Tu étais allongé à l'ombre dans ton hamac, un manga sur le visage pour te protéger de cette lumière qui ne convenait décidément pas au héros des ténèbres que tu étais. Un peu à l'écart du camp, tu fuyais ces maudites tâches ménagères qui te rappelaient un peu trop ta vie d'avant le naufrage - en plus chiant.

C'est-à-dire... c'est une chose, de devoir quitter son lit et son manga, d'enfiler une paire de chaussettes puis ses chaussures, de se lever difficilement, descendre laborieusement les escaliers menant à l'entrée pour saisir l'argent que te tendent tes darons, d'ouvrir la porte menant vers ce détestable extérieur, de faire un pas dans ledit extérieur, puis de t'avancer vers l'épicerie du coin la mort dans l'âme pour aller racheter une brique de lait parce que tu les bois toutes en un temps reccord (faut ce qu'il faut pour grandir). C'est une chose.

Mais c'en est une complètement différente de jouer aux survivalistes et de fouiller dans la forêt de quoi se nourrir. Tu veux dire, c'est sympa les noix de coco mais tu préfères de loin ton MacDo à 20h devant un bon shonen bien épique. Puis les héros n'ont pas à s'emmerder avec ce genre de tâches d'abord. Tu préférais laisser celles-ci aux spécialistes comme Alan par exemple. Toi, t'étais là pour préserver l'équilibre énergétique du camp, c'était déjà beaucoup ! Épuisant même. Tellement épuisant que tu t'ennuyais comme un rat mort à relire le même manga en boucle...

— Rooooooyyyyyy ?? Tu as trouvé les fruits que je t'ai demandé de cueillir ?

Tu t'étais automatiquement redressé de ton hamac à la voix grinçante de l'un de tes harceleurses attitré.e.s du camp. Une sale mamie à moustache qui t'avait tapé avec sa canne quand par erreur tu t'étais assis sur un gâteau qu'elle avait confectionné sur le bateau, il y a quelques semaines. Cette mégère était cuisinière. Elle ne te lâchait jamais quand l'heure du repas approchait ; cette saloperie tenait à ce que tu apportes ta part niveau manger. Un vrai poison cette vieille ! Et sa canne faisait mal... L'humiliation autant que la douleur te semblaient encore pulser dans ta chair !

Tu avais trop peur qu'elle ne te spotte dans ton coin tranquille, alors tu te pressas de t'en éloigner pour t'enfoncer dans la forêt. Plus vite tu trouverais ces fruits et plus vite elle te foutrait la paix. Dieu, tu la détestais ! Tu rêvais de lui arracher une de ses verrues faciales  pendant son sommeil par pure vengeance, des fois, mais tu ne voulais pas te mettre à dos tout le camp pour maltraitance envers une vioque. En attendant, c'était elle qui te maltraitait à te faire aller ci et là comme si t'étais son chien. Ce n'était pas digne de toi, enfin !

Tu ne savais même pas où trouver ses fruits à la con. T'espérais ne pas tomber sur une bête dangereuse ou une bestiole venimeuse en chemin. T'avais un caillou dans ta poche au cas où, mais quand même.




Après de longs instants de recherche infructueuse, j'entendis un éclat de voix.

... Quelqu'un serait-il en danger ?

J'allai dans la direction de là où ça avait gueulé.

Je tombai nez-à-nez avec...

...

C'est qui cette bombe ?

Je restai quelques instants à fixer la fille qui était étalée par terre.
Attend, depuis quand elle est au camp elle ? Je ne l'ai jamais remarquée. Je sentis un coup de chaleur passer par mon visage.

Puis, je me rappelai mon rôle de héros cool.
Je me redressai un peu plus, levai une main...

La passai dans l'arrière de mon crâne, où elle resta, tandis que je regardais sur le côté. Je parlai d'un ton désintéressé.

— Hm... you okay ?

L'ombre que mes mèches projetaient sur mon visage intensifiait cette aura de mystère et de ténèbres qui m'entourait, j'en étais certain.

.... oOOOOOKAY WOWOWO, C'ÉTAIT PAS DU TOUT PRÉVU ÇA ! D'où elle me chute dessus celle-là ?? J'ai même pas eu le temps d'activer mes super-pouvoirs pour pouvoir la soutenir !! Merde ! Tout se passe au ralenti... lentement... on tombe... tombe... tombe.

— oOF !

Je vais chialer... Elle est super lourde ! Je grognai de douleur.

D'ici bas, j'eus l'occasion de voir, perché à un arbre, un singe. Il nous fixait avec ses espèces de yeux gros comme des balles de ping-pong XL, ses dents dévoilées presque involontairement en un sourire moqueur. Sauf que lorsqu'un singe sourit, c'est pas parce qu'il est content mais qu'il est stressé comme un rat mort, je l'ai lu dans un manga ! Non... En plissant des yeux, je vis... QU'ENTRE SES CROCS ACÉRÉS, IL TENAIT....

... Ah. C'était ça ses "lu" à la nana.
En effet. Le singe tenait des lunettes. Il les mordillait même. Je pointai mon index vers le haut avec une légère grimace.

— Ces lunettes ?

Message subliminal : stp tu peux arrêter de me broyer les os et te lever fiss...
ATTEND.
MAIS.
Elle est... elle est sur moi. En fait.

............ OH MON DIEU, ELLE EST SUR MOI !!

Je sentis le danger monter en même temps que le rouge à mes joues.

NON !! Ce n'est pas sérieux ?! Mon destin de héros de shonen est en train de....


Hors de question. Cela ne peut pas arriver. JE NE LAISSERAI PAS SE FAIRE CECI !
Hors de question que mon futur de héros se transforme en un de ces shojos ridicules enfin !
Je puisai dans l'énergie ténébreuse de mon ventre pour faire remonter mon torse futurement musculeux, le dos exécrablement douloureux mais, ceci, je pouvais bien l'endurer, en tant que héros. Le singe commença à s'agiter tranquillement et se gratta le cul tout en continuant de manipuler les pauvres lunettes.

Je devins rouge tomate et eus des sueurs froides. Elle... euh... Cou... Euh..... AAAAH..... EUUUUUUUUUUUH...................
Je me sentis tomber dans les pommes à mon tour.

MAIS JE ME RETINS !! Enfin, un héros, ça ne s'évanouit pas comme ça. Non.
Un héros, ça se relève, et ça va accomplir la mission qu'on lui a donné.
Je pris donc une profonde inspiration.

La mine d'un piment flamboyant, je m'appuyai sur mes paumes pour me redresser lentement. Je plaçai les bras de la fille s... sur mes épaules. Puis j-je pris ses genoux, et...

Réussite critique.

Je nous relevai tous les deux avec force, la portant.
L'espace d'un instant, j'eus vraiment l'air d'un héros.

Celui d'après, mes faibles bras me lâchèrent tout d'un coup et je faillis lâcher la fille et tomber à genoux. Dans un grognement douloureux, je redressai le cou vers l'arrière pour résister à la gravité du sol.

Putain c'est lourd un corps humain !!

À pas lourds et lents, je me dirigeai laborieusement vers un arbre. J'y adossai la fille puis lâchai - sinon elle se serait cassée la gueule en arrière !

- J... Je m'en occupe.

C'est quoi ce ton tremblotant de fatigue ?? On recommence !
Les yeux ténébreux, je soufflai avec une sérieuse classe :

- Bouge pas.

Ma main quitta le tronc et je m'éloignai.
Ok, donc en gros je devais m'occuper à moi seul d'une espèce de bande de singes délinquants.... Fastoche...
Je pris une grande inspiration et me craquai les jointures des doigts avec un sourire sombre.

- À nous d- AÏE !

Putain mais ça fait mal de se craquer les poings comme ça !! Pourquoi ils font ça les héros à chaque fois ? Ils sont dingues !!
Je me tins les mains avec une grande pls mentale et le profond regret d'avoir fait ça. Puis je me redressai et passai une main dans mes cheveux.

Allez, en route.