la tête froide. Sa voix rêche grinça, railla.

Est-ce qu'elle vient de lui proposer son "aide" uniquement pour lui cracher ce "blondasse" à la gueule ? Parfaitement. Même si... en même temps, elle voyait un peu plus loin en se disant qu'elle pourrait toujours tirer des informations de cette sainte-nitouche-je-sais-tout. L'enrichissement culturel, hein ? Elle va lui en faire bouffer jusqu'à ce qu'elle s'étouffe avec, la blondasse.

Putain, qu'est-ce que ça la fait chier les humains. Si ce n'était pas pour Ebo ni Leno, elle se casserait même pas les ovaires à pousser un peu plus loin cet échange avec cette grognasse qui fait comme si elle savait tout du fonctionnement d'autrui. Ah non mais parce qu'elle a bien vu la lueur dans son regard hein, qu'elle ne la prenne pas pour plus conne qu'elle pourrait l'être. Ou plutôt si, qu'elle la croie conne, ça l'arrangera bien pour en apprendre plus. Les idiots sont censés être inoffensifs pas vrai?

Les gardes parurent soulagés que la rouquine prenne la situation en main, et en même temps toujours vexés et un peu confus. Tùpka pour sa part avait à la fois ressenti de la satisfaction et un profond agacement quand elle leur avait remonté les bretelles mais c'est du passé.
, grinça-t-elle, toujours aussi antipathique - hé, déjà elle faisait l'effort de parler, qu'on la fasse pas chier, merde.

Elle aime bien compliquer les choses, les rendre encore plus chiantes, hein ? Mais quelle casse-ovaires cette meuf. Condescendante, sainte-nitouche et miss je-sais-tout, les adjectifs peu mélioratifs s'enchaînaient au fil des minutes dans l'esprit de la forgeronne. Oui elle a raison au niveau des noms, Blondasse ça lui va très bien à cette femme arrogante.

"Et ferme-la un peu, merde."
Qu'est-ce qu'elle pensait que ça pouvait lui faire ses petites piques, maintenant qu'elle avait récupéré sa poupée ? Tùpka ne prit même pas la peine de répondre à ses remarques, à ses questions explicites comme sous-jacentes, jetant à peine un regard aux sourcils légèrement froncés comme de coutume. Elle avait même déjà commencé à marcher en direction de l'autel du dieu solaire.

Elle n'est pas vraiment une spécialiste en divin, les prêtres sont là pour tout ce fatras de mantras et d'intoxications à la fumée. Seulement, feu son père druide était assez proche de ces voies et voix-là, bien que clairement plus avec les esprits de la nature boisonnante. C'est lui qui lui avait raconté de ces légendes qui ont forgé l'imaginaire des ijobiens, ainsi qu'à veiller à rester respectueux à l'égard des dieux. Tùpka n'avait pas vraiment d'avis sur eux, à part qu'elle était vivante et comptait bien le rester malgré son soi-disant statut de "maudite".
Elle savait au moins qu'Oorun était un peu le patron de tous les dieux, grosso modo, symbole de lumière et bla, bla, bla. Ça devrait suffire pour cette bouffonne tellement à fond sur l'enrichissement culturel.

Son côté agressif ressortait sous des mots mielleux sortis de sa voix rêche. Comme quoi la condescendance appelle à la condescendance, finalement. Elle n'aime pas les manières de cette femme et ne se gêne pas pour le montrer - discrètement mais présentement. Elle l'analysait - elle lui rendait la même, maintenant apaisée. Tùpka avait dressé ses barrières et n'était pas prête de baisser les lances émeraudes de son regard, face à l'étrangère.

Leprechaun ? C'est quoi cette connerie ?
La forgeronne toisa l'inconnue pendant son petit discours, puis quand elle se mit à genoux pour vénérer ce dieu qui n'était pas le sien. Elle avait senti ses cheveux se hérisser à ses mots malgré elle, et ses pupilles se rétrécir.

Peur ?
De la peur ?

Elle sentit une bête en elle montrer les crocs.

, asséna sèchement la rousse en tournant talons.

Elle croit vraiment qu'elle aurait peur d'une blondasse comme elle ? Rien ne lui fait peur. Rien. Rien ne lui fait plus peur que de perdre son frère ou l'une des rares personnes auxquelles elle est réellement attachée. Que cette blonde fasse la danse du macaque, fasse un sacrilège ou continue de faire son omnisciente, ce n'est clairement pas ce qui ferait naître de la terreur dans son cœur. Elle pouvait bien la frapper, de ses mots ou de ses coups, elle n'arriverait pas à entamer sa carapace. C'est une étrangère, c'est un fait ; le reste Tùpka n'en a pas grand-chose à foutre. Elle n'a pas peur des bouleversements que la simple présence de ces voyageurs sur l'île annonce, elle serait même plutôt du genre à les encourager.

Qu'ils détruisent ces principes et vieilles mentalités qui n'ont que trop duré. Qu'ils renversent l'ordre des choses, que du chaos revienne plus d'égalité et de justice. Tùpka n'a pas peur. Elle veut changer le monde, et que le monde arrête de lui pomper l'air. Le reste, elle s'en tape, veillant juste à garder ses distances pour éviter de s'attacher à plus de personnes que nécessaire.

Les liens arrachés par Iku, il n'y a rien de pire.