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Tùpka Shẹt-rìẹfÀ dure enclume, marteau de plume
Histoire
- Eyẹrak !!
Quelques pas excités écrasèrent les brindilles qui avaient eu le malheur de s'être retrouvées dessous alors qu'un bambin d'environ sept ouragans brandissait fièrement des racines qu'il avait trouvées à la force de ses petites mains écorchées.
- Kilaiiwenoùwendon, itùke, itùke ! - (J'ai trouvé tes racines, regarde, regarde !)
- Beji, bejigwendọ Kraìjs. - (Bien, très bien Kraìjs.)
Le dénommé Eyẹrak s'approcha avec aisance dans le terrain jonché de racines et de plantes diverses, la besace déjà pleine de différentes herbes, s'appuyant sur son bâton druidique. Il se saisit délicatement des racines que lui tendait Kraìjs et les ausculta rapidement puis eut un léger sourire satisfait.
- Leleguei, Kraìjs. Il observa un instant les alentours, tranquille mais les oreilles tendues. Kaiyọviliwi, gradawe tsepùltu. - (Tu apprends vite, Kraìjs. Nous avons ce qu'il nous faut, rentrons à la maison maintenant.)
Le duo commence à faire demi-tour, quand un cri strident se met à résonner un peu plus loin.
Ils se figèrent sur place et tournèrent la tête vers la source du cri qui avait semblé à la fois écrasé et essoufflé. Ce n'était pas un cri effrayant en soi, loin des hurlements de loups en pleine chasse par exemple. C'était plutôt un cri plein... de faiblesse, en quelque sorte. De la peur et de la confusion.
Eyerak, pour en avoir déjà entendu de semblables, savait à peu près de quoi il s'agissait, mais Kraìjs restait figé, prêt à détaler s'il y avait besoin, peu serein. Il posa ses petits yeux brouillés d'enfant sur l'adulte dont le regard perçait au-delà des arbres, comme s'il transportait son ouïe jusqu'à un endroit très éloigné de là, les doigts légèrement écartés de son bâton.
- Doidọwe. - (Reste près (de moi).)
L'ijọbien s'avança à travers les végétaux scintillants et frissonnants sous le léger souffle qu'Afefe parvenait à infiltrer dans la forêt. Le petit garçon le colla de près, serrant les poings d'appréhension même s'il était déjà rassuré d'avoir Eyẹrak à ses côtés. Des petits couinements pittoresques commencèrent à monter faiblement en volume, presque dans des murmures sans air au fur et à mesure que la créature qui les poussait les entendait s'approcher.
Eyẹrak écarta des lianes et de grandes feuilles du passage, dévoilant une scène peu rare à Aisiki.
Un nouveau-né gisait là, sans défense au pied d'un arbre dont on ne savait pas si les branches tendues se voulaient protectrices ou alors avides d'obtenir de l'engrais frais pour ses racines. Il était encore un peu humide de visu - sa mise à bas devait remonter à peu de temps.
- Lele Kraìjs, hiotkùmi ! - (Vite Kraìjs, aide-moi !) fit calmement le chaman en se dépêchant aux côtés du petit bout d'être humain avec des gestes sûrs et maîtrisés. Il avait déjà vécu une scène du même genre après tout, et son savoir-faire a souvent fait avec brio ses preuves dans ce genre de situations envoyées par la vie.
Peu de gens d'Aisiki auraient fait ce que s'apprêtait à faire Eyẹrak pour la deuxième fois de sa vie. Les bébés abandonnés dans la forêt sont censés être des offrandes aux dieux - les leur retirer paraît communément très irrévérencieux à leur égard. Ceux qui en ressortent vivants sont alors traités comme des enfants maudits - est-ce mieux d'être dévoré par les carnivores et les parasites des bois ou de se faire rejeter par son groupe d'humain comme si l'on était les parasites ? Bonne question.
Eyẹrak avait décidé que s'il avait appris à lire tôt les bienfaits cachés des plantes et à rendre le respect dû aux esprits de la nature, c'était pour aider ses semblables humains, qu'ils viennent de voir le jour ou qu'Iku s'apprête à les effleurer de ses doigts froids après le passage d'Akako sur leur visage. Pas à passer indifféremment devant un petit être vivant qui s'époumone d'incompréhension et d'inconfort.
Le druide et son jeune associé s'occupèrent des premières nécessités puis enveloppèrent le nourrisson dans un petit veston. KraÌjs se vit chargé de porter le bâton du plus grand tandis que celui-ci berçait le petit être à la peau rose et à la petite touffe rousse de vie. Ils restèrent silencieux une bonne partie du trajet.
- Itùkete Kraìjs, zilijobii.... erekonhi. - (Tu vois Kraìjs, ce petit être.... il est comme toi.) finit par dire Eyẹrak au bout d'un moment. Tailidadjo kakrekoleiri, sadat. - (Tu devras en prendre soin comme un membre de ta famille, fils.)
- Aghili kunderi ? - (Comment va-t-il s'appeler ?)
- Erezilìja... - (C'est une petite fille...) Iseìdatàn gadjonwi... - (Nous l'avons trouvée au pied d'un arbre...)
- Dọke...... Tùpka ? - (Pourquoi (pas)/Peut-être... Tùpka ?)
- Tùpka ?
- Galawe tìenkù ! Daka...gedjomi. - (Comme une flamme sauvage ! Enfin... je trouve.)
- Hmmmmm.... Tùpka, ke. - (Hmmmmm.... Go pour Tùpka, alors.) Erenawi. - (C'est joli.)
Ils arrivèrent tous trois peu de temps après à la petite hutte un peu à l'écart d'Eyẹrak, et y pénétrèrent.
Ils avaient beau avoir été discrets en arrivant, la nouvelle qu'il avait récupéré de nouveau un bébé abandonné se répandit rapidement dans le village - ça n'aurait pas tardé, de toute façon. Alors que le druide alimentait l'enfant affamé avec un morceau de tissu propre imbibé de lait qu'il tétouillait de moins en moins férocement, semblant s'apaiser un peu dans cette ambiance rassurante de bienveillance, des coups secs se firent entendre à la porte de la cabane. Alors que Kraìjs s'apprêtait à aller ouvrir, Eyẹrak lui signifia de ne pas bouger et de rester à côté de lui - de toute façon, l'individu qui avait toqué ne se dérangea pas pour entrer sans autorisation verbale.
- Ehh. Eredek, ke. - (Ehh. C'est donc c'est vrai, ce qu'on dit.) Le lascar s'avança d'un pas menaçant mais contrôlé qui reflétait la colère qui grondait dans son regard.
.........
- Ekemi dreilei, bawig Eyẹrak ?! - (Tu veux vraiment attirer le mécontentement des dieux sur le village, vieux fou d'Eyẹrak ?!)
- Ereri, ereri. - (Maintenant qu'il est là, je ne vais pas le remettre là-bas tout de même.)
- Ekemi gwalek tie ekemi gwalek ?! - (Et quand les foudres du panthéon s'abattront sur nous, tu diras la même chose pour te faire pardonner ?!) Erebawig. Bawig !! - (Tu es fou. Complètement fou !!)
- Aabei, eleileh dweh. - (Les dieux savent que je ne fais que suivre la mission qu'ils m'ont donnée avec le plus grand respect : prendre soin de mes frères et sœurs humains, qu'importe le lieu et leur condition.) Dakebọ. - (C'est tout.)
- "Dakebọ" ?! Dọke dakebọ ?! - ("C'est tout" ?! Comment ça, c'est tout ?!)
L'homme donna un violent coup de poing sur la table, sa colère cachant en réalité une crainte qui serait superstitieuse pour certains tandis qu'inutile pour d'autres. Le coup vibra brusquement dans la pièce et fit sursauter le bébé, qui se mit à geindre d'inquiétude. Le druide le berça doucement en lui soufflant quelques mots doux pour l'apaiser, l'entourant toujours de ses bras protecteurs. Le nourrisson se calma et se remit à boire du lait qu'on lui faisait téter à défaut d'avoir le sein de sa mère. Eyẹrak planta son regard de fer dans les iris de l'intrus.
- Dakebọ. - (La discussion est close et il ne sert à rien de s'agiter et de tout casser. Sors. Tu stresses Kraìjs et le bébé.)
L'homme était pâle. Il serra les poings et les mâchoires, posant un regard dont la haine n'était due qu'à une appréhension excessive, probablement, sur Kraìjs qui était resté à l'écart puis sur le nouveau-né. Une artère se démarquait dans son cou.
Il fit volte-face, se dirigeant vers la sortie tout comme il était venu.
- Gradaweke te ijobieke. - (Cette maison empeste l'enfant maudit, je m'en vais.) Il s'arrêta au seuil et lança un dernier regard en arrière. Ekenei Aisiki, bikuwehi. - (S'il arrive malheur au village par ta faute, tu en payeras les conséquences.)
Ses prunelles faisaient peur à étinceler de ces menaces à peine dissimulées. Eyẹrak ne bronchait pas, continuant de bercer et de nourrir le bébé tout en fixant calmement l'homme en colère, qui s'en fut.
Kraìjs s'approcha de plus près de son père adoptif et de sa petite sœur nouvellement adoptive. Une petite sœur. Il n'avait jamais imaginé que ça puisse arriver un jour. Comment doit-il réagir ? Ressentir par rapport à leur nouvelle situation ?
- Héhéhé, ereri bọk. - (Héhéhé, elle ne ressemble à rien !) rit-il à la fois doucement, nerveusement et un peu émerveillé en touchant délicatement le nez du nourrisson avec le bout de son index. Erekonmiri ? - (J'étais pareil quand tu m'as trouvé ?)
- Rukeì. - (Tu avais les cheveux noirs, toi, mais sinon, oui.) sourit le druide en indiquant la tignasse de Kraìjs d'un mouvement du menton.
- Tùpka, Tùpka.... Ereke nawi !! - (Tùpka, Tùpka.... Je suis sûr que tu seras magnifique quand tu seras grande !)
- Dégage, on veut pas de toi.
- Arrête de nous coller espèce d'abrutie !!
- On veut pas d'enfants maudits, sinon Eke va venir nous tourmenter après ! C'est mon papa qui me l'a dit !
- Imbécile, prononce pas son nom ! Suffit de les ignorer, elle et son frère, c'est tout. Le dernier arrivé à la cabane du vieux Ọk est un vieux poisson moisi !
- Héééééééééééhéhé !!
La petite rousse resta sur place, ses yeux verts regardant les enfants partir en courant dans des exclamations joyeuses ou révoltées. Ses mains se serrèrent sur le petit bout de chiffon collé contre sa petite poitrine, tissé en une petite poupée à l'odeur de tilleul et d'acacia ; son porte-bonheur. Quelque chose dans son visage se froissa, comme une petite fleur que l'on écrase méchamment ou comme une esquisse que l'on écrabouille dans notre paume pour la jeter au loin. Son genou trembla et elle s'éloigna, se dirigeant à petits pas silencieux vers la hutte de son père adoptif, la tête rentrée dans les épaules sous le poids des yeux qui la fixaient dans son passage.
Que peut un porte-bonheur face à tous ces regards mauvais qui semblent la suivre avec mépris comme si on la souhaitait tomber raide morte, ou tout simplement disparaître en fumée ?
Elle ferma calmement la porte derrière elle et s'avança vers la table, se hissant péniblement à la force de ses bras sur une chaise à côté d'Eyẹrak qui préparait une mixture tout en prenant des notes, semblait-il. Ses yeux restèrent rivés vers le bas, le chiffon odorant toujours contre elle.
- Ils veulent pas jouer avec moi.... Ils disent qu'on est maudits, Kraìjs et moi. Pourquoi ?
Eyẹrak posa doucement son pilon et se passa une main sur la face, prenant une respiration profonde, puis il reprit ses notes tout en parlant avec son calme habituel.
- C'est ce qu'ils t'ont dit ?
- Pas qu'eux... J'ai entendu des grands murmurer des fois... Alors c'est vrai ? Les dieux nous détestent, lui et moi ?
Parce que les dieux ne doivent pas vraiment les porter dans leur cœur pour que leurs enfants humains les rejettent ainsi elle et son frère, non ?
- Ne te mets pas à dire des bêtises comme eux. , fit doucement le druide en la regardant bien qu'elle garda son visage vers le bas. Si les dieux ne vous aimaient pas ou vous jugeaient indignes de fouler leurs terres, ne penses-tu pas qu'ils ont largement de quoi vous faire disparaître en ce cas ?
- Pourquoi ils le font pas ? Leurs regards.... Je crois qu'ils voudraient qu'on soit pas là.... Mais pourquoi ?
Son genou tremblait encore, en parallèle du coin de sa bouche pincée.
- La peur.
Le crayon gratta de nouveau le petit carnet avant et pendant les secondes suivant ce simple mot. Ce simple mot, qui fit se relever légèrement la tête de la gamine. Les discrets tremblements, mus en réalité par un sentiment brûlant, se calmèrent légèrement.
...
- Peur ?
Eyẹrak souligna un mot et tourna la tête vers sa fille. Il acquiesça, les traits légèrement ridés.
- Oui. C'est elle qui les aveugle et les fait vous rejeter de la sorte.
- Mais... on leur a rien fait.
Tùpka ne comprenait pas. S'ils ont vraiment peur d'elle et de son frère comme l'on a peur d'une grosse bête à dents, pourquoi ne couraient-ils pas en piaillant au lieu de faire comme s'ils étaient des fantômes à moitié tangibles ?
- Non. Mais ils craignent que, volontairement ou non, vous attiriez la mauvaise fortune sur le village. C'est une peur dictée par de vieilles superstitions mais qui restent ancrées.
- Et c'est pour ça qu'ils disent que je suis bête et moche ? Qu'ils disent que Kraìjs n'est qu'un débile de bon à rien ? Ils l'appelaient aussi la "sorcière-gnome" des fois, à cause de sa taille d'enfant, de sa réputation d'enfant maudit et du fait qu'elle soit selon eux "bizarre".
- C'est surtout pour ça qu'ils préfèrent vous tenir à l'écart. La peur amène souvent à la méchanceté.
- C'est eux qui sont bêtes alors. Si j'ai vraiment le pouvoir de leur faire très mal, j'hésiterais pas vu comment ils nous traitent.
Ses phalanges étaient blanches sur sa petite poupée. La grande main rêche et chaude de son père se posa sur ses petites mains et les défit doucement, plongeant ses yeux gris dans ses jades aux pupilles subtilement sensibles.
- Tùpka... Penser ainsi n'est pas la bonne voie.
- Se laisser faire non plus.
La rouquine détourna la tête de nouveau, se renfermant.
....
- Pourquoi tu nous as recueillis, Kraìjs et moi, si tu savais ce qu'il se passerait ? Pourquoi tu n'as pas fait comme tout le monde au lieu de rester tout seul à cause de nous ?
- Parce que j'ai considéré que vous méritiez de vivre et que vous en auriez la force. Je vous ai simplement donné une chance, et les dieux ne semblent pas s'y être opposés, pas vrai ?
- T'es débile.
Eyẹrak sourit doucement.
- Probablement.
L'homme reprit son pilon pour sortir le jus de la pâte verdâtre qu'il avait préparée, consciencieux. Tùpka fronça les sourcils et s'avança légèrement sur sa chaise.
- Tu fais quoi ?
- Tu veux apprendre ? , fit-il avec un sourire en coin énigmatique
- Gn.
Tùpka pencha la tête et l'observa faire en agitant lentement ses jambes sous la chaise, tout ouïe derrière son air sombrement renfrogné qui la suivra probablement jusque vieille.
....
- Kodọw... Il me fait peur.
Elle avait faiblement sorti ces mots après quelques instants à avoir scruté les gestes de son père, détournant les yeux. Elle se mordit la joue au souvenir de ces prunelles marrons qui paraissent s'enflammer de négativité à chaque fois qu'elle le croise. Ce n'est pas comme avec les autres qui se contentent de garder leurs distances avec souvent de l'indifférence et du mépris - c'est rare que ce soit autrement. Quand cet adulte est dans les parages, elle n'a qu'une seule envie viscérale : ne pas se retrouver seule avec lui. Par tous les moyens possibles.
Elle avait l'impression de se transformer en petit rongeur sans défense quand le chasseur posait son regard sur elle comme si elle était de la vermine.
Ses mains se serrèrent de nouveau sur sa poupée rustique, prises par une sensation plus glaçante, le genre à se faufiler au creux des veines comme du venin.
Elle ne savait pas si les autres avaient réellement peur d'elle, mais elle savait que cet adulte était le seul dont l'image lui évoque inexplicablement un profond effroi.
Le druide souffla de nouveau et se gratta le crâne, réfléchissant.
- Kodọw est très engagé envers Aisiki. Seulement, sa méfiance et sa superstition exacerbées peuvent l'amener à paraître agressif... Mais ce n'est pas un mauvais bougre.
Il tourna une page, lissant le papier.
- Son père était un ami proche... Je le connais donc depuis qu'il est tout petit. Je ne doute pas qu'il arrivera à suivre le même chemin glorieux que son paternel. J'espère uniquement qu'il parviendra à garder assez de discernement pour ne pas faire de coûteuses erreurs.
- Je l'aime pas. , marmonna Tùpka avec un air renfrogné, enlevant les mains de sous ses cuisses pour croiser les bras.
Eyẹrak la regarda puis lui ébouriffa calmement les cheveux. Son sourire fit du bien à la petite, qui perdit légèrement de sa moue.
- C'est ton droit. Mais ne lui en veut pas trop fort.... Il est un élément important du village et il pense sincèrement bien faire.
- Hm. , acquiesça simplement Tùpka, un peu trop mollassonne pour paraître vraiment convaincue mais assez pour clore ce sujet la mettant mal à l'aise, tout compte fait.
Son papa est là pour la protéger et l'apaiser... Ça suffisait à la rassurer un peu.
- Tu vois, Tùp', c'est comme ça qu'on fait pour pêcher ! Allez, à ton tour maintenant ! , déclara Kraìjs en tendant sa canne de fortune à la petite rousse, mettant sa trouvaille dans le panier à cet effet.
D'autres pêcheurs - adultes, majoritairement - étaient à côté ou plutôt à l'écart du duo.
- Hm... , fit la môme en saisissant l'engin en bois, un peu incertaine.
Ses mains se firent plus fermes alors qu'elle se mettait face au bout de mer. Son grand-frère corrigea sa position pour qu'elle soit ancrée sur ses deux pieds nus puis resta immobile à côté, l'observant.
C'était une activité demandant patience et discrétion.
.....
L'eau arrivant facilement à ses genoux écorchés la picotait et en même temps l'engourdissait. L'air marin emplissait largement ses narines et poumons, à la fois différent de celui de la forêt et tout aussi frais. Ça laissait un étrange goût salé et humide dans le fond de sa bouche - assez agréable, à vrai dire. Le soleil peinait ce jour-là à cogner à travers les quelques nuages blancs amoncelés ci et là. Eyẹrak ramassait non loin des algues comestibles - être accompagnée de lui et de son frère était rassurant. À vrai dire, elle aurait bien voulu rester à observer cette masse de bleu liquide pendant tout ce temps, mais elle voulait aussi apprendre pour pouvoir aider sa famille. Alors elle restait plantée dans l'eau à la fois tranquille et envahissante, ne bougeant parfois que de quelques tremblements non maîtrisés.
......
Elle commençait à avoir des fourmillements sourds dans la plante des pieds quand quelque chose remua au bout de la ligne. Elle étouffa une exclamation et ses mains se crispèrent sur la canne pour la coller de toutes ses forces contre elle. Kraìjs s'était tendu à côté et se mit à l'encourager en frappant des mains et en soufflant quelques mots en souriant grandement. Elle redressait de son mieux l'ustensile, essayant de faire voltiger le poisson pris au piège comme l'avait fait son frère de treize ouragans un peu plus tôt.
Mais, à être tellement concentrée sur les muscles du haut de son corps, elle en oublia ses racines et son pied dérapa. Elle atterrit sur le cul et vit l'ombre du poisson s'enfuir vers d'autres flux.
Sa mine se décomposa, déçue.
- Ahhhh allez, ne fais pas cette tête, on réussit rarement du premier coup quand on débute.
Ces mots n'arrivaient pas à faire partir la déception, et une moue boudeuse s'ajouta à l'air sombre de la gamine. Le brun l'aida à se relever.
- Ré-essaye. Si moi j'y arrive, toi aussi tu le peux.
Elle n'en était pas si sûre... Mais elle voulait vraiment faire plaisir aux siens, et puis... La sensation de faim n'est jamais quelque chose qu'elle supporte très bien, alors mieux vaut qu'ils repartent avec assez de prises pour trois. Tùpka se remit en place et l'eau agitée s'apaisa au rythme naturel des vagues.
Okun envoya un autre poisson vers la canne à pêche du bout d'ijobienne qu'elle était. Cette fois-ci, elle n'oublia pas de se tendre entièrement comme si elle était un arbre violenté par le vent. Ses doigts se firent blancs sur l'objet et une grimace tordit ses lèvres sous l'effort, crispant les mâchoires tout en ignorant la plainte de ses muscles. Il fallait qu'elle réussisse. Il le fallait. Un couinement lui échappa quand l'hameçon chargé fut soudainement éjecté hors de l'eau ; un poisson reluisant à son bout. Il gigotait faiblement, vaincu.
Kraìjs enfonça sa paume dans la chevelure de sa petite sœur et détacha le pauvre animal pour l'envoyer rejoindre les quelques autres ensevelis dans leur panier.
- Bravo ! Tu vois que tu y arrives ? Dès que tu chopes le truc et que t'as un peu de chance, ça vient tout seul. On va bien manger ce soir !
Il referma soigneusement le panier, coinçant la canne à pêche dans les courroies, puis se retourna vers la petite dont les pupilles avaient légèrement grossi.
- Maintenant que tu as réussi cette étape, il y en a une dernière que tout bon pêcheur respectueux se doit d'effectuer à la fin de sa récolte.
Il joignit les mains, fermant une paupière tout en observant la rousse miniature de l'autre œil, l'encourageant à faire de même.
- Merci Dieu Okun pour ces poissons qui nous permettront d'éviter la faim pendant autant de temps que la Déesse Akako nous le permettra. Il inclina la tête dans le vent marin.
Tùpka baragouina un peu maladroitement sa prière de remerciement, les mains jointes de façon un peu incertaine.
Puis...
- T'es sûr qu'Il va nous entendre ?
- Je pense ! J'ai souvent vu les autres pêcheurs faire ça... Ils le feraient pas si ça servait à rien, nah ?
- Buh...
Tùpka tourna la tête vers l'horizon sans fin. Le ciel s'était dégagé au-dessus de leurs têtes, libérant petit à petit les rayons acérés d'Oorun. Son index était légèrement levé, un peu rêveuse. Elle fit un grand sourire. Ses mains se claquèrent avec un discret enthousiasme, de nouveau jointes.
- Dieu Orun, je voguerai un jour sur Tes flots ! Promis !
Kraìjs suffoqua un coup à la déclaration soudaine de sa petite sœur et elle reçut une taloche sur le crâne.
- Abrutie ! T'as pas entendu les grands parler de ceux qui s'y sont aventurés ? Et c'est quoi ces manières ? Les prières servent à remercier et à demander de l'aide, pas à faire des promesses de défi !
- Tu deviens aussi superstitieux que les autres... , marmonna Tùpka en passant sa main sur sa tête, se refermant, lèvres pincées.
- Nan. Mais si les dieux nous ont laissé la vie sauve une fois, je préfère autant ne pas les énerver.
- S'ils sont si bienveillants, pourquoi ne nous laissent-ils pas explorer ce qu'il y a par-delà les mers ?
- S'il y a bien quelque chose en dehors. Et s'il y avait autre chose, qui te dit que ce ne serait pas un monde rempli de monstres sanguinaires qui t'y attendrait ? Encore faudrait-il que tu survives aux pics de la crique. Pourquoi les dieux se seraient donné la peine de créer un autre endroit que leur Terre que nous peuplons s'il nous suffit largement ? Ne va pas gaspiller ta vie en tentant l'impossible... d'accord ? Si c'est l'aventure que tu cherches, Ijoba est bien assez grande pour ça sans chercher un ailleurs.
....
- Mh.
Eyẹrak leur fit signe, non loin.
- Ah, papa a fini ! Allons vite le rejoindre. Il passa le panier sur une épaule et son bras sur celles de sa petite sœur, se dirigeant vers leurs chaussures délaissées et leur père. Il va être content de voir tout ce qu'on a attrapé.
Les regards en coin de quelques pêcheurs lui donnaient de désagréables frissons à l'échine.
La petite fille suivit le mouvement, mais ça ne l'empêcha pas de jeter un dernier regard à l'océan en partant.
Un jour, elle y voguerait, crique ou pas. Elle réussirait là où tous ont échoué. Les réponses apportées par son frère ne lui suffisaient pas.
- Tu as pris un pot de pommade en cas d'urgence ? N'oublie pas les bandages.... clous de girofle.... De l'essence de millepertuis et une fiole de vinaigre aussi...
- Oui, j'ai aussi vérifié la nourriture et l'eau... Ne t'inquiètes pas.
- Je sais, tu es débrouillarde.
Eyẹrak posa sa paume sur l'épaule de sa fille. Il la dévisagea attentivement comme pour imprimer ses traits dans son esprit, et dans ses yeux orage passèrent les ouragans qui s'étaient écoulés avec la vitesse de la foudre, lui semblait-il. Déjà treize ouragans...
Voir ainsi son deuxième enfant s'en aller d'Aisiki pour apprendre ailleurs le faisait se sentir vieux, tout d'un coup. Il lui semblait que l'époque où sa petite rouquine était à ses côtés avec Kraìjs datait d'hier.
Ce n'était pas inexact, dit comme cela. Ses traits se creusèrent légèrement et un petit sourire craquela ses lèvres, apportant une lueur à ses yeux vifs.
- Tu me donneras de vos nouvelles, à toi et Kraìjs ?
Depuis que père et fils s'étaient disputés trois ouragans plus tôt, ils n'avaient plus jamais repris contact. Aux dernières nouvelles, de par un papyrus adressé à Tùpka, un marchand l'avait pris sous son aile à Isokan, où il vivait une vie assez tranquille.
La rousse acquiesça et baissa la tête quand la paluche de celui qui avait pris soin d'elle durant tous ces ouragans s'enleva. Elle releva les émeraudes et à mi-voix, les lèvres pincées :
- Je n'y manquerai pas.
Elle rajusta sa bandoulière, rebaissant le menton.
Elle était ravie de dégager de ce maudit de village rempli à 85% d'enfoirés. Elle était soulagée de gribouiller fermement sur cette partie de son passé pour ne plus y re-jeter que quelques rares regards. Rares regards... pour les rares 15%, dont son père. Quelque chose dans sa poitrine se froissa légèrement, dans son estomac s'emmêla. Quelques secondes de face à face baissée se déroulèrent. De l'hésitation, quant à la posture à tenir. L'hésitation partit, brouillée au loin.
Elle fit un pas, puis deux, puis ses bras serrèrent avec force le druide.
- Merci.
C'était plus un couinement murmuré qu'un vrai mot.
L'adepte des plantes rendit sans un mot son étreinte - parler n'était pas nécessaire pour se faire comprendre. Encore moins avec un lien fort comme le leur.
....
Elle s'écarta, puis commença à s'éloigner d'un pas décidé sous le regard de l'ijobien, qui resta fixé plusieurs secondes après sur le point où disparut la juvénile aux cheveux de flamme.
"Merci plutôt à toi, Tùpka... Merci d'être ma fille, de m'avoir accepté en tant que père."
Lui-même se détourna et s'en fut calmement avec le poids des années dans sa hutte, comme un dragon avec le plus précieux de ses coffres. Le quotidien et les souvenirs lui porteraient compagnie, dorénavant. Il savait que ce n'était pas dans les intentions de l'adolescente de revenir un jour s'installer à Aisiki, et il trouvait qu'il en allait mieux ainsi. Elle a besoin d'un endroit où elle se sente réellement chez elle, et pas uniquement de cette vieille cabane entourée de superstitieux hostiles.
"Bon voyage à toi, et que les dieux soient avec toi."
La porte se referma derrière lui.
Elle lui resterait toujours ouverte, si jamais.
Arrivée à Isokan, elle se fit faire des premiers tatouages triangulaires aux poignets et dessus des mains : des crocs, pour qu'elle se souvienne toujours de sa vie passée à Aisiki. C'est derrière elle, mais c'est maintenant aussi en elle, cette haine grandissante pour la société ijobienne ainsi que cette envie de la faire bouger. Au début, elle en voulait à ceux qui les rejetaient, elle et les siens, pour des croyances bidons d'enfant maudit. Son année commune d'apprentissage lui a permis de faire plus ample connaissance avec quelqu'un qui lui a fait comprendre que le problème n'était pas quelques croyances mais bien les fondements mêmes de la société dans laquelle ils vivent. Merci à cette personne, elle allait pouvoir observer la vie humaine en dehors d'Aisiki et s'y confronter à défaut de pouvoir s'y fondre.
Elle avait hâte de revoir son grand-frère ainsi que d'entrer dans la vie active, même si elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait faire à ce moment précis. Suivre la voie des plantes comme son père lui avait effleuré l'esprit, mais retourner étudier à Aisiki la révulsait pour l'instant - tout ce dont elle avait envie était de changer d'air. Le textile ? Elle connaissait les bases du tannage mais ne connaissait encore rien des méthodes isokiennes - peut-être que ça lui plairait. Être chasseuse ou guerrière ne l'attire pas plus que ça.... Le premier serait uniquement pour subvenir à ses propres besoins tandis que le deuxième la soumettrait à la politique des dirigeants - elle n'en sait pas assez sur son île pour s'engager de la sorte. Obéir à des ordres, défendre des choses déformées par son regard haineux ne serait pas pour lui plaire. Construire des bâtiments ? Devenir apprentie scribe ? Vouer sa vie à la prière comme le font les prêtres n'est clairement pas dans son champ de vue.
Enfin, elle verrait bien.... Elle était persuadée qu'elle trouverait bien sa voie - elle n'a pas vraiment d'autre choix maintenant qu'elle est adulte.
Tùpka connut une première désillusion en retrouvant son grand-frère.
La première chose qu'elle chercha en arrivant à Isokan était bien évidemment Kraìjs. Il lui avait fait savoir par papyrus qu'il l'hébergerait si elle le souhaitait le temps de sa tournée d'apprentissage à Isokan. Ça faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas vu son faciès.... Elle se demandait s'il avait beaucoup changé ou s'il était resté égal à lui-même. Eyerak n'avait jamais voulu lui dire à propos de quoi ils s'étaient disputés, mais pour que son frère rompe définitivement les ponts avec leur père, c'est que ça devait être grave.... Ou pas. Elle n'en savait rien. Peut-être que son frère lui en parlerait pendant son séjour, peut-être pas. Ce qui comptait, c'était qu'ils soient de nouveau réunis, même temporairement. Ça l'avait pas mal déboussolée à l'époque qu'il décide de ne plus passer à la maison pour les voir, même avec les lettres qu'il lui envoyait périodiquement. Il avait toujours été là, avec son père, alors déjà que ça lui avait fait bizarre quand il était parti en tournée d'apprentissage, mais ne plus le revoir par la suite.....
Suivant les instructions sur le papyrus et demandant quelques fois son chemin à des personnes, Tùpka traversa rues et ruelles, changeant progressivement de types de populations au fil des quartiers. Dans le quartier où elle finit, elle jugea bon de ne pas adresser la parole aux ijobiens autour, se faisant discrète et fermée. C'était sans aucun doute possible les bas-quartiers - même une enfant des bois comme elle put rapidement le comprendre. Elle resta sur ses gardes, pas très à l'aise mais ne le montrant pas.
Drôle d'endroit pour s'établir, pour un marchand.
Ou alors c'est qu'il est un peu téméraire.
Ou alors...
Elle arriva devant une petite mansarde délabrée. Elle était arrivée.
Elle prit une profonde inspiration, puis toqua à la porte massive. Des pas à l'intérieur se firent entendre et la porte s'ouvrit sur son grand-frère.
Il lui parut un peu plus maigre que la dernière fois qu'elle l'avait vu - peut-être n'étaient-ce que ses traits qui étaient devenus plus secs avec la fin de croissance. Même avec la barbe qui lui avait poussé, elle reconnut immédiatement cet éclat dans ses yeux bruns ainsi que ce sourire chaleureux qui dévoila ses dents.
- Tùpka !
Le grand gaillard offrit ses paumes et s'avança vers elle pour l'enserrer dans une forte étreinte. Elle se crispa un instant puis la lui rendit petit à petit.
Ça lui faisait du bien de le revoir.
Il finit par la libérer, gardant sa main fraternelle sur son épaule pour la guider.
- Le voyage s'est bien passé ? Entre donc.
Elle pénétra dans l'antre en acquiesçant vaguement à la question et remarqua une jeune femme assise sur un tabouret rustique. Cette dernière se leva et se dirigea vers la rousse, s'arrêtant à un mètre pour la scruter brièvement de bas en haut.
- Ainsi c'est donc toi la petite sœur dont Kraìjs n'arrête pas de me parler ! Enchantée : Vìadii.
S'ils avaient été d'en-dehors Ijoba, la dénommée Vìadii aurait probablement tendu sa main vers Tùpka, qui aurait observé ladite main tendue, puis Kraìjs, puis le visage de la dénommée Vìadii, puis de nouveau la main, puis elle aurait froncé un sourcil et le nez et serré avec méfiance la main. Elle fronça donc tout simplement sourcil et nez tout en se demandant sincèrement qui cette femme pouvait bien être, ne la lâchant pas des yeux. Vìadii avait un charmant sourire en coin.
- Cette maison est la mienne.... Ou plutôt la nôtre, maintenant. , annonça-t-elle en regardant en coin le brun, plaçant sa main sur son épaule.
Uh ? Kraìjs est avec quelqu'un ?
"Pourquoi ne me l'a-t-il pas dit dans ses lettres ?" , pensa Tùpka, à la fois contente pour lui et mécontente qu'il le lui ait caché - son instinct lui disait que ça ne datait pas de la veille. Kraìjs, devinant dans la mine mitigée de sa sœur ce qu'il s'y passait, leva les mains dans un geste d'innocent :
- Je voulais attendre qu'on se voie pour te l'annoncer.... Même si tu m'as doublé sur ce coup là dis, Vìadii.
- Ça, c'est parce que j'ai toujours un coup d'avance sur toi mon vieux. Tu peux poser tes affaires ici, Tùpka-chou.
..........
........................ Tùpka......... CHOU ? Elles ne sont pas encore copines à ce qu'elle sache ! C'est pas parce que son frère est son amant et qu'elle est plus âgée qu'elle qu'elle peut se permettre de lui donner des surnoms. Elles n'ont pas chassé les canards ensemble. Tùpka tira la tronche, sceptique.
La blonde amena un troisième tabouret et chacun s'assit, Tùpka observant discrètement son environnement.
- C'est elle, le marchand dont tu parlais dans tes lettres ? , fit la rouquine à son frère en désignant son hôtesse.
- Son père, plutôt. C'était avant qu'on emménage dans cette maison. , répondit-il en déposant des tasses de tisane sur la petite table.
- Même si j'ai en projet d'être moi-même marchande... Et même Grande Marchande, à vrai dire. , commenta l'intéressée en buvant une gorgée du breuvage.
Tùpka fit les yeux ronds. Elle a de l'ambition, et un objectif fixe. La blonde soupira.
- Enfin en attendant que ça arrive, je travaille occasionnellement aux ateliers de tissage.
- Ah oui ? Tu penses que tu pourrais m'y emmener pour que je voie ce qu'il en est ? , fit la rouquine en redressant la tête.
- Bien sûr.
Quelques secondes de gorgées.
- Et toi Kraìjs ? , demanda Tùpka.
Il tressauta imperceptiblement à la question.
- Moi ? J'effectue des travaux un peu à gauche et à droite...
C'est donc le plus volatile des deux. Tùpka espéra qu'il ne se reposait ou reposerait pas trop sur Vìadii.
La désillusion ne fut pas Vìadii, qui est réellement une femme géniale - Tùpka, à force de la découvrir, fut soulagée que son frère ne soit pas tombé sur une grognasse de vipère pourrie jusqu'à la moelle. Non. C'était plus de l'ordre matériel que social, au sujet de Kraìjs, comme elle ne tarda pas à le découvrir.
C'était un jour de marché, après avoir travaillé assez intensivement à l'atelier de tissage avec Vìadii.
Tùpka était profondément contente qu'elle ait accepté de l'y amener et qu'on l'ait acceptée, même si elle gardait une distance de méfiance au cas où la blonde chercherait à l'alourdir d'une dette de service. Ça la changeait du rejet perpétuel d'Aiski, mais être généreux gratuitement, ça ne peut pas être possible. Pourtant, on dirait que rendre service de la sorte à la jeune sœur de son compagnon lui paraissait normal.
Tùpka n'était pas trop habituée avec la gentillesse venant d'étrangers alors elle restait la plupart du temps mutique pour ne pas lui lancer des piques de défense trop blessantes. La blonde semblait s'y accommoder - peut-être a-t-elle eu un portrait semblable avec Kraìjs, au début. Quoi qu'il en soit, autant que possible, elle va essayer de rester à cet atelier pour faire le tour des différentes activités textiles histoire de voir si ça lui convient, et même au-delà de ça affiner sa maîtrise de la couture pour elle-même. Ça peut toujours être utile.
Alors qu'elle lorgnait sur les stands de nourriture tout en réfléchissant, elle aperçut un geste suspect non loin.
Un vol.
Personne d'autre qu'elle ne semblait avoir remarqué le larcin qui s'était effectué en toute discrétion. Boh, qu'est-ce qu'elle en a à foutre.
Sauf que cette silhouette lui disait fortement quelque chose.
Beaucoup, trop, fortement, quelque chose. Elle releva le regard. La silhouette disparut dans une ruelle.
Cette façon de se mouvoir... Tùpka fit la grimace, s'assombrissant. Elle espéra que son regard l'avait trompée.
.....
- Dis Kraìjs, c'est nouveau ce couteau ? , fit innocemment Tùpka après avoir avalé sa quatrième bouchée du dîner.
- Tu as l’œil... En effet, je l'ai acheté tout à l'heure : c'est mieux qu'un petit coutelas, pour cuisiner.
- Oh.
La rouquine ne dit rien d'autre du repas.
"Travaux à gauche et à droite ?..... Mon œil."
Que ses proches mentent aux autres, elle s'en fout, mais si c'est à elle, c'est en rogne que ça la fout. Elle toucherait deux-trois mots à son grand-frère, l'occasion venant. Son argumentaire se résumerait en deux points.
"Un : tu m'as déçue, deux : c'est pas comme ça que nous a élevé papa."
Peut-être que mentionner le paternel n'était pas une très bonne idée avec Kraìjs, après. Elle espérait que ce crétin ne volait pas régulièrement pour subvenir aux besoins de sa vie de couple. S'il se faisait prendre..... Hh. Et en même temps elle ne pouvait pas non plus vraiment le critiquer, elle-même n'étant pas vraiment une sainte - surtout quand on ne la regarde pas.
S'ils n'avaient pas un tel passif avec Aisiki, il aurait aisément pu y devenir un bon chasseur vu son agilité naturelle. La vie en a décidé autrement.
Tùpka resta environ trois ans à Isokan, faisant un peu le tour des différents métiers y existant. Se poser dans ce village fut l'occasion pour elle de découvrir d'autres philosophies sociétales qui l'inspirèrent autant que celles d'Aisiki, dans un autre registre. Elles différaient de la société actuelle et pour ça, Tùpka était curieuse de voir ce que donneraient l'une et l'autre s'il advenait qu'elles remplacent le fonctionnement actuel d'Ijoba. Ses tatouages s'élaborèrent au fil des années, au fil de ses avancées, au fil de ses pensées. Elle se lia avec le.a tatoueur.se, qui s'avérera en réalité être un.e informateur.rice infiltré.e de la Confrérie.
Elle écrivit régulièrement à son père mais n'eut pas vraiment l'occasion ni l'envie particulière de retourner à Aisiki. Il y avait de fait une dernière ville qu'il lui fallait explorer : Oluh.
C'est donc à 16 ouragans que la jeune femme autrefois surnommée la sorcière-gnome posa les pieds dans la capitale de l'île, sa chevelure rousse plus enflammée que jamais.
C'est aux ateliers royaux qu'elle découvrit le métier qui lui martèlerait les tympans pendant plusieurs années, ainsi que cellui qui serait son mentor pendant tout ce temps. C'était sa voie, elle le savait, celle du marteau. Elle ne le dirait pas, mais si elle est souvent peu certaine de ses capacités, de son instinct elle ne doute jamais (ou peu). Ne veut-elle après tout pas voir se forger une nouvelle société sur laquelle elle crache tant intérieurement ? Quoi de mieux pour extérioriser avec une précision à la fois brute et maniaque tous ses idéaux bouillonnant en arrière-plan ? La forge, évidemment.
Lea forgeron qui la prit son sous aile avait la particularité de maîtriser en plus la fonte de bâtons religieux - une part de Tùpka trouvait satisfaisant que les émissaires des dieux soient en quelque sorte dépendants de leur travail ainsi que de sa qualité.
C'est aussi à Oluh qu'elle gagna la balafre ornant dorénavant son nez d'un simple tatouage, mais elle ne démordit pas pour autant de son apprentissage, bien au contraire. Maintenant qu'elle était lancée, capacités ou non, il lui fallait se surpasser et avancer méticuleusement pour se démarquer de la masse d'artisans. Elle a bien l'intention de gérer sa propre forge, un jour. Les guerriers-chasseurs d'Aisiki l'auraient dans le cul eux aussi et surtout eux en fait, de dépendre d'elle. Elle imaginait bien Kodọw faire exorciser chez un prêtre ses armes fondues par une enfant maudit en récitant des prières à chaque fois qu'il les utilise.
Pas besoin de dire connards pour comprendre que le fait que son futur métier comporte cette vengeance bonus lui plaît particulièrement. Tùpka n'est clairement ni du genre à pardonner, ni du genre à oublier. Il ne faut pas prendre à la légère la hargne dont elle peut faire preuve... Elle est de longue haleine.
Le temps de son apprentissage, son mentor lui permet de loger dans une pièce à l'étage supérieur de la forge (c'est-y pas gentil). C'est pratique pour être parée dès l'aube, tiens.
L'Ouragan. El famoso. Celui qu'on attendait tous.
Pas besoin d'écrire des pavés pour dire que ce fut l'un des pires jours de Tùpka.
Ce jour-là, elle crut littéralement mourir sur place non pas de la fureur et des hurlements du déluge mais de la peur sans nom qui l'avait transpercée. Paralysée, tremblotante, paniquée, terrifiée, aucun mot n'est à la hauteur de ce qu'elle ressentit alors. Ah si, phobie. Cette chose qui pénètre dans notre corps pour le transformer en statue de glace sur le point de s'écrouler. Ce venin qui donne l'illusion cauchemardesque que notre dernière heure et venue, et sous la pire des formes. Ce verrou à l'esprit qui rend irrationnels les plus savants et fous les plus sages. Cette ombre qui s'incruste comme une tache de saleté dans ce qui nous constitue et dont on sue larmes et angoisses pour s'en débarrasser. Phobie. Ça te crève même les plus courageux quand ça les prend à la gorge.
D'une part il y eut ça, d'autre part tous les bâtiments n'eurent pas autant de chance que celui en pierre et donc plus solide de la forge. Tous les bâtiments, et tous les habitants non plus.
Les habitants...
Il y eut des pertes, à Aisiki aussi.
Eyẹrak en fit partie.
.....
Les restes de la hutte gisaient au sol comme les os d'un animal vaincu. Brisures de bois, fractures d'argile, éclats de meubles ; la terre avait déjà avalé le contenu des pots cassés. Des carnets du druide, ne restaient que ceux qu'on avait mis à sécher, mais l'encre avait coulé. Le sang aussi. Le ciel avait pleuré et crié son ire, le temps des pleurs et du deuil appartenait aux ijobiens, maintenant.
Les émeraudes de Tùpka étaient vides devant le spectacle d'un passé réduit à un monticule informe. Où sont passés les souvenirs d'enfance ? Le présent prenait place, sa dance macabre piétinant en fracas le cœur de la jeune rebelle. Le vide. C'est ce qu'on lisait, sur son visage. Le vide, et rien d'autre. Que faisait-elle là déjà ? Ah, oui. Elle s'était dépêchée vers Aisiki pour l'une des rares fois depuis son départ afin de vérifier que son père allait bien. Son père. Il suffit de franchir cette porte et elle le trouverait là, assis à sa table en train de préparer des potions.... pas vrai ? La porte.... La porte. Elle s'était avancée, dans sa tête, et sa main ne saisit que du vide.
Crac.
Il n'y a plus rien. Ha, oui, elle se souvenait du présent maintenant. Rien. Il ne restait, rien, que du vide, dans le présent. Il y a une absence. Où est Eyẹrak ? Assis à sa table en train de prépar- non. Non. Elle a vu.....
Elle a vu... Elle était revenue vers le cœur du village. Avait regardé. Des regards l'avaient regardée, aussi. Elle avait eu un mauvais pressentiment. Elle l'avait depuis la fin du sinistre, c'était d'ailleurs pourquoi elle était partie presque sur-le-champ.
Foutu instinct.
Elle avait marché, marché dans le village. L'angoisse avait monté, monté sur le chemin.
Elle s'était dirigée vers les soigneurs, soit le lieu le plus logique où aller lorsqu'on est blessé. Mais Eyẹrak va bien, pas vrai ? Il n'a aucune raison d'être là-bas. Il doit aller bien.
Elle avait vu... et touché. Des humains étaient debout, des humains étaient couchés. Les premiers bougeaient et les autres gisaient. Pile ou face. Les deux ignoraient l'apprentie dans tous les cas.
Elle marcha un moment, observa les visages.
Un haut-le-cœur compresse le diaphragme de la rouquine.
Son cœur fit miroir avec celui des gisants.
Le sang avait quitté le visage de la jeune fille.
....
C'est là qu'elle s'était penchée et avait touché, effleuré.
Dures et pointues, qu'étaient les griffes qui avaient agrippé ses tripes, celles de la réalité.
........
Et devant elle s'engluait dans la terre les morceaux disparates de ses souvenirs, formant une ligne bizarre et discontinue d'une réalité éclatée.
Elle ne sentit pas les larmes couler de ses yeux. Elles paraissaient pourtant brûlantes, sur ses joues rafraîchies par le choc.
Elle aurait pu s'enraciner et rester plantée comme un chien de faïence sur le point de se fracasser.
Une main sur son épaule suffit à refaire fonctionner son cœur engourdi. Les mots qu'on lui dit lui parvinrent comme des clapotis à la surface de l'eau.
Son regard quitta lentement le sol pour se poser à hauteur d'homme sans point fixe, déconnecté.
Il fit une percée presque violente à la vision d'un individu, non loin, entouré de quelques autres. C'était quoi son nom déjà ? Dans ses souvenirs, il ne boitait pas..... Dans ses souvenirs.....
Kodọw.
... Pourquoi ce connard est en vie.
Des vestiges de sa maison d'enfance, la rousse au regard vide et sombre voyait le chasseur qui lui avait toujours foutu la frousse quand elle était môme, là, en train de zigzaguer entre les quelques autres débris du village. Sa béquille de fortune n'enlevait pas l'air droit et fier qu'elle lui avait toujours connu. Elle essuya ses joues d'un revers de bras ; la main sur son épaule disparut. Peut-être parce qu'il sentit son regard, le guerrier releva la tête vers elle.
Noisette et mousse croisèrent le fer.
Kodọw s'était figé, un instant.
Il reprit sa route, fuyant ces yeux verts, paraissant un peu plus pâle, un moment. Elle l'observa s'affairer au transport d'un baluchon d'ustensiles attaché à son épaule libre pendant que des bribes de conversation entre deux villageoises tannant des peaux venaient à ses oreilles.
- C'est vraiment terrible... , soupira lentement l'une d'elle, pâle. Elle avait besoin d'extérioriser.
- À ce qu'il paraît, Aisiki a été la moins touchée...
- Il y a tout de même eu des morts et des blessés... J'ai entendu les soigneurs dire que Kodọw allait garder des séquelles à la jambe... Il est probable qu'il ne puisse plus chasser comme avant, voire plus chasser du tout.
- Ce n'est pas le seul, malheureusement...
- Non... On l'a retrouvé sous les décombres de la hutte du vieux fou de druide, tu sais.... Eyẹrak. Certains disent qu'il est parti pour le mettre à l'abri avec les autres du village.
- Heureusement que certaines personnes ont été très réactives au niveau de la mise à l'abri. Notre position géographique et ces mesures spontanées ont probablement aidé à diminuer les dégâts.
- Hm-hm... C'est tout de même triste que ça se paye de la sorte, comme pour Kodọw.
- Les voies des dieux sont impénétrables pour des non-spirituels comme nous, j'imagine.
- D'ailleurs, n'ont-ils rien senti venir, les prêtres ?
- Je n'en sais rien... Tiens, il reste cette peau à tanner et le stock sera sauvé.
Une seule information était restée gravée dans l'esprit de Tùpka.
Kodọw avait été retrouvé sous les restes de la hutte de son père.
Elle ne croyait pas trop à cette histoire de sauvetage valeureux.
Elle s'était toujours méfiée de cet homme.
Cet homme avait été retrouvé sous les décombres de la hutte de son père. Père décédé. Superstitieux comme il est et voyant l'ouragan sévir chez les siens, qu'est-ce qui l'aurait empêché de faire en sorte que le chaman ne revoie plus la lumière du jour, éloignant par le même coup le mauvais œil qui avait visiblement porté malheur au village ? Peut-être que la forte présence d'Iku pendant le déluge n'avait été que la compensation de toutes les offrandes volées qu'étaient les enfants maudits. Et la façon dont le chasseur avait évité son regard.... Quelle interprétation autre que celle commençant à émerger dans ses jades pourrait prendre place ?
La jeune femme commença à se raccrocher à autre chose qu'à la peine qui l'avait totalement anesthésiée sur le coup. Elle renifla un coup. Son faciès changeait, se teintait d'un sentiment s'enracinant de plus en plus profondément dans son esprit. Il grandissait, lentement, à la fois chaotiquement et méthodiquement. Chaque pli dans son visage, chaque atome de son regard, petit à petit s'imprégnèrent d'une vibrance mauvaise. Une telle colère dans ses iris enflammés faisaient froid dans le dos. Plus que colère, la brûlure de son regard dur se transforma en haine pure. Elle fixait toujours Kodọw. Leurs yeux se croisèrent, de nouveau. Ceux de Tùpka communiquaient un seul message écrasant.
"C'est de ta faute, s'il est mort."
Elle serra les poings, les paires d'yeux ne se décollaient pas. Il y avait quelque chose de fascinant, pour un regard extérieur, d'observer ces pupilles se rétrécir en minuscule point aussi acéré qu'un coutelas. C'est comme si ses iris vert liquide maintenaient prisonniers ceux de l'adulte malgré les mètres les séparant.
Peut-être bien qu'elle était une sorcière, au final.
Ses jointures craquèrent. Avec un regard toujours terriblement intense, elle se détourna et s'enfonça dans les bois, plus sombre que jamais.
"Qu'Eke te maudisse et moi avec ; tu me le payeras."
Elle disparut dans l'ombre des arbres torturés par le vent.
Quelques pas excités écrasèrent les brindilles qui avaient eu le malheur de s'être retrouvées dessous alors qu'un bambin d'environ sept ouragans brandissait fièrement des racines qu'il avait trouvées à la force de ses petites mains écorchées.
- Kilaiiwenoùwendon, itùke, itùke ! - (J'ai trouvé tes racines, regarde, regarde !)
- Beji, bejigwendọ Kraìjs. - (Bien, très bien Kraìjs.)
Le dénommé Eyẹrak s'approcha avec aisance dans le terrain jonché de racines et de plantes diverses, la besace déjà pleine de différentes herbes, s'appuyant sur son bâton druidique. Il se saisit délicatement des racines que lui tendait Kraìjs et les ausculta rapidement puis eut un léger sourire satisfait.
- Leleguei, Kraìjs. Il observa un instant les alentours, tranquille mais les oreilles tendues. Kaiyọviliwi, gradawe tsepùltu. - (Tu apprends vite, Kraìjs. Nous avons ce qu'il nous faut, rentrons à la maison maintenant.)
Le duo commence à faire demi-tour, quand un cri strident se met à résonner un peu plus loin.
Ils se figèrent sur place et tournèrent la tête vers la source du cri qui avait semblé à la fois écrasé et essoufflé. Ce n'était pas un cri effrayant en soi, loin des hurlements de loups en pleine chasse par exemple. C'était plutôt un cri plein... de faiblesse, en quelque sorte. De la peur et de la confusion.
Eyerak, pour en avoir déjà entendu de semblables, savait à peu près de quoi il s'agissait, mais Kraìjs restait figé, prêt à détaler s'il y avait besoin, peu serein. Il posa ses petits yeux brouillés d'enfant sur l'adulte dont le regard perçait au-delà des arbres, comme s'il transportait son ouïe jusqu'à un endroit très éloigné de là, les doigts légèrement écartés de son bâton.
- Doidọwe. - (Reste près (de moi).)
L'ijọbien s'avança à travers les végétaux scintillants et frissonnants sous le léger souffle qu'Afefe parvenait à infiltrer dans la forêt. Le petit garçon le colla de près, serrant les poings d'appréhension même s'il était déjà rassuré d'avoir Eyẹrak à ses côtés. Des petits couinements pittoresques commencèrent à monter faiblement en volume, presque dans des murmures sans air au fur et à mesure que la créature qui les poussait les entendait s'approcher.
Eyẹrak écarta des lianes et de grandes feuilles du passage, dévoilant une scène peu rare à Aisiki.
Un nouveau-né gisait là, sans défense au pied d'un arbre dont on ne savait pas si les branches tendues se voulaient protectrices ou alors avides d'obtenir de l'engrais frais pour ses racines. Il était encore un peu humide de visu - sa mise à bas devait remonter à peu de temps.
- Lele Kraìjs, hiotkùmi ! - (Vite Kraìjs, aide-moi !) fit calmement le chaman en se dépêchant aux côtés du petit bout d'être humain avec des gestes sûrs et maîtrisés. Il avait déjà vécu une scène du même genre après tout, et son savoir-faire a souvent fait avec brio ses preuves dans ce genre de situations envoyées par la vie.
Peu de gens d'Aisiki auraient fait ce que s'apprêtait à faire Eyẹrak pour la deuxième fois de sa vie. Les bébés abandonnés dans la forêt sont censés être des offrandes aux dieux - les leur retirer paraît communément très irrévérencieux à leur égard. Ceux qui en ressortent vivants sont alors traités comme des enfants maudits - est-ce mieux d'être dévoré par les carnivores et les parasites des bois ou de se faire rejeter par son groupe d'humain comme si l'on était les parasites ? Bonne question.
Eyẹrak avait décidé que s'il avait appris à lire tôt les bienfaits cachés des plantes et à rendre le respect dû aux esprits de la nature, c'était pour aider ses semblables humains, qu'ils viennent de voir le jour ou qu'Iku s'apprête à les effleurer de ses doigts froids après le passage d'Akako sur leur visage. Pas à passer indifféremment devant un petit être vivant qui s'époumone d'incompréhension et d'inconfort.
Le druide et son jeune associé s'occupèrent des premières nécessités puis enveloppèrent le nourrisson dans un petit veston. KraÌjs se vit chargé de porter le bâton du plus grand tandis que celui-ci berçait le petit être à la peau rose et à la petite touffe rousse de vie. Ils restèrent silencieux une bonne partie du trajet.
- Itùkete Kraìjs, zilijobii.... erekonhi. - (Tu vois Kraìjs, ce petit être.... il est comme toi.) finit par dire Eyẹrak au bout d'un moment. Tailidadjo kakrekoleiri, sadat. - (Tu devras en prendre soin comme un membre de ta famille, fils.)
- Aghili kunderi ? - (Comment va-t-il s'appeler ?)
- Erezilìja... - (C'est une petite fille...) Iseìdatàn gadjonwi... - (Nous l'avons trouvée au pied d'un arbre...)
- Dọke...... Tùpka ? - (Pourquoi (pas)/Peut-être... Tùpka ?)
- Tùpka ?
- Galawe tìenkù ! Daka...gedjomi. - (Comme une flamme sauvage ! Enfin... je trouve.)
- Hmmmmm.... Tùpka, ke. - (Hmmmmm.... Go pour Tùpka, alors.) Erenawi. - (C'est joli.)
Ils arrivèrent tous trois peu de temps après à la petite hutte un peu à l'écart d'Eyẹrak, et y pénétrèrent.
Ils avaient beau avoir été discrets en arrivant, la nouvelle qu'il avait récupéré de nouveau un bébé abandonné se répandit rapidement dans le village - ça n'aurait pas tardé, de toute façon. Alors que le druide alimentait l'enfant affamé avec un morceau de tissu propre imbibé de lait qu'il tétouillait de moins en moins férocement, semblant s'apaiser un peu dans cette ambiance rassurante de bienveillance, des coups secs se firent entendre à la porte de la cabane. Alors que Kraìjs s'apprêtait à aller ouvrir, Eyẹrak lui signifia de ne pas bouger et de rester à côté de lui - de toute façon, l'individu qui avait toqué ne se dérangea pas pour entrer sans autorisation verbale.
- Ehh. Eredek, ke. - (Ehh. C'est donc c'est vrai, ce qu'on dit.) Le lascar s'avança d'un pas menaçant mais contrôlé qui reflétait la colère qui grondait dans son regard.
.........
- Ekemi dreilei, bawig Eyẹrak ?! - (Tu veux vraiment attirer le mécontentement des dieux sur le village, vieux fou d'Eyẹrak ?!)
- Ereri, ereri. - (Maintenant qu'il est là, je ne vais pas le remettre là-bas tout de même.)
- Ekemi gwalek tie ekemi gwalek ?! - (Et quand les foudres du panthéon s'abattront sur nous, tu diras la même chose pour te faire pardonner ?!) Erebawig. Bawig !! - (Tu es fou. Complètement fou !!)
- Aabei, eleileh dweh. - (Les dieux savent que je ne fais que suivre la mission qu'ils m'ont donnée avec le plus grand respect : prendre soin de mes frères et sœurs humains, qu'importe le lieu et leur condition.) Dakebọ. - (C'est tout.)
- "Dakebọ" ?! Dọke dakebọ ?! - ("C'est tout" ?! Comment ça, c'est tout ?!)
L'homme donna un violent coup de poing sur la table, sa colère cachant en réalité une crainte qui serait superstitieuse pour certains tandis qu'inutile pour d'autres. Le coup vibra brusquement dans la pièce et fit sursauter le bébé, qui se mit à geindre d'inquiétude. Le druide le berça doucement en lui soufflant quelques mots doux pour l'apaiser, l'entourant toujours de ses bras protecteurs. Le nourrisson se calma et se remit à boire du lait qu'on lui faisait téter à défaut d'avoir le sein de sa mère. Eyẹrak planta son regard de fer dans les iris de l'intrus.
- Dakebọ. - (La discussion est close et il ne sert à rien de s'agiter et de tout casser. Sors. Tu stresses Kraìjs et le bébé.)
L'homme était pâle. Il serra les poings et les mâchoires, posant un regard dont la haine n'était due qu'à une appréhension excessive, probablement, sur Kraìjs qui était resté à l'écart puis sur le nouveau-né. Une artère se démarquait dans son cou.
Il fit volte-face, se dirigeant vers la sortie tout comme il était venu.
- Gradaweke te ijobieke. - (Cette maison empeste l'enfant maudit, je m'en vais.) Il s'arrêta au seuil et lança un dernier regard en arrière. Ekenei Aisiki, bikuwehi. - (S'il arrive malheur au village par ta faute, tu en payeras les conséquences.)
Ses prunelles faisaient peur à étinceler de ces menaces à peine dissimulées. Eyẹrak ne bronchait pas, continuant de bercer et de nourrir le bébé tout en fixant calmement l'homme en colère, qui s'en fut.
Kraìjs s'approcha de plus près de son père adoptif et de sa petite sœur nouvellement adoptive. Une petite sœur. Il n'avait jamais imaginé que ça puisse arriver un jour. Comment doit-il réagir ? Ressentir par rapport à leur nouvelle situation ?
- Héhéhé, ereri bọk. - (Héhéhé, elle ne ressemble à rien !) rit-il à la fois doucement, nerveusement et un peu émerveillé en touchant délicatement le nez du nourrisson avec le bout de son index. Erekonmiri ? - (J'étais pareil quand tu m'as trouvé ?)
- Rukeì. - (Tu avais les cheveux noirs, toi, mais sinon, oui.) sourit le druide en indiquant la tignasse de Kraìjs d'un mouvement du menton.
- Tùpka, Tùpka.... Ereke nawi !! - (Tùpka, Tùpka.... Je suis sûr que tu seras magnifique quand tu seras grande !)
- Dégage, on veut pas de toi.
- Arrête de nous coller espèce d'abrutie !!
- On veut pas d'enfants maudits, sinon Eke va venir nous tourmenter après ! C'est mon papa qui me l'a dit !
- Imbécile, prononce pas son nom ! Suffit de les ignorer, elle et son frère, c'est tout. Le dernier arrivé à la cabane du vieux Ọk est un vieux poisson moisi !
- Héééééééééééhéhé !!
La petite rousse resta sur place, ses yeux verts regardant les enfants partir en courant dans des exclamations joyeuses ou révoltées. Ses mains se serrèrent sur le petit bout de chiffon collé contre sa petite poitrine, tissé en une petite poupée à l'odeur de tilleul et d'acacia ; son porte-bonheur. Quelque chose dans son visage se froissa, comme une petite fleur que l'on écrase méchamment ou comme une esquisse que l'on écrabouille dans notre paume pour la jeter au loin. Son genou trembla et elle s'éloigna, se dirigeant à petits pas silencieux vers la hutte de son père adoptif, la tête rentrée dans les épaules sous le poids des yeux qui la fixaient dans son passage.
Que peut un porte-bonheur face à tous ces regards mauvais qui semblent la suivre avec mépris comme si on la souhaitait tomber raide morte, ou tout simplement disparaître en fumée ?
Elle ferma calmement la porte derrière elle et s'avança vers la table, se hissant péniblement à la force de ses bras sur une chaise à côté d'Eyẹrak qui préparait une mixture tout en prenant des notes, semblait-il. Ses yeux restèrent rivés vers le bas, le chiffon odorant toujours contre elle.
- Ils veulent pas jouer avec moi.... Ils disent qu'on est maudits, Kraìjs et moi. Pourquoi ?
Eyẹrak posa doucement son pilon et se passa une main sur la face, prenant une respiration profonde, puis il reprit ses notes tout en parlant avec son calme habituel.
- C'est ce qu'ils t'ont dit ?
- Pas qu'eux... J'ai entendu des grands murmurer des fois... Alors c'est vrai ? Les dieux nous détestent, lui et moi ?
Parce que les dieux ne doivent pas vraiment les porter dans leur cœur pour que leurs enfants humains les rejettent ainsi elle et son frère, non ?
- Ne te mets pas à dire des bêtises comme eux. , fit doucement le druide en la regardant bien qu'elle garda son visage vers le bas. Si les dieux ne vous aimaient pas ou vous jugeaient indignes de fouler leurs terres, ne penses-tu pas qu'ils ont largement de quoi vous faire disparaître en ce cas ?
- Pourquoi ils le font pas ? Leurs regards.... Je crois qu'ils voudraient qu'on soit pas là.... Mais pourquoi ?
Son genou tremblait encore, en parallèle du coin de sa bouche pincée.
- La peur.
Le crayon gratta de nouveau le petit carnet avant et pendant les secondes suivant ce simple mot. Ce simple mot, qui fit se relever légèrement la tête de la gamine. Les discrets tremblements, mus en réalité par un sentiment brûlant, se calmèrent légèrement.
...
- Peur ?
Eyẹrak souligna un mot et tourna la tête vers sa fille. Il acquiesça, les traits légèrement ridés.
- Oui. C'est elle qui les aveugle et les fait vous rejeter de la sorte.
- Mais... on leur a rien fait.
Tùpka ne comprenait pas. S'ils ont vraiment peur d'elle et de son frère comme l'on a peur d'une grosse bête à dents, pourquoi ne couraient-ils pas en piaillant au lieu de faire comme s'ils étaient des fantômes à moitié tangibles ?
- Non. Mais ils craignent que, volontairement ou non, vous attiriez la mauvaise fortune sur le village. C'est une peur dictée par de vieilles superstitions mais qui restent ancrées.
- Et c'est pour ça qu'ils disent que je suis bête et moche ? Qu'ils disent que Kraìjs n'est qu'un débile de bon à rien ? Ils l'appelaient aussi la "sorcière-gnome" des fois, à cause de sa taille d'enfant, de sa réputation d'enfant maudit et du fait qu'elle soit selon eux "bizarre".
- C'est surtout pour ça qu'ils préfèrent vous tenir à l'écart. La peur amène souvent à la méchanceté.
- C'est eux qui sont bêtes alors. Si j'ai vraiment le pouvoir de leur faire très mal, j'hésiterais pas vu comment ils nous traitent.
Ses phalanges étaient blanches sur sa petite poupée. La grande main rêche et chaude de son père se posa sur ses petites mains et les défit doucement, plongeant ses yeux gris dans ses jades aux pupilles subtilement sensibles.
- Tùpka... Penser ainsi n'est pas la bonne voie.
- Se laisser faire non plus.
La rouquine détourna la tête de nouveau, se renfermant.
....
- Pourquoi tu nous as recueillis, Kraìjs et moi, si tu savais ce qu'il se passerait ? Pourquoi tu n'as pas fait comme tout le monde au lieu de rester tout seul à cause de nous ?
- Parce que j'ai considéré que vous méritiez de vivre et que vous en auriez la force. Je vous ai simplement donné une chance, et les dieux ne semblent pas s'y être opposés, pas vrai ?
- T'es débile.
Eyẹrak sourit doucement.
- Probablement.
L'homme reprit son pilon pour sortir le jus de la pâte verdâtre qu'il avait préparée, consciencieux. Tùpka fronça les sourcils et s'avança légèrement sur sa chaise.
- Tu fais quoi ?
- Tu veux apprendre ? , fit-il avec un sourire en coin énigmatique
- Gn.
Tùpka pencha la tête et l'observa faire en agitant lentement ses jambes sous la chaise, tout ouïe derrière son air sombrement renfrogné qui la suivra probablement jusque vieille.
....
- Kodọw... Il me fait peur.
Elle avait faiblement sorti ces mots après quelques instants à avoir scruté les gestes de son père, détournant les yeux. Elle se mordit la joue au souvenir de ces prunelles marrons qui paraissent s'enflammer de négativité à chaque fois qu'elle le croise. Ce n'est pas comme avec les autres qui se contentent de garder leurs distances avec souvent de l'indifférence et du mépris - c'est rare que ce soit autrement. Quand cet adulte est dans les parages, elle n'a qu'une seule envie viscérale : ne pas se retrouver seule avec lui. Par tous les moyens possibles.
Elle avait l'impression de se transformer en petit rongeur sans défense quand le chasseur posait son regard sur elle comme si elle était de la vermine.
Ses mains se serrèrent de nouveau sur sa poupée rustique, prises par une sensation plus glaçante, le genre à se faufiler au creux des veines comme du venin.
Elle ne savait pas si les autres avaient réellement peur d'elle, mais elle savait que cet adulte était le seul dont l'image lui évoque inexplicablement un profond effroi.
Le druide souffla de nouveau et se gratta le crâne, réfléchissant.
- Kodọw est très engagé envers Aisiki. Seulement, sa méfiance et sa superstition exacerbées peuvent l'amener à paraître agressif... Mais ce n'est pas un mauvais bougre.
Il tourna une page, lissant le papier.
- Son père était un ami proche... Je le connais donc depuis qu'il est tout petit. Je ne doute pas qu'il arrivera à suivre le même chemin glorieux que son paternel. J'espère uniquement qu'il parviendra à garder assez de discernement pour ne pas faire de coûteuses erreurs.
- Je l'aime pas. , marmonna Tùpka avec un air renfrogné, enlevant les mains de sous ses cuisses pour croiser les bras.
Eyẹrak la regarda puis lui ébouriffa calmement les cheveux. Son sourire fit du bien à la petite, qui perdit légèrement de sa moue.
- C'est ton droit. Mais ne lui en veut pas trop fort.... Il est un élément important du village et il pense sincèrement bien faire.
- Hm. , acquiesça simplement Tùpka, un peu trop mollassonne pour paraître vraiment convaincue mais assez pour clore ce sujet la mettant mal à l'aise, tout compte fait.
Son papa est là pour la protéger et l'apaiser... Ça suffisait à la rassurer un peu.
- Tu vois, Tùp', c'est comme ça qu'on fait pour pêcher ! Allez, à ton tour maintenant ! , déclara Kraìjs en tendant sa canne de fortune à la petite rousse, mettant sa trouvaille dans le panier à cet effet.
D'autres pêcheurs - adultes, majoritairement - étaient à côté ou plutôt à l'écart du duo.
- Hm... , fit la môme en saisissant l'engin en bois, un peu incertaine.
Ses mains se firent plus fermes alors qu'elle se mettait face au bout de mer. Son grand-frère corrigea sa position pour qu'elle soit ancrée sur ses deux pieds nus puis resta immobile à côté, l'observant.
C'était une activité demandant patience et discrétion.
.....
L'eau arrivant facilement à ses genoux écorchés la picotait et en même temps l'engourdissait. L'air marin emplissait largement ses narines et poumons, à la fois différent de celui de la forêt et tout aussi frais. Ça laissait un étrange goût salé et humide dans le fond de sa bouche - assez agréable, à vrai dire. Le soleil peinait ce jour-là à cogner à travers les quelques nuages blancs amoncelés ci et là. Eyẹrak ramassait non loin des algues comestibles - être accompagnée de lui et de son frère était rassurant. À vrai dire, elle aurait bien voulu rester à observer cette masse de bleu liquide pendant tout ce temps, mais elle voulait aussi apprendre pour pouvoir aider sa famille. Alors elle restait plantée dans l'eau à la fois tranquille et envahissante, ne bougeant parfois que de quelques tremblements non maîtrisés.
......
Elle commençait à avoir des fourmillements sourds dans la plante des pieds quand quelque chose remua au bout de la ligne. Elle étouffa une exclamation et ses mains se crispèrent sur la canne pour la coller de toutes ses forces contre elle. Kraìjs s'était tendu à côté et se mit à l'encourager en frappant des mains et en soufflant quelques mots en souriant grandement. Elle redressait de son mieux l'ustensile, essayant de faire voltiger le poisson pris au piège comme l'avait fait son frère de treize ouragans un peu plus tôt.
Mais, à être tellement concentrée sur les muscles du haut de son corps, elle en oublia ses racines et son pied dérapa. Elle atterrit sur le cul et vit l'ombre du poisson s'enfuir vers d'autres flux.
Sa mine se décomposa, déçue.
- Ahhhh allez, ne fais pas cette tête, on réussit rarement du premier coup quand on débute.
Ces mots n'arrivaient pas à faire partir la déception, et une moue boudeuse s'ajouta à l'air sombre de la gamine. Le brun l'aida à se relever.
- Ré-essaye. Si moi j'y arrive, toi aussi tu le peux.
Elle n'en était pas si sûre... Mais elle voulait vraiment faire plaisir aux siens, et puis... La sensation de faim n'est jamais quelque chose qu'elle supporte très bien, alors mieux vaut qu'ils repartent avec assez de prises pour trois. Tùpka se remit en place et l'eau agitée s'apaisa au rythme naturel des vagues.
Okun envoya un autre poisson vers la canne à pêche du bout d'ijobienne qu'elle était. Cette fois-ci, elle n'oublia pas de se tendre entièrement comme si elle était un arbre violenté par le vent. Ses doigts se firent blancs sur l'objet et une grimace tordit ses lèvres sous l'effort, crispant les mâchoires tout en ignorant la plainte de ses muscles. Il fallait qu'elle réussisse. Il le fallait. Un couinement lui échappa quand l'hameçon chargé fut soudainement éjecté hors de l'eau ; un poisson reluisant à son bout. Il gigotait faiblement, vaincu.
Kraìjs enfonça sa paume dans la chevelure de sa petite sœur et détacha le pauvre animal pour l'envoyer rejoindre les quelques autres ensevelis dans leur panier.
- Bravo ! Tu vois que tu y arrives ? Dès que tu chopes le truc et que t'as un peu de chance, ça vient tout seul. On va bien manger ce soir !
Il referma soigneusement le panier, coinçant la canne à pêche dans les courroies, puis se retourna vers la petite dont les pupilles avaient légèrement grossi.
- Maintenant que tu as réussi cette étape, il y en a une dernière que tout bon pêcheur respectueux se doit d'effectuer à la fin de sa récolte.
Il joignit les mains, fermant une paupière tout en observant la rousse miniature de l'autre œil, l'encourageant à faire de même.
- Merci Dieu Okun pour ces poissons qui nous permettront d'éviter la faim pendant autant de temps que la Déesse Akako nous le permettra. Il inclina la tête dans le vent marin.
Tùpka baragouina un peu maladroitement sa prière de remerciement, les mains jointes de façon un peu incertaine.
Puis...
- T'es sûr qu'Il va nous entendre ?
- Je pense ! J'ai souvent vu les autres pêcheurs faire ça... Ils le feraient pas si ça servait à rien, nah ?
- Buh...
Tùpka tourna la tête vers l'horizon sans fin. Le ciel s'était dégagé au-dessus de leurs têtes, libérant petit à petit les rayons acérés d'Oorun. Son index était légèrement levé, un peu rêveuse. Elle fit un grand sourire. Ses mains se claquèrent avec un discret enthousiasme, de nouveau jointes.
- Dieu Orun, je voguerai un jour sur Tes flots ! Promis !
Kraìjs suffoqua un coup à la déclaration soudaine de sa petite sœur et elle reçut une taloche sur le crâne.
- Abrutie ! T'as pas entendu les grands parler de ceux qui s'y sont aventurés ? Et c'est quoi ces manières ? Les prières servent à remercier et à demander de l'aide, pas à faire des promesses de défi !
- Tu deviens aussi superstitieux que les autres... , marmonna Tùpka en passant sa main sur sa tête, se refermant, lèvres pincées.
- Nan. Mais si les dieux nous ont laissé la vie sauve une fois, je préfère autant ne pas les énerver.
- S'ils sont si bienveillants, pourquoi ne nous laissent-ils pas explorer ce qu'il y a par-delà les mers ?
- S'il y a bien quelque chose en dehors. Et s'il y avait autre chose, qui te dit que ce ne serait pas un monde rempli de monstres sanguinaires qui t'y attendrait ? Encore faudrait-il que tu survives aux pics de la crique. Pourquoi les dieux se seraient donné la peine de créer un autre endroit que leur Terre que nous peuplons s'il nous suffit largement ? Ne va pas gaspiller ta vie en tentant l'impossible... d'accord ? Si c'est l'aventure que tu cherches, Ijoba est bien assez grande pour ça sans chercher un ailleurs.
....
- Mh.
Eyẹrak leur fit signe, non loin.
- Ah, papa a fini ! Allons vite le rejoindre. Il passa le panier sur une épaule et son bras sur celles de sa petite sœur, se dirigeant vers leurs chaussures délaissées et leur père. Il va être content de voir tout ce qu'on a attrapé.
Les regards en coin de quelques pêcheurs lui donnaient de désagréables frissons à l'échine.
La petite fille suivit le mouvement, mais ça ne l'empêcha pas de jeter un dernier regard à l'océan en partant.
Un jour, elle y voguerait, crique ou pas. Elle réussirait là où tous ont échoué. Les réponses apportées par son frère ne lui suffisaient pas.
- Tu as pris un pot de pommade en cas d'urgence ? N'oublie pas les bandages.... clous de girofle.... De l'essence de millepertuis et une fiole de vinaigre aussi...
- Oui, j'ai aussi vérifié la nourriture et l'eau... Ne t'inquiètes pas.
- Je sais, tu es débrouillarde.
Eyẹrak posa sa paume sur l'épaule de sa fille. Il la dévisagea attentivement comme pour imprimer ses traits dans son esprit, et dans ses yeux orage passèrent les ouragans qui s'étaient écoulés avec la vitesse de la foudre, lui semblait-il. Déjà treize ouragans...
Voir ainsi son deuxième enfant s'en aller d'Aisiki pour apprendre ailleurs le faisait se sentir vieux, tout d'un coup. Il lui semblait que l'époque où sa petite rouquine était à ses côtés avec Kraìjs datait d'hier.
Ce n'était pas inexact, dit comme cela. Ses traits se creusèrent légèrement et un petit sourire craquela ses lèvres, apportant une lueur à ses yeux vifs.
- Tu me donneras de vos nouvelles, à toi et Kraìjs ?
Depuis que père et fils s'étaient disputés trois ouragans plus tôt, ils n'avaient plus jamais repris contact. Aux dernières nouvelles, de par un papyrus adressé à Tùpka, un marchand l'avait pris sous son aile à Isokan, où il vivait une vie assez tranquille.
La rousse acquiesça et baissa la tête quand la paluche de celui qui avait pris soin d'elle durant tous ces ouragans s'enleva. Elle releva les émeraudes et à mi-voix, les lèvres pincées :
- Je n'y manquerai pas.
Elle rajusta sa bandoulière, rebaissant le menton.
Elle était ravie de dégager de ce maudit de village rempli à 85% d'enfoirés. Elle était soulagée de gribouiller fermement sur cette partie de son passé pour ne plus y re-jeter que quelques rares regards. Rares regards... pour les rares 15%, dont son père. Quelque chose dans sa poitrine se froissa légèrement, dans son estomac s'emmêla. Quelques secondes de face à face baissée se déroulèrent. De l'hésitation, quant à la posture à tenir. L'hésitation partit, brouillée au loin.
Elle fit un pas, puis deux, puis ses bras serrèrent avec force le druide.
- Merci.
C'était plus un couinement murmuré qu'un vrai mot.
L'adepte des plantes rendit sans un mot son étreinte - parler n'était pas nécessaire pour se faire comprendre. Encore moins avec un lien fort comme le leur.
....
Elle s'écarta, puis commença à s'éloigner d'un pas décidé sous le regard de l'ijobien, qui resta fixé plusieurs secondes après sur le point où disparut la juvénile aux cheveux de flamme.
"Merci plutôt à toi, Tùpka... Merci d'être ma fille, de m'avoir accepté en tant que père."
Lui-même se détourna et s'en fut calmement avec le poids des années dans sa hutte, comme un dragon avec le plus précieux de ses coffres. Le quotidien et les souvenirs lui porteraient compagnie, dorénavant. Il savait que ce n'était pas dans les intentions de l'adolescente de revenir un jour s'installer à Aisiki, et il trouvait qu'il en allait mieux ainsi. Elle a besoin d'un endroit où elle se sente réellement chez elle, et pas uniquement de cette vieille cabane entourée de superstitieux hostiles.
"Bon voyage à toi, et que les dieux soient avec toi."
La porte se referma derrière lui.
Elle lui resterait toujours ouverte, si jamais.
Arrivée à Isokan, elle se fit faire des premiers tatouages triangulaires aux poignets et dessus des mains : des crocs, pour qu'elle se souvienne toujours de sa vie passée à Aisiki. C'est derrière elle, mais c'est maintenant aussi en elle, cette haine grandissante pour la société ijobienne ainsi que cette envie de la faire bouger. Au début, elle en voulait à ceux qui les rejetaient, elle et les siens, pour des croyances bidons d'enfant maudit. Son année commune d'apprentissage lui a permis de faire plus ample connaissance avec quelqu'un qui lui a fait comprendre que le problème n'était pas quelques croyances mais bien les fondements mêmes de la société dans laquelle ils vivent. Merci à cette personne, elle allait pouvoir observer la vie humaine en dehors d'Aisiki et s'y confronter à défaut de pouvoir s'y fondre.
Elle avait hâte de revoir son grand-frère ainsi que d'entrer dans la vie active, même si elle ne savait pas vraiment ce qu'elle voulait faire à ce moment précis. Suivre la voie des plantes comme son père lui avait effleuré l'esprit, mais retourner étudier à Aisiki la révulsait pour l'instant - tout ce dont elle avait envie était de changer d'air. Le textile ? Elle connaissait les bases du tannage mais ne connaissait encore rien des méthodes isokiennes - peut-être que ça lui plairait. Être chasseuse ou guerrière ne l'attire pas plus que ça.... Le premier serait uniquement pour subvenir à ses propres besoins tandis que le deuxième la soumettrait à la politique des dirigeants - elle n'en sait pas assez sur son île pour s'engager de la sorte. Obéir à des ordres, défendre des choses déformées par son regard haineux ne serait pas pour lui plaire. Construire des bâtiments ? Devenir apprentie scribe ? Vouer sa vie à la prière comme le font les prêtres n'est clairement pas dans son champ de vue.
Enfin, elle verrait bien.... Elle était persuadée qu'elle trouverait bien sa voie - elle n'a pas vraiment d'autre choix maintenant qu'elle est adulte.
Tùpka connut une première désillusion en retrouvant son grand-frère.
La première chose qu'elle chercha en arrivant à Isokan était bien évidemment Kraìjs. Il lui avait fait savoir par papyrus qu'il l'hébergerait si elle le souhaitait le temps de sa tournée d'apprentissage à Isokan. Ça faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas vu son faciès.... Elle se demandait s'il avait beaucoup changé ou s'il était resté égal à lui-même. Eyerak n'avait jamais voulu lui dire à propos de quoi ils s'étaient disputés, mais pour que son frère rompe définitivement les ponts avec leur père, c'est que ça devait être grave.... Ou pas. Elle n'en savait rien. Peut-être que son frère lui en parlerait pendant son séjour, peut-être pas. Ce qui comptait, c'était qu'ils soient de nouveau réunis, même temporairement. Ça l'avait pas mal déboussolée à l'époque qu'il décide de ne plus passer à la maison pour les voir, même avec les lettres qu'il lui envoyait périodiquement. Il avait toujours été là, avec son père, alors déjà que ça lui avait fait bizarre quand il était parti en tournée d'apprentissage, mais ne plus le revoir par la suite.....
Suivant les instructions sur le papyrus et demandant quelques fois son chemin à des personnes, Tùpka traversa rues et ruelles, changeant progressivement de types de populations au fil des quartiers. Dans le quartier où elle finit, elle jugea bon de ne pas adresser la parole aux ijobiens autour, se faisant discrète et fermée. C'était sans aucun doute possible les bas-quartiers - même une enfant des bois comme elle put rapidement le comprendre. Elle resta sur ses gardes, pas très à l'aise mais ne le montrant pas.
Drôle d'endroit pour s'établir, pour un marchand.
Ou alors c'est qu'il est un peu téméraire.
Ou alors...
Elle arriva devant une petite mansarde délabrée. Elle était arrivée.
Elle prit une profonde inspiration, puis toqua à la porte massive. Des pas à l'intérieur se firent entendre et la porte s'ouvrit sur son grand-frère.
Il lui parut un peu plus maigre que la dernière fois qu'elle l'avait vu - peut-être n'étaient-ce que ses traits qui étaient devenus plus secs avec la fin de croissance. Même avec la barbe qui lui avait poussé, elle reconnut immédiatement cet éclat dans ses yeux bruns ainsi que ce sourire chaleureux qui dévoila ses dents.
- Tùpka !
Le grand gaillard offrit ses paumes et s'avança vers elle pour l'enserrer dans une forte étreinte. Elle se crispa un instant puis la lui rendit petit à petit.
Ça lui faisait du bien de le revoir.
Il finit par la libérer, gardant sa main fraternelle sur son épaule pour la guider.
- Le voyage s'est bien passé ? Entre donc.
Elle pénétra dans l'antre en acquiesçant vaguement à la question et remarqua une jeune femme assise sur un tabouret rustique. Cette dernière se leva et se dirigea vers la rousse, s'arrêtant à un mètre pour la scruter brièvement de bas en haut.
- Ainsi c'est donc toi la petite sœur dont Kraìjs n'arrête pas de me parler ! Enchantée : Vìadii.
S'ils avaient été d'en-dehors Ijoba, la dénommée Vìadii aurait probablement tendu sa main vers Tùpka, qui aurait observé ladite main tendue, puis Kraìjs, puis le visage de la dénommée Vìadii, puis de nouveau la main, puis elle aurait froncé un sourcil et le nez et serré avec méfiance la main. Elle fronça donc tout simplement sourcil et nez tout en se demandant sincèrement qui cette femme pouvait bien être, ne la lâchant pas des yeux. Vìadii avait un charmant sourire en coin.
- Cette maison est la mienne.... Ou plutôt la nôtre, maintenant. , annonça-t-elle en regardant en coin le brun, plaçant sa main sur son épaule.
Uh ? Kraìjs est avec quelqu'un ?
"Pourquoi ne me l'a-t-il pas dit dans ses lettres ?" , pensa Tùpka, à la fois contente pour lui et mécontente qu'il le lui ait caché - son instinct lui disait que ça ne datait pas de la veille. Kraìjs, devinant dans la mine mitigée de sa sœur ce qu'il s'y passait, leva les mains dans un geste d'innocent :
- Je voulais attendre qu'on se voie pour te l'annoncer.... Même si tu m'as doublé sur ce coup là dis, Vìadii.
- Ça, c'est parce que j'ai toujours un coup d'avance sur toi mon vieux. Tu peux poser tes affaires ici, Tùpka-chou.
..........
........................ Tùpka......... CHOU ? Elles ne sont pas encore copines à ce qu'elle sache ! C'est pas parce que son frère est son amant et qu'elle est plus âgée qu'elle qu'elle peut se permettre de lui donner des surnoms. Elles n'ont pas chassé les canards ensemble. Tùpka tira la tronche, sceptique.
La blonde amena un troisième tabouret et chacun s'assit, Tùpka observant discrètement son environnement.
- C'est elle, le marchand dont tu parlais dans tes lettres ? , fit la rouquine à son frère en désignant son hôtesse.
- Son père, plutôt. C'était avant qu'on emménage dans cette maison. , répondit-il en déposant des tasses de tisane sur la petite table.
- Même si j'ai en projet d'être moi-même marchande... Et même Grande Marchande, à vrai dire. , commenta l'intéressée en buvant une gorgée du breuvage.
Tùpka fit les yeux ronds. Elle a de l'ambition, et un objectif fixe. La blonde soupira.
- Enfin en attendant que ça arrive, je travaille occasionnellement aux ateliers de tissage.
- Ah oui ? Tu penses que tu pourrais m'y emmener pour que je voie ce qu'il en est ? , fit la rouquine en redressant la tête.
- Bien sûr.
Quelques secondes de gorgées.
- Et toi Kraìjs ? , demanda Tùpka.
Il tressauta imperceptiblement à la question.
- Moi ? J'effectue des travaux un peu à gauche et à droite...
C'est donc le plus volatile des deux. Tùpka espéra qu'il ne se reposait ou reposerait pas trop sur Vìadii.
La désillusion ne fut pas Vìadii, qui est réellement une femme géniale - Tùpka, à force de la découvrir, fut soulagée que son frère ne soit pas tombé sur une grognasse de vipère pourrie jusqu'à la moelle. Non. C'était plus de l'ordre matériel que social, au sujet de Kraìjs, comme elle ne tarda pas à le découvrir.
C'était un jour de marché, après avoir travaillé assez intensivement à l'atelier de tissage avec Vìadii.
Tùpka était profondément contente qu'elle ait accepté de l'y amener et qu'on l'ait acceptée, même si elle gardait une distance de méfiance au cas où la blonde chercherait à l'alourdir d'une dette de service. Ça la changeait du rejet perpétuel d'Aiski, mais être généreux gratuitement, ça ne peut pas être possible. Pourtant, on dirait que rendre service de la sorte à la jeune sœur de son compagnon lui paraissait normal.
Tùpka n'était pas trop habituée avec la gentillesse venant d'étrangers alors elle restait la plupart du temps mutique pour ne pas lui lancer des piques de défense trop blessantes. La blonde semblait s'y accommoder - peut-être a-t-elle eu un portrait semblable avec Kraìjs, au début. Quoi qu'il en soit, autant que possible, elle va essayer de rester à cet atelier pour faire le tour des différentes activités textiles histoire de voir si ça lui convient, et même au-delà de ça affiner sa maîtrise de la couture pour elle-même. Ça peut toujours être utile.
Alors qu'elle lorgnait sur les stands de nourriture tout en réfléchissant, elle aperçut un geste suspect non loin.
Un vol.
Personne d'autre qu'elle ne semblait avoir remarqué le larcin qui s'était effectué en toute discrétion. Boh, qu'est-ce qu'elle en a à foutre.
Sauf que cette silhouette lui disait fortement quelque chose.
Beaucoup, trop, fortement, quelque chose. Elle releva le regard. La silhouette disparut dans une ruelle.
Cette façon de se mouvoir... Tùpka fit la grimace, s'assombrissant. Elle espéra que son regard l'avait trompée.
.....
- Dis Kraìjs, c'est nouveau ce couteau ? , fit innocemment Tùpka après avoir avalé sa quatrième bouchée du dîner.
- Tu as l’œil... En effet, je l'ai acheté tout à l'heure : c'est mieux qu'un petit coutelas, pour cuisiner.
- Oh.
La rouquine ne dit rien d'autre du repas.
"Travaux à gauche et à droite ?..... Mon œil."
Que ses proches mentent aux autres, elle s'en fout, mais si c'est à elle, c'est en rogne que ça la fout. Elle toucherait deux-trois mots à son grand-frère, l'occasion venant. Son argumentaire se résumerait en deux points.
"Un : tu m'as déçue, deux : c'est pas comme ça que nous a élevé papa."
Peut-être que mentionner le paternel n'était pas une très bonne idée avec Kraìjs, après. Elle espérait que ce crétin ne volait pas régulièrement pour subvenir aux besoins de sa vie de couple. S'il se faisait prendre..... Hh. Et en même temps elle ne pouvait pas non plus vraiment le critiquer, elle-même n'étant pas vraiment une sainte - surtout quand on ne la regarde pas.
S'ils n'avaient pas un tel passif avec Aisiki, il aurait aisément pu y devenir un bon chasseur vu son agilité naturelle. La vie en a décidé autrement.
Tùpka resta environ trois ans à Isokan, faisant un peu le tour des différents métiers y existant. Se poser dans ce village fut l'occasion pour elle de découvrir d'autres philosophies sociétales qui l'inspirèrent autant que celles d'Aisiki, dans un autre registre. Elles différaient de la société actuelle et pour ça, Tùpka était curieuse de voir ce que donneraient l'une et l'autre s'il advenait qu'elles remplacent le fonctionnement actuel d'Ijoba. Ses tatouages s'élaborèrent au fil des années, au fil de ses avancées, au fil de ses pensées. Elle se lia avec le.a tatoueur.se, qui s'avérera en réalité être un.e informateur.rice infiltré.e de la Confrérie.
Elle écrivit régulièrement à son père mais n'eut pas vraiment l'occasion ni l'envie particulière de retourner à Aisiki. Il y avait de fait une dernière ville qu'il lui fallait explorer : Oluh.
C'est donc à 16 ouragans que la jeune femme autrefois surnommée la sorcière-gnome posa les pieds dans la capitale de l'île, sa chevelure rousse plus enflammée que jamais.
C'est aux ateliers royaux qu'elle découvrit le métier qui lui martèlerait les tympans pendant plusieurs années, ainsi que cellui qui serait son mentor pendant tout ce temps. C'était sa voie, elle le savait, celle du marteau. Elle ne le dirait pas, mais si elle est souvent peu certaine de ses capacités, de son instinct elle ne doute jamais (ou peu). Ne veut-elle après tout pas voir se forger une nouvelle société sur laquelle elle crache tant intérieurement ? Quoi de mieux pour extérioriser avec une précision à la fois brute et maniaque tous ses idéaux bouillonnant en arrière-plan ? La forge, évidemment.
Lea forgeron qui la prit son sous aile avait la particularité de maîtriser en plus la fonte de bâtons religieux - une part de Tùpka trouvait satisfaisant que les émissaires des dieux soient en quelque sorte dépendants de leur travail ainsi que de sa qualité.
C'est aussi à Oluh qu'elle gagna la balafre ornant dorénavant son nez d'un simple tatouage, mais elle ne démordit pas pour autant de son apprentissage, bien au contraire. Maintenant qu'elle était lancée, capacités ou non, il lui fallait se surpasser et avancer méticuleusement pour se démarquer de la masse d'artisans. Elle a bien l'intention de gérer sa propre forge, un jour. Les guerriers-chasseurs d'Aisiki l'auraient dans le cul eux aussi et surtout eux en fait, de dépendre d'elle. Elle imaginait bien Kodọw faire exorciser chez un prêtre ses armes fondues par une enfant maudit en récitant des prières à chaque fois qu'il les utilise.
Pas besoin de dire connards pour comprendre que le fait que son futur métier comporte cette vengeance bonus lui plaît particulièrement. Tùpka n'est clairement ni du genre à pardonner, ni du genre à oublier. Il ne faut pas prendre à la légère la hargne dont elle peut faire preuve... Elle est de longue haleine.
Le temps de son apprentissage, son mentor lui permet de loger dans une pièce à l'étage supérieur de la forge (c'est-y pas gentil). C'est pratique pour être parée dès l'aube, tiens.
L'Ouragan. El famoso. Celui qu'on attendait tous.
Pas besoin d'écrire des pavés pour dire que ce fut l'un des pires jours de Tùpka.
Ce jour-là, elle crut littéralement mourir sur place non pas de la fureur et des hurlements du déluge mais de la peur sans nom qui l'avait transpercée. Paralysée, tremblotante, paniquée, terrifiée, aucun mot n'est à la hauteur de ce qu'elle ressentit alors. Ah si, phobie. Cette chose qui pénètre dans notre corps pour le transformer en statue de glace sur le point de s'écrouler. Ce venin qui donne l'illusion cauchemardesque que notre dernière heure et venue, et sous la pire des formes. Ce verrou à l'esprit qui rend irrationnels les plus savants et fous les plus sages. Cette ombre qui s'incruste comme une tache de saleté dans ce qui nous constitue et dont on sue larmes et angoisses pour s'en débarrasser. Phobie. Ça te crève même les plus courageux quand ça les prend à la gorge.
D'une part il y eut ça, d'autre part tous les bâtiments n'eurent pas autant de chance que celui en pierre et donc plus solide de la forge. Tous les bâtiments, et tous les habitants non plus.
Les habitants...
Il y eut des pertes, à Aisiki aussi.
Eyẹrak en fit partie.
.....
Les restes de la hutte gisaient au sol comme les os d'un animal vaincu. Brisures de bois, fractures d'argile, éclats de meubles ; la terre avait déjà avalé le contenu des pots cassés. Des carnets du druide, ne restaient que ceux qu'on avait mis à sécher, mais l'encre avait coulé. Le sang aussi. Le ciel avait pleuré et crié son ire, le temps des pleurs et du deuil appartenait aux ijobiens, maintenant.
Les émeraudes de Tùpka étaient vides devant le spectacle d'un passé réduit à un monticule informe. Où sont passés les souvenirs d'enfance ? Le présent prenait place, sa dance macabre piétinant en fracas le cœur de la jeune rebelle. Le vide. C'est ce qu'on lisait, sur son visage. Le vide, et rien d'autre. Que faisait-elle là déjà ? Ah, oui. Elle s'était dépêchée vers Aisiki pour l'une des rares fois depuis son départ afin de vérifier que son père allait bien. Son père. Il suffit de franchir cette porte et elle le trouverait là, assis à sa table en train de préparer des potions.... pas vrai ? La porte.... La porte. Elle s'était avancée, dans sa tête, et sa main ne saisit que du vide.
Crac.
Il n'y a plus rien. Ha, oui, elle se souvenait du présent maintenant. Rien. Il ne restait, rien, que du vide, dans le présent. Il y a une absence. Où est Eyẹrak ? Assis à sa table en train de prépar- non. Non. Elle a vu.....
Elle a vu... Elle était revenue vers le cœur du village. Avait regardé. Des regards l'avaient regardée, aussi. Elle avait eu un mauvais pressentiment. Elle l'avait depuis la fin du sinistre, c'était d'ailleurs pourquoi elle était partie presque sur-le-champ.
Foutu instinct.
Elle avait marché, marché dans le village. L'angoisse avait monté, monté sur le chemin.
Elle s'était dirigée vers les soigneurs, soit le lieu le plus logique où aller lorsqu'on est blessé. Mais Eyẹrak va bien, pas vrai ? Il n'a aucune raison d'être là-bas. Il doit aller bien.
Elle avait vu... et touché. Des humains étaient debout, des humains étaient couchés. Les premiers bougeaient et les autres gisaient. Pile ou face. Les deux ignoraient l'apprentie dans tous les cas.
Elle marcha un moment, observa les visages.
S'arrêta.
Un haut-le-cœur compresse le diaphragme de la rouquine.
Son cœur fit miroir avec celui des gisants.
Le sang avait quitté le visage de la jeune fille.
....
Dans le camp des morts, reposait le corps de son père.
C'est là qu'elle s'était penchée et avait touché, effleuré.
Rêches et froides, qu'étaient ces mains qui l'avaient autrefois bercée.
Dures et pointues, qu'étaient les griffes qui avaient agrippé ses tripes, celles de la réalité.
........
Et devant elle s'engluait dans la terre les morceaux disparates de ses souvenirs, formant une ligne bizarre et discontinue d'une réalité éclatée.
Elle ne sentit pas les larmes couler de ses yeux. Elles paraissaient pourtant brûlantes, sur ses joues rafraîchies par le choc.
Elle aurait pu s'enraciner et rester plantée comme un chien de faïence sur le point de se fracasser.
Une main sur son épaule suffit à refaire fonctionner son cœur engourdi. Les mots qu'on lui dit lui parvinrent comme des clapotis à la surface de l'eau.
Son regard quitta lentement le sol pour se poser à hauteur d'homme sans point fixe, déconnecté.
Il fit une percée presque violente à la vision d'un individu, non loin, entouré de quelques autres. C'était quoi son nom déjà ? Dans ses souvenirs, il ne boitait pas..... Dans ses souvenirs.....
Kodọw.
... Pourquoi ce connard est en vie.
Des vestiges de sa maison d'enfance, la rousse au regard vide et sombre voyait le chasseur qui lui avait toujours foutu la frousse quand elle était môme, là, en train de zigzaguer entre les quelques autres débris du village. Sa béquille de fortune n'enlevait pas l'air droit et fier qu'elle lui avait toujours connu. Elle essuya ses joues d'un revers de bras ; la main sur son épaule disparut. Peut-être parce qu'il sentit son regard, le guerrier releva la tête vers elle.
Noisette et mousse croisèrent le fer.
Kodọw s'était figé, un instant.
Il reprit sa route, fuyant ces yeux verts, paraissant un peu plus pâle, un moment. Elle l'observa s'affairer au transport d'un baluchon d'ustensiles attaché à son épaule libre pendant que des bribes de conversation entre deux villageoises tannant des peaux venaient à ses oreilles.
- C'est vraiment terrible... , soupira lentement l'une d'elle, pâle. Elle avait besoin d'extérioriser.
- À ce qu'il paraît, Aisiki a été la moins touchée...
- Il y a tout de même eu des morts et des blessés... J'ai entendu les soigneurs dire que Kodọw allait garder des séquelles à la jambe... Il est probable qu'il ne puisse plus chasser comme avant, voire plus chasser du tout.
- Ce n'est pas le seul, malheureusement...
- Non... On l'a retrouvé sous les décombres de la hutte du vieux fou de druide, tu sais.... Eyẹrak. Certains disent qu'il est parti pour le mettre à l'abri avec les autres du village.
- Heureusement que certaines personnes ont été très réactives au niveau de la mise à l'abri. Notre position géographique et ces mesures spontanées ont probablement aidé à diminuer les dégâts.
- Hm-hm... C'est tout de même triste que ça se paye de la sorte, comme pour Kodọw.
- Les voies des dieux sont impénétrables pour des non-spirituels comme nous, j'imagine.
- D'ailleurs, n'ont-ils rien senti venir, les prêtres ?
- Je n'en sais rien... Tiens, il reste cette peau à tanner et le stock sera sauvé.
Une seule information était restée gravée dans l'esprit de Tùpka.
Kodọw avait été retrouvé sous les restes de la hutte de son père.
Elle ne croyait pas trop à cette histoire de sauvetage valeureux.
Elle s'était toujours méfiée de cet homme.
Cet homme avait été retrouvé sous les décombres de la hutte de son père. Père décédé. Superstitieux comme il est et voyant l'ouragan sévir chez les siens, qu'est-ce qui l'aurait empêché de faire en sorte que le chaman ne revoie plus la lumière du jour, éloignant par le même coup le mauvais œil qui avait visiblement porté malheur au village ? Peut-être que la forte présence d'Iku pendant le déluge n'avait été que la compensation de toutes les offrandes volées qu'étaient les enfants maudits. Et la façon dont le chasseur avait évité son regard.... Quelle interprétation autre que celle commençant à émerger dans ses jades pourrait prendre place ?
La jeune femme commença à se raccrocher à autre chose qu'à la peine qui l'avait totalement anesthésiée sur le coup. Elle renifla un coup. Son faciès changeait, se teintait d'un sentiment s'enracinant de plus en plus profondément dans son esprit. Il grandissait, lentement, à la fois chaotiquement et méthodiquement. Chaque pli dans son visage, chaque atome de son regard, petit à petit s'imprégnèrent d'une vibrance mauvaise. Une telle colère dans ses iris enflammés faisaient froid dans le dos. Plus que colère, la brûlure de son regard dur se transforma en haine pure. Elle fixait toujours Kodọw. Leurs yeux se croisèrent, de nouveau. Ceux de Tùpka communiquaient un seul message écrasant.
"C'est de ta faute, s'il est mort."
Elle serra les poings, les paires d'yeux ne se décollaient pas. Il y avait quelque chose de fascinant, pour un regard extérieur, d'observer ces pupilles se rétrécir en minuscule point aussi acéré qu'un coutelas. C'est comme si ses iris vert liquide maintenaient prisonniers ceux de l'adulte malgré les mètres les séparant.
Peut-être bien qu'elle était une sorcière, au final.
Ses jointures craquèrent. Avec un regard toujours terriblement intense, elle se détourna et s'enfonça dans les bois, plus sombre que jamais.
"Qu'Eke te maudisse et moi avec ; tu me le payeras."
Elle disparut dans l'ombre des arbres torturés par le vent.
Un poil égoïste quand même || Mauvaise dans le sens qu'elle a un côté très brigand || Hargneuse || Violente rancunière à ses jours || Débrouillarde, côté solitaire mais se découvrira aimer aussi former des petites bandes || Haineuse quant à la hiérarchie sociale d'Ijoba || Est attirée/intriguée par l'autarcie de la Confrérie des Ombres qui est la seule selon elle à tenir "franchement" tête au pouvoir tout en s'accrochant à ses principes - aussi pourris soient-ils || Infiltrée à la fois dans la Faction et dans les Érudits d'Imo pour voir si ce qu'ils proposent paraît mieux que la société actuelle - tout en sachant les risques encourus avec la Faction (c'est un peu une anarcho au fond, Tùpka) ||
Laisse croire qu'elle est extrêmement facile à influencer sauf que c'est archi faux, elle a l'esprit aussi critique qu'acéré, elle voit toujours où trouver du profit et renifle en général de loin les entourloupes || Impossible de dire si ses mots sont des coups de marteaux, d'aiguilles ou d'estocs brutaux || Doit gérer le contraste entre son côté très casanier et le plaisir qu'elle a à s'introduire là où elle ne devrait pas || N'aime pas être surveillée ou contrôlée ||
Être abandonnée à la naissance lui a laissé beaucoup d'amertume quant au sujet des parents malgré la personne qui les a recueillis, son frère adoptif et elle. Elle ne veut absolument pas de mômes. L'abandon à sa naissance a aussi participé à son côté méprisant envers les autres, surtout que les enfants recueillis sont considérés à Aisiki comme "maudits" car ils auraient en temps normal dû servir d'"offrande" aux dieux. Bref : même un peu inconsciemment, c'est un peu (beaucoup) une flippée niveau fornication. || Aabo : Ilera || Pousser de la pointe du pied quelqu'un dans une tombe qu'il se sera lui-même creusée fait partie de ses petites satisfactions || Derrière sa masculinité se trouve une féminité qu'elle a du mal à accepter ni à bien gérer ||
Fait de son mieux pour faire partie des meilleurs apprentis forgerons de sa génération et il est nul doute qu'elle est en bonne voie de surpasser des apprentis beaucoup plus âgés qu'elle || S'entend souvent mieux avec les bêtes sauvages qu'avec ses compères humains || Les orages la terrifient || N'a pas froid aux yeux || A une résistance étonnante à l'alcool || Chante comme une casserole.... Ne chante donc pas, tout simplement. Elle aime bien jouer de la percussion à l'occasion par contre... Peut-être que son apprentissage à la forge lui a appris à avoir un bon rythme de frappe ainsi qu'une bonne perception des résonances || Même si elle ne le montre absolument pas, elle reste une petite enfant au fond de son cœur || Championne de bras de fer à ses heures perdues ||
Gros manque de confiance en elle qu'elle comble avec sa brutalité et un acharnement insensé au travail || Globalement plus ou moins instable selon son humeur du jour || Se trimbale régulièrement une saleté de boule au ventre - faut dire que c'est pas super sain d'accumuler autant d'émotions comme elle le fait non plus, la poupette || Péché : l'envie, même si elle ne s'arrête pas à ça || A un faible pour la nourriture épicée || Au fond d'elle, elle serait presque terriblement ravie que les voyageurs foutent un bordel sans nom à Ijoba : ça montrerait toutes les failles du système actuel ou encore mieux en créerait. ||
Quand elle dit "Non" c'est "NON" || A la manie de ronger l'ongle de son pouce droit quand elle stresse et de mordiller le gauche quand elle réfléchit || Ses pupilles sont extrêmement sensibles à ses émotions - enfin c'est subtil, mais si on est observateur on finit par s'en rendre compte. || Il lui arrive d'avoir des moments d'absence quand on lui parle || S'est promise de s'aventurer un jour dans la Montagne. || S'est aussi promise de voguer un jour sur le territoire d'Okun. || Ouais, en fait, quasiment tous les trucs un peu dangereux et carrément déconseillés à Ijoba.
TAILLE : 1m68
CORPULENCE : T'as pas envie de lui chercher des noises, crois-moi.
CHEVEUX : Roux
YEUX : Verts
ORNEMENTS/MODIFS CORPORELLES : Δ Référence pour les tatouages
Note : le tatouage sur son nez n'est qu'un camouflage d'une cicatrice appartenant au passé.
STYLE VESTIMENTAIRE : Quelque chose de confortable, de pas cher mais qui dure longtemps, avec une petite touche personnelle pour que ce soit sympa. Chaussures d'Aisiki, le reste est plutôt dans le style Isokien. Ne va nulle part sans un marteau à sa ceinture et il n'est pas rare qu'elle se trimbale le bâton en bois de son père druide. Toujours à sa ceinture, on remarquera attachée une petite poupée de chiffon à la senteur d'acacia et de tilleul : c'est son porte-bonheur.
ODEUR : Un discret mélange de bois brûlé et d'amande.
VOIX : À la fois rêche et chaude.
AUTRE : Δ Référence visuelle globale
A de la corne plein les mains à force de travailler à la forge - mains qui sont d'ailleurs bouillantes H24 aux dires de celleux qui ont pu les toucher. Dommage qu'il n'y ait pas d'hiver à Ijoba !
Positionnement plutôt neutre/méfiant vis-à-vis des voyageurs.
CORPULENCE : T'as pas envie de lui chercher des noises, crois-moi.
CHEVEUX : Roux
YEUX : Verts
ORNEMENTS/MODIFS CORPORELLES : Δ Référence pour les tatouages
Note : le tatouage sur son nez n'est qu'un camouflage d'une cicatrice appartenant au passé.
STYLE VESTIMENTAIRE : Quelque chose de confortable, de pas cher mais qui dure longtemps, avec une petite touche personnelle pour que ce soit sympa. Chaussures d'Aisiki, le reste est plutôt dans le style Isokien. Ne va nulle part sans un marteau à sa ceinture et il n'est pas rare qu'elle se trimbale le bâton en bois de son père druide. Toujours à sa ceinture, on remarquera attachée une petite poupée de chiffon à la senteur d'acacia et de tilleul : c'est son porte-bonheur.
ODEUR : Un discret mélange de bois brûlé et d'amande.
VOIX : À la fois rêche et chaude.
AUTRE : Δ Référence visuelle globale
A de la corne plein les mains à force de travailler à la forge - mains qui sont d'ailleurs bouillantes H24 aux dires de celleux qui ont pu les toucher. Dommage qu'il n'y ait pas d'hiver à Ijoba !
Positionnement plutôt neutre/méfiant vis-à-vis des voyageurs.
Surnom Âge irl18 ans en Décembre