La petite rouquine bondit agilement en bas d'un amoncellement de racines, sans un bruit. Il faisait doux, ce jour-là, dans les bois. Quelques insectes semblables à des libellules voletaient dans un léger vrombissement luminescent parmi les végétaux scintillants de la bruine du matin. Le soleil perçait désormais à travers les arbres, ajoutant sa part de reflets dans les jeux de lumières de la forêt.
Et la petite avançait, arpentait en glissant entre les arbres, ombre aux allures de flamme. Ses yeux étaient à la recherche de quelque chose, mais ses pas étaient sûrs des chemins qu'ils empruntaient. Elle était concentrée dans sa tâche, les yeux froncés.

Un écureuil fila non loin, provoquant un concert de bruissements, quelques feuilles voletant dans sa trajectoire prudente.
L'enfant fit le tour d'un vénérable chêne, tendit l'oreille, mais ne perçut rien. Elle avait une petite dague à sa ceinture, dague offerte par son grand-frère à son anniversaire. Avec ça, rien ni personne ne cherchera à t'embêter.
Elle connaissait bien ce coin de la forêt, pas trop loin du village, mais ça la rassurait quand même d'avoir le petit couteau sur elle, au cas où.

C'était la première fois qu'Eyerak l'autorisait à aller chercher une plante toute seule dans les bois. Pas très loin, bien sûr, mais ça l'emplissait de fierté qu'il lui fasse confiance pour se débrouiller. Il lui avait pointé précisément l'endroit où elle trouverait la racine dont il a besoin pour un cataplasme ; Ça ne devrait pas te prendre plus de dix minutes. C'est là où nous sommes allés avant-hier.
Le druide les avait régulièrement emmenés dans la forêt pour qu'ils apprennent son schéma tortueux, donc au final ça revenait presque à aller chez le tanneur que d'aller cueillir du médicinal, pour eux.

Tùpka sauta de nouveau d'une espèce de tumulus, visualisant exactement le lieu où elle devait se rendre.

Des vibrations retentirent dans le sol.

Elle se redressa et tourna la tête. Ses pupilles grossirent d'un coup, et elle bondit en arrière.

Evitant de peu un jeune sanglier qui était sorti en furie d'un buisson.

Plus rapide qu'un chat et poussée par l'instinct de survie, la rouquine grimpa dans l'arbre contre lequel elle s'était appuyée, alerte.

Le sanglier n'avait même pas pris en compte sa présence, continuant de tracer.

.....

Son cœur battant désagréablement à ses tempes, elle se mit à observer son environnement, perchée comme elle l'était.

Ça n'est pas normal, un sanglier qui fonce comme ça, non ?

Accroupie sur sa branche et camouflée par le feuillage, la rouquine s'assura qu'un autre sanglier énervé ne déboulerait pas puis, s'aidant du tronc de l'arbre, bondit agilement au sol.
Marchant prudemment, elle remonta la piste jusqu'au buisson d'où avait surgi la bestiole, ne faisant aucun bruit. La curiosité était plus forte que la peur de tomber sur un prédateur féroce.

Cachée derrière quelques lianes, elle observa la superposition fraîche des empreintes de ce qui devait être un troupeau de sangliers, au sol. Le sanglier qu'elle avait vu appartenait certainement à ce dernier. Kraìjs lui avait appris qu'il fallait toujours être à l'affût du moindre détail, dans la forêt. Une griffure sur un tronc, de la mousse arrachée sur une roche : tous ces éléments indiquaient le passage des autres habitants des bois. Elle ne voyait pas la trace d'une bête à crocs pour l'instant.
L'enfant renifla l'air, se faisant toute petite derrière le buisson en partie amoché par le quadrupède, prenant son temps pour s'assurer qu'il n'y avait pas de danger ; jetant quelques fois des coups d'œil derrière elle aussi.
Elle raréfia son souffle, immobile et concentrée, analysant son environnement.

Ça ne sentait pas le fauve. Elle le savait, puisque la semaine dernière des chasseurs avaient ramené un puma - mort, bien sûr. Ça sentait fort, entre le vieux cuir et l'épicé. Une odeur qui ne s'oublie pas.
Si ce n'est pas un fauve qui les a faits détaler, alors quoi ?

Enfin, elle s'approcha assez pour autoriser ses yeux à se joindre à ses autres sens - juste au moment où une voix humaine sortait de l'autre côté du semi-rideau de lianes, assez fort pour qu'elle l'entende.

Assez fort pour qu'elle la reconnaisse vaguement, aussi. Mais c'est plus le visage qui lui parla, avec ses mèches blondes.

Il s'agissait de Saylen, étalé dans la boue avec ce qui fut certainement un arc.
C'est ce boulet qui vient de faire fuir tous ces sangliers ? Vu son arc ou ce qu'il en reste, il était probablement en train de chasser. Mais il s'était loupé, à l'évidence.

Kraìjs aurait réussi, lui. Cette pensée lui était venue avec un naturel et une touche d'orgueil fraternel convaincus. Elle observa d'un œil circonspect l'ami de son frère soupirer au ciel, toujours camouflée.

Comment s'était-il débrouillé pour louper son coup, lui qui paraissait si agile d'habitude ? Enfin... Agile, ça c'est Kraìjs qui le dit. Il doit probablement avoir raison (c'est son grand-frère après tout), mais c'est quand même bizarre qu'il ait fini dans une flaque de boue...
Il ne doit pas être très doué, au final.
En tout cas... Pas question qu'elle aille lui parler. Papa lui a donné une mission, et elle n'a pas de temps à...

... Schlouf ?

En faisant un pas en arrière, elle avait manqué de s'affaler sur le côté. Douée d'un bon sens de l'équilibre, elle battit brièvement des bras et redressa son buste en suspension ; sauf qu'elle avait quitté sa cachette et que des brindilles avaient craqué dans sa discrète manœuvre. Une des feuilles d'arbre parsemant sa chevelure tomba alors qu'elle zieutait placidement le blondinet, ses pupilles reprenant une grosseur normale après la chute qu'elle avait évitée.

....

Gnuh.

Trop tard pour se cacher de nouveau ; trop tard pour s'éclipser. Elle resta un moment à les observer, le garçon et le silence.


Elle n'aimait pas parler aux autres.
Ça la mettait trop mal à l'aise. Elle préférait se faire oublier...
Sauf qu'elle n'en avait pas l'occasion, là.

Kraìjs serait certainement allé voir son ami sur-le-champ pour voir s'il allait bien, mais, elle, elle ne le connaissait pas vraiment. Qui sait s'il n'était pas quelqu'un de méchant au fond ? Mais, est-ce que Kraìjs parlerait avec quelqu'un de méchant de son propre gré ?

Quand quelqu'un est blessé, il est de mon devoir de l'aider. Mais Papa est druide, et elle ne l'est pas.

Allez, va voir s'il va bien. De toute façon, tu es débusquée, alors autant assumer.
Papa ne serait pas content de savoir qu'elle avait abandonné quelqu'un du village derrière elle juste parce que lui parler la mettait mal à l'aise.

Elle avait trop l'habitude des mauvais regards et des vilaines ondes de quand elle apparaissait dans un groupe d'enfants ou d'adultes. Et s'il l'envoyait bouler ?

Pas très sûre d'elle, elle s'approcha puis s'accroupit en face du garçon embourbé.

- ......

.........

..........

Ne lui trouvant rien à dire, elle lui tendit sa petite main, son regard scrutant le sien. Elle finit par baisser les yeux au sol pour le fuir, par habitude.

- ...... Tu peux marcher ?

Si c'est bien un ami de son frère, il ne lui fera pas de mal.

Tùpka le dévisagea sans mot dire.
Mais oui. Tu as juste glissé.
Elle n'avait aucun intérêt à en parler aux autres, qu'il en soit rassuré. Puis... Même si elle l'avait critiqué un peu plus tôt, ce n'était qu'une maladresse, pas de quoi fouetter un chat. Ça pouvait arriver à n'importe qui... C'était débile qu'il en rougisse ainsi.
Par contre c'était vrai qu'il était sacrément crotté le garçon. La rouquine croisa les bras pendant que le blond s'asseyait et essayait de résoudre ce problème à l'aide de sa gourde.

- Hm-hm. , acquiesça-t-elle à tout.

Elle l'observa encore un moment en silence.
Lui aussi était tout seul... Elle l'aurait cru plutôt avec son père. De ce qu'elle avait vaguement compris de ce que lui avait dit Kraìjs, c'était assez compliqué pour lui, en ce moment. Peut-être qu'il avait justement prétexté d'aller chasser pour respirer un coup. Elle pouvait comprendre, si c'était le cas.
Elle le zieuta puis décroisa les bras et fit :

- Bouge pas. À mi-voix.

Elle le planta sur ces mots brefs et s'en fut derrière des broussailles pendant un moment.



Frshh, frshh.


Et en ressortit avec quelques feuilles d'Achillée-millefeuille dans sa poigne, sa tignasse de nouveau dérangée par quelques chutes d'arbres.

Elle s'arrêta juste en face de son aîné et le toisa calmement.

....
Elle parut mal à l'aise un court moment.

- Mets ça sur tes coupures.... Ça... arrêtera le saignement.

Tùpka lui tendit les feuilles.

Elle se sentait presque embarrassée... Elle n'avait pas l'habitude d'aider quelqu'un d'autre que sa famille. Il faut dire qu'autant les occasions que l'envie lui manquaient, avec les autres superstitieux du village. Mais... comme c'est un ami de son frère, et puis pendant qu'elle y était...

Elle se mit calmement en tailleur, fixant le sol.
Puis fixant Saylen de nouveau.

- ... Tu vas te faire gronder ?

Tùpka observe attentivement les gestes du blondinet, du regard acéré qu'ont certains animaux sauvages par nature. C'était calme et plus expressif que ça n'en avait l'air.
Elle avait du mal à détacher ses yeux des petites plaies du garçon ainsi que des reflets allant ternissant de la boue qui le maculait, ponctuée de feuilles morcelées. Elle s'absorbait dedans, dressant l'oreille aux dires de son interlocuteur. Elle reposa ses émeraudes sur son visage quand le nom de son frère ressortit.

...

Elle pencha légèrement la tête, se renfrognant un peu sous l'effet de la réflexion.

- ... Ce serait méchant. , finit-elle par marmonner.

Et Kraìjs n'est pas plus méchant grand-frère que méchant ami, pas vrai? Sa réflexion ne s'étendait pas plus loin, du moins le crûs-je.
Elle se gratta le cuir chevelu avec ses ongles un peu terreux, les yeux légèrement fuyants.

- Tu feras mieux la prochaine fois, c'est tout.

Il avait plutôt intérêt, de ce qu'elle avait compris.
Elle se leva lentement à son tour, le pied souple.

...

Elle posa son regard sur l'arc brisé. Une nouvelle fois, elle le détourna pour le placer plutôt sur les routes invisibles dessinées par les arbres et broussailles.
Elle avait bien une idée pour le rafistoler, mais ce n'étaient pas ses affaires. Se mêler des affaires des autres comportait toujours des risques. On peut avoir mal au bout du compte, et ça juste parce que les autres sont méchants. Saylen n'est peut-être pas méchant, mais son entourage peut l'être et lui faire du mal à elle.

- Tu sais comment rentrer ?

Ça, c'était quelque chose où elle pouvait aider sans avoir crainte de potentielles représailles. Elle s'arrangerait pour ne pas qu'on le voit avec elle quand ils arriveraient au village s'ils devaient faire le chemin ensemble, et voilà.
Elle avait accepté depuis un moment que le monde n'était pas forcément aussi bienveillant que son papa et l'univers de sa petite hutte qui sentait bon les herbes et la pommade.