D’un geste rageur, Lenorian trancha une énième fougère. Elle n’en pouvait plus de ces plantes, de la forêt, et de sa maudite curiosité. Telle Indiana Jones - bien qu’elle ne connaisse pas cette référence -, elle enchaînait les coups de machette plus ou moins précis dans les créations d’Iseda - que la déesse lui pardonne - pour progresser.

Quelques heures auparavant, la marchande avait franchi la porte. Le plus dur n’avait pas été d’éviter le camp de gardes. Grâce à la catastrophe, les effectifs avaient été diminués, car les soldats œuvraient à présent à la reconstruction et à la sécurisation des villages et des routes, face aux pilleurs qui profitaient de la situation pour s’en mettre plein les poches.

Lenorian éternua pour la énième fois. Par Sode, qu’elle détestait la nature. Elle aurait peut-être mieux fait de rester dans sa boutique, de couler des jours dans sa villa en reconstruction, comme une maîtresse de maison normale le ferait. Mais Lenorian est trop intriguée et trop attirée par un éventuel gain pour couler des jours tranquilles à Isokan ou au palais en attendant que la reine prenne une décision.

Elle adore la reine, mais quand celle-ci l’a regardée de haut en insinuant que la marchande n’avait rien d’une aventurière ou d’une exploratrice, celle-ci s’est sentie tellement outrée qu’elle a décidé de prouver au monde - même à ce sagouin de Nashoba - qu’elle était capable de survivre en pleine nature.

Elle avait donc dévalisé son propre magasin à la recherche de l’équipement adéquat, avant de se mettre en route vers cette terre inconnue.

Mais quelle terre ?

Une fois à l’extérieur des montagnes, après une traversée étonnement longue de la porte, elle s’était retrouvée à nouveau engloutie par la jungle, à tel point qu’elle s’était à plusieurs reprises demandée si Kadara ne se fichait pas d’elle et la faisait tourner en rond comme une bourrique. Mais ça, c’était jusqu’à tomber sur un objet étrange. Brillant au soleil, il avait attiré son regard alors qu’il était bien caché dans les hautes herbes. D’aspect cylindrique et de couleur argentée, Lenorian ne sait absolument pas ce que l’objet - une boîte de conserve - est. Elle a bien essayé de s’en faire un chapeau, avant de se dire qu’au vu de la taille, ce serait un couvre-chef dérisoire, d’autant plus que son aspect métallique rappelle les armes et les plaques d’armures.

Sans comprendre, elle l’a cependant embarqué dans une besace en peau tout en cherchant d’éventuels objets étranges.

Une chose cependant était sûre : quelqu’un d’autre était venu ici, à moins que les dieux n’aient envoyé cet objet frapper le sol pour que la marchande le découvre… mais puisqu’elle n’avait aucune illumination divine concernant son utilité, elle opta plutôt pour la première option.

Par la suite, elle fut bien incapable de suivre la moindre trace de vie. Certes, elle avait suivi la formation commune à tous les Ijọbiens, mais elle était bien lointaine à la marchande qui vivait depuis un certain temps dans l’absence totale de nécessité. A présent, si elle commençait à se fier à ses maigres souvenirs et à son instinct, elle risquait plus de tomber directement sur une tanière d’ours que de suivre les traces d’un éventuel humain.

Mais que cherchait-elle, exactement ?

Elle-même n’en était pas sûre. Bien loin d’imaginer que d’autres personnes pouvaient avoir élu domicile dans cette partie sauvage de l’île, elle s’attendait plutôt à tomber sur des carrières vierges de toute exploitations, des trésors naturels et des richesses encore visible à l’œil nu, car elle serait la première à poser ses yeux dessus.

Mais jamais, ô grand jamais, elle n’avait envisagé la possibilité de tomber nez à nez avec quelqu’un.

C’est pour cela qu’à la nuit tombée, alors que Lenorian s’apprêtait à dresser son maigre campement, elle failli faire une crise cardiaque en entendant le craquement distinct d’une branche sous un pied - ou une patte. Brandissant sa torche en direction - ou pas - du son, un frisson glacé de terreur lui a parcouru l’échine.

Malgré sa crainte, palpable, elle parvint tout de même à articuler quelques mots, tentant de hausser la voix d'un ton assuré - échec total.

— Qu- qui va là ? Par Orun, présentez-vous ou…

Ou quoi d’ailleurs ? Lenorian n’en avait aucune fichue idée et avait bien l’impression d’avoir signé son arrêt de mort en venant de ce côté de l’île, priant les dieux pour qu’ils lui laissent voir l’aube de ses yeux bien vivants afin qu'elle puisse ensuite faire demi-tour pour retrouver vite fait, bien fait, sa villa et son bain.

— Ou vous êtes mort.

Ton mal assuré, lance brandie avec un tremblement incontrôlable, Lenorian pria cependant pour que qu'il s'agisse d'un animal - inoffensif si possible - pour que personne ne puisse témoigner de son incapacité à se défendre seule, quitte à ce qu'elle doive donner sa vie à un ours ou un loup pour préserver ce secret.