C'est fou comme il parlait beaucoup ce gamin. Il suffisait qu'il pose des questions pour avoir toutes les réponses – et plus – dont il avait besoin. Toutefois, il était quand même assez curieux de savoir dans quel genre de société avait évolué le gamin pour se sentir aussi facilement indigne. Il n'avait pas une haute estime de lui-même. Ça avait tendance à gonfler Genzo de voir des gamins incapables d'avoir la moindre ambition. Avec une estime comme ça il aurait fini par ramasser des navets dans un champs à Hokkaido putain, ou entretenir le jardin des grands-mère du quartier. Sans déconner, il fallait le secouer ce petit gosse là, sinon on allait pas s'en sortir et il se prendra pour l'équivalent d'une huître toute sa vie !

« Aneki. Tu remplaces le Ni par Ne. » C'est pas pour ça qu'il devait pas lui répondre mais merde. « Qui est-ce que tu comptes appeler comme ça ? Une dame importante pour toi ? »

Le gamin était donc un sculpteur, c'était pas une mauvaise chose. On pouvait faire pleins de choses incroyables avec un talent comme ça : il aurait pu devenir un mec même assez riche si... S'il vivait pas sur une île paumée au milieu de nul part et si son estime de soi allait plus haut qu'un trou de lapin. Et un trou de lapin, ça creuse. Heureusement, il semblait y avoir de l'espoir. Il avait annoncé qu'il utilisait les couleurs avec une vague de fierté. Ça fit sourire le yakuza. Voilà, là, il avait un gosse de 15-17 ans capable de faire des trucs, pas une carpette.

Haaa... Il prit l’avalanche de questions avec un petit sourire amusé. Finalement, il voyait l'adolescent se détendre et devenir de plus en plus ouvert à la discussion. Il relâcha doucement le poisson tout en regardant le gamin curieux. Il y avait quelque chose à faire de lui. Avec un peu plus de temps, il aurait pu lui montrer d'autres façons de vivre, de défendre ce qui lui tenait à cœur et abattre ses cartes au bon moment. Il lui faisait ressortir un côté paternel, merde. Sugar daddy, dégage.

« Dans la forêt donc ? » Il se redressa avec force. « Je suis assez motivé pour te suivre encore deux ou trois heures. Ne t'inquiète pas. »

De toutes façons, les gardes finiraient par le porter s'il s'évanouissait non ? Il pouvait bien aller palper les limites. Enfin, soit il le portait, soit il le laissait là, soit il crevait. Au final, tout lui allait, même si la seconde option lui allait mieux par ce qu'il pourrait reprendre une vie calme en dehors du palais sur le long terme. Il fallait pas rêver toutefois. En tout cas, il était prêt à suivre le gamin. Évidemment, il continuait la conversation.

« Ouaip, ma tribu me ressemble, mais on est aussi très différent, on a tous vécu dans des îles différentes, des fois très grandes, des fois très petites. On s'est retrouvé ensemble et on a décidé de faire ce qu'on pouvait pour vivre. Et vous ? Raconte moi comment c'est pour toi. »

D'un certain côté, Genzo espéra qu'elle le prendrait bien par ce que ça venait quand même du cœur du gamin, mais de l'autre, il resta très réaliste et envisagea parfaitement qu'elle l'envoie chier d'avoir parler avec un étranger comme lui. Il était quasiment un envahisseur de toutes façons. Un peu plus, un peu moins, il fallait bien avouer que s'il le pouvait, il propulserait directement Esteban en tant que Roi, se positionnant tranquillement en arrière pour ça. Il laissa ses mains s'étendre vers le haut, étirant tout son dos.

Sans le vouloir, un large bâillement s'étira de ses lèvres. Merde, il devait tenir. Il sourit doucement. Il avait l'habitude de se sentir dans des situations critiques, mais celle-ci, elle était au niveau des pires de sa vie. Sans déconner, dans un jeu de survie, il ne lui resterait même pas trois minutes de survie. Mais il devait tenir, pour l'alcool de baie putain. Elle allait se faire tellement plus rapidement que l'autre... Il lâcha un soupir ensuite, devant sa vision, de petites étoiles venaient de passer. Peu importe, allait, on avance le vieux !

« Y a pas de quoi Karah. »

Il se rendit compte que par automatisme il avait rattrapé ses chaussures et les avait mis au pied. P'tain, il faisait des trucs comme ça, sans même réfléchir, de pire en pire. L'adulte avait vraiment l'air de se perdre dans un léger monde. Il se mordit violemment la lèvre pour se produire un micro-électrochoc et rester sur terre.

« Tu commerces tes sculptures du coup ? C'est sympa... Vous échangez quoi les uns contre les autres du coup ? Vous avez de l'argent ou c'est que des biens ? »

Malheureusement, Genzo ne pouvait qu'observer autours de lui. Il plissa un peu les yeux et s'y concentra un peu plus. Son souffle se fit plus long et il serrait les poings pour rester correctement présent. Il se gardait bien en tête le paysage. Chacun de ses pas étaient mémoriser, bien plus que tout le reste de sa journée. Il ne savait même pas ce qu'il allait faire ensuite. Il se mit à prier qu'on allait le laisser tranquille une fois ramené au palais.

Il fallait vraiment pas qu'il se fasse brutaliser, il se ferait casser en deux en fait... Quoi que, ça pouvait créer du pathos sur leur situation ? Mais est-ce qu'il avait vraiment envie d'avoir mal et de servir de martyr putain ? … Bon ok, oui, ça serait pratique. Mais de l'autre côté, il était HS là.

« Dit... Karah... Qu'est-ce que tu penses des étrangers comme nous ? D'où tu penses qu'on vient ? »

Cette question était purement par curiosité. Seulement, elle pouvait amener à beaucoup d'autres.  

Des coquillages donc. Il considérait les coquillages comme un monnaie probable mais le troc était toujours le plus important pour eux. Bien, il était doué dans ce genre d'échanges, il adorait discuter de ça avec tout le monde. Certains disaient que sa famille avait ça dans le sang, lui il pensait que c'était l'éducation. Il avait toujours dût réfléchir à comment tout obtenir chez lui. Une fois son père lui avait même fait payer le repas, il avait dût trouver de l'argent à 7 ans. C'était comme ça qu'était né son habitude à tout marchander et à avoir le plus vite possible de quoi à être en sécurité. Il n'oubliait pas non plus à quel point ce genre de chose pouvait coûter aux autres. Il passa une main dans ses cheveux.

Il pensait à des trucs pas très gais, et pas gay genre un mec gay, ni la lettre G, non plus comme le fait d'être content tout ça. Son cerveau devenait de plus en plus pété, c'était ridicule. Putain, il avait honte de penser comme ça. Il continua de suivre Karah malgré son état de plus en plus médiocre. Il sourit encore en écoutant le gamin. Au final, la vérité sort toujours de la bouche des enfants hein ?

« T'as raison Karah, il y a des bons et des méchants partout. Pourtant tes sûrs de pouvoir lire à travers les lignes de personne que t'as jamais vu avant ? Tes confrères sont logiques dans le fait d'avoir peur... Mais toi, t'as choisi la voie d'un petit sage qui laissa sa chance à tous. Tu vas finir par te faire bouffer si tu te laisses trop faire. Défends toi. »

Des mecs comme moi pourraient profiter de toi et faire de mauvaise chose. Ils pourraient par exemple profiter de ta gentillesse sans même chercher à savoir si leurs actions te mettraient pas dans la merde alors que c'est eux qui sont en faute. Ils chercheraient pas à t'aider tu sais ? Il voulait pas t'aider à la base, il voulait trouver de quoi à se torcher et torcher sa fratrie.

« T'sais... Mon peuple réparait des objets en faisant couler du métal chaud là où les vases et les bols se brisaient. Ça coûtait cher, entre temps, on s'est dit que la colle c'est moche mais moins cher. »

Il pouffa. Il s'accrocha à l'arbre à côté de lui et continua à avancer derrière Karah.

« Comment vous comptez le temps ? » Il en posait des questions. « Est-ce que vous vous mariez ? »

Genz' se demandait quand cet enfant allait finir par se rendre compte qu'il était beau et qu'il pouvait sûrement gagner plus qu'il ne le pensait en jouant de ça pour vendre. Après, sa douceur pouvait aussi amener des clients. Il soupira et se gratta la tête. Il ne devait pas penser à ça. S'il avait un jour l'occasion pourquoi pas en parler avec lui, mais pour le moment, il devait plutôt penser à lui. Le garçon continuait d'avancer tout en parlant. Il était plutôt satisfait de sa propre vitesse malgré sa fatigue carrément pathétique.

Il haussa un sourcil quand il entendit parler des ouragans. Oulah, attendez, ça veut dire que c'était à ce point courant sur cette île ? Le gamin devant lui devait avoir quoi, entre quinze et vingt ans. Il fronça les sourcils, son œil le regardait avec une inquiétude non dissimulée. Il pensa au nombre de ses compères qui pouvaient se retrouver dans la merde très vite si c'était le cas. Putain, il allait devoir y  vivre dans ce connard de palais de merde c'est ça ? Si c'était le cas, il fallait vraiment qu'ils en prennent le contrôle, ça allait pas être possible.

« Combien d'Ouragan as-tu vécu Karah ? »

Sans que cela ne se voit vraiment, il avait une forme de crainte dans le fond. Il n'était pas idiot, il savait parfaitement ce que voulait dire vivre sur une île perdue avec une population native qui n'avait jamais vu le monde extérieur. D'ailleurs est-ce que c'était vraiment le cas ça aussi ? Crook avait bien dût venir ici une autre fois non ? Puis ce phare... Sans parler de ce passage. Il y avait quelque chose qui n'allait pas dans tout ça. Il sentait l'aiguille sous roche. Trop de choses clochaient. Il avait bien vu un phare, un phare contemporain non ? Pourquoi alors les autres monuments étaient aussi vieux ? Il s'arrêta de penser à ce supposé saut dans le temps et se concentra de nouveau sur Karah. La fatigue le faisait délirer.

« Oh putain... Elles sont là. » Il regarda le buisson et sourit grandement. Il s'abaissa et en prit une entre ses mains. Il sourit puis la mangea. Elle était toujours aussi bonne et le goût lui faisait toujours autant de bien. « Merci Karah. C'est génial. » Maintenant il allait pouvoir retrouver d'autres buissons comme ça.

Il se redressa calmement et lui fit un petit sourire de travers :

« Bon, je devrai pas tarder à m'évanouir, tu as un endroit à me conseiller pour m'endormir ? » Le tact, mes amis, le tact.

L'ancien yakuza hocha simplement la tête quand il lui parla. Dix-neuf ans donc...Il y avait vraiment un cyclone par an ou alors il avait un ralentissement de croissance. Il eut la tête qui tourne. Son objectif accompli et comme il s'y attendait, il était en train de s'effondrer. Il lâcha un rire nerveux et un poil amer. Il était bien un mec de la ville tiens, il tenait pas grand chose une fois mis en pleine nature avec des personnes plus performantes que lui. Il avança malgré tout derrière le garçon.

Seulement à peine eut-il vu une clairière qu'il ne put se retenir, tout son corps s'échoua en avant. Il se retient au dernier moment et mit une main sur l'épaule de Karah. Il lâcha un soupir pour se calmer, pour essayer de ne pas partir dans un pseudo moment de folie. Il se sentait partir si fort que ça lui fit mal.

« Merci... Désolé... »

Cette fois, il ne put rien retenir. Il chuta contre Karah. Sa main ne réussit pas l'exploit de le retenir. Il était clairement pas dans un état tolérable, même pour lui. Putain. Il lâcha un autre rire avant que sa vision passe au blanc. Sans le vouloir il marmonna un truc incompréhensible. Il se sentit encore plus partir, Karah le gérait comme il pouvait. Malheureusement Genzo ne pouvait plus rien faire. Il n'eut aucun souvenir du moment où les gardes le récupérèrent, ni comment ils le firent. La seule chose qu'il savait, c'est qu'arrivé au palais, il lui fallut quelques jours avant de totalement récupérer. Il remercia sa mémoire d'être toujours aussi bonne...

Il avait bien retenu tout ce que Karah lui avait appris. Et il lui en avait appris des choses. Il ne put s'empêcher de rire seul, une fois remis en forme.