Jamais je refais confiance à Lau pour nous orienter.

T’entends Nahu ? appuyé-je mentalement en lâchant mon poids contre le premier arbre que je vois. Nunca más confíes en Lau con las direcciones.*

J’aurais cru que passer trente minutes pour atteindre une boutique devant laquelle on est passé trois fois avant de la trouver me servirait de leçon. Et baaaaaaaah bah non.

Rho punaise mais mes jaaaaammmmmmbes ! Je finis par m’écrouler par terre comme une pile de caillou sur laquelle le vent a soufflé. Au moins je sens que mes muscles sont moins tirés comme ça. Aïe. C’est pas un tendon qui a fait SNAP là tout de suite ?

Je tourne la tête vers Lau, qui regarde intensément le bout de papier qui lui sert de carte, puis lève les yeux vers les arbres alentour en se grattant la tête.

– Uelito ? finit-il par dire.
– Mhm ? fais-je tout en essayant de chasser la douleur à coup de massage.

Je vois mon frère inspirer, expirer, puis pointer un endroit du doigt. Mon sang se glace. Oh non non non non non me dites pas qu’il y a un ours qui nous attaque et que— Euh h-hein, un-un singe ? Attendez il met quoi dans sa bouche là c’est rouge et… hé, mais ça ressemble pas aux cailloux qu’on a peints avec Lau pour marquer notre chemin avant d’aller essayer de chercher des feuilles de palmier pour réparer les toits ?

Je cligne des yeux.

C’est un des cailloux qu’on a peint avec Lau pour marquer notre chemin avant d’aller essayer de chercher des feuilles de palmier pour réparer les toits.

Puis mes yeux rencontrent celles du singe. Et regardez le petit gars m’envoyer le caillou dans la face avant de taper son meilleur sprint. Je crois voir ma vie défiler devant mes yeux, mais ça rate et l’objet se loge dans le feuillage derrière moi.

Je pose une main sur un cœur qui a fait trop de crescendos pour deux petits jours. J’ai vraiment cru que mon coeur allait s’arrêter ! Mais ça va, je respire encore. Lau vient s’assurer que je vais bien, puis il garde le silence qui veut dire “on est dans mierda mais je veux rien dire parce que c’est à moi de trouver une solution” tout en faisant des cercles autour des arbres.

– Ok, donc les singes ont brouillé notre chemin de base… Il réfléchit à voix haute. Oui, c’est pas bon signe. Pfff, c’est pas clair sur la carte. Est-ce que c’était plus vers le sud ou le sud-ouest ? Hmmm…

Je lève les yeux vers le ciel et soupire. Je peux pas lui en vouloir en vrai. Il pouvait pas deviner qu’on allait nous choper nos pierres, hein. Puis c’est moi qui ai insisté pour venir avec lui, donc bah comme d’hab, I brought this upon myself**. Ça se trouve, c’est moi le porte-malheur.

– Bon, il y a des traces de pas par ici. Tu viens ?

Bien sûr que j’ai même pas le temps d’essayer de me rendre utile. Rho et zut... Je me lève, les jambes qui tapent un peu moins fort. Ça va, je pense que mes tendons sont en place au final.

Je… Je suis content d’être avec mon frère. L’ouragan il… J’ai vraiment eu peur de pas le revoir. Donc je cache combien je suis flippé et j’avance. Sauf que je fais pas long-feu parce que j’ai l’impression que j’ai jamais vu le sentier sur lequel on s’aventure. Et que j’ai pas le meilleur pressentiment du monde.

– Lau ?
– Oui ?
– Dis et si c’était pas nos traces ou celles de quelqu’un du campement…

Mon frère se tourne vers moi, confus, mais il ne dit rien et ne bouge plus.

– Euh Lau ?
– Mais c’est…

Je tourne la tête vers la même direction que lui et y a un truc qui ressemble à… Une plaque de fer ? Peinte ? Et complètement usée ? Ecoutez c’est pas que j’ai jamais vu ça, mais au-delà du campement, j’ai vu 0 trace d’humains. Je frissonne.

– L-Lau ? On devrait pas se t-tirer d’ici ? fais-je à l’adresse de mon frère en le voyant aller inspecter la plaque comme il l’aurait fait avec une ancienne relique.

Je commence à marcher à reculons, ouvrant les yeux et les oreilles pour les moindres détails. J-j-je sais pas pourquoi c’est ici et ça se trouve cette île est hantée et g-g-genre je euh— AH !

Je trébuche sur un truc et c’est la dégringolade à reculons. Oh non non non non non ! Quand le monde arrête enfin de tourner et de retourner à toute allure, j’entends les cris affolés de mon frère. Sérieux Nahu, c’est qu’une petite descente dans une forêt, et tu réussis à te casser la figure dessus !

Je gémis en me saisissant l’épaule. Sincèrement, si je sors un jour de cette île, je suis pas sûr que ce sera en un seul morceau. Ouch ouch ouch…

Mais quand je dégage enfin la poussière et la boue de mon visage, je vois qu’il y a quelqu’un. C’est la fille avec les cheveux verts de sur le bateau. Je euh… Je connais pas son prénom, mais j’aime bien ses cheveux, donc je me suis souvenu d’elle. Sauf qu’elle... Elle a l'air d'avoir pleuré ou de retenir des larmes.

Je me débarrasse un peu de la crasse sur mes vêtements (merci aux feuilles pour la protection, sinon je ressemblerais à un Gollum-esprit-de-la-terre-dégueulasse), puis je marche vers elle. Mon épaule me lance, donc je garde une main dessus en essayant de pas geindre comme petit cousin Renato.

– Hé… Ça va ? demandé-je en levant la tête vers elle.

C’est moi ou… Il y a… un avion… un avion derrière elle ?

C’est euh c’est… c’est quoi ce truc au juste ? Non mais pourquoi y a un avion ici au juste ? Puis au vu de la mousse sur les ailes je me dis que ce truc a pas atterri en douce ici hier en fait. Aaaaaaaaehm c’est quoi c-cet espèce de ressort giga pointu s-sous l’aile droite ?

— Ah, oui... Tu crois qu'il faudrait aller fouiller ça ? Ca m'a l'air un peu dangereux...

J’avale ma salive giga lentement. “Un peu” fais-je à mi-voix.

C’est là que mon frère arrive en courant. Je pince les lèvres en préparation à l’avalanche de questions qui va me tomber dessus. Aussi parce que j’ai sacrément mal à l’épaule. Mais ça, faut pas lui dire.

— Uelito ? Roto nada ? Te duele en alguna parte ?* me demande-t-il en me faisant tourner comme un chien qui court après sa queue. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Tu as trébuché ?

Je me râcle la gorge, histoire de lui faire comprendre qu’il devrait peut-être dire bonjour à la fille. Et qu’on se tient devant une épave d’avion. Et que c’est genre dangereux comme truc. Et que GENRE J’AI PAS CINQ ANS ET Y A PLUS URGENT, LAU.

Mon frère lève enfin la tête vers la fille. Embarrassé, il me lâche enfin. “Ahem… Désolé, je m’inquiétais pour mon frère. Tu es du campement aussi, je pense ? Ça va ? Tu m’as l’air un peu secouée” Il lève la tête et je vois au blanc de ses yeux qu’il découvre à peine l’épave derrière. Nerveux, je serre la main sur mon épaule. Ça craint.

— Bon… J’imagine que toi aussi tu es perdue ?