La rouquine zieuta son partenaire de galère mais ne s'arrêta pas dans sa recherche, marteau en main. Un passage la fit tilter et étira un rictus aigre au coin de ses lèvres.
Nous sommes des animaux.
La rouquine laissa passer cette pensée piquée pour se concentrer de nouveau sur sa tâche, la mine renfrognée mais déterminée. Elle marqua tout de même une pause pour jeter un nouveau coup d'œil à l'ours.e puis de nouveau à Yeux-bleus. Mais son ventre ne semblait pas gonflé, alors les doutes inséminés par l'hypothèse du jeune homme se firent balayer. Tùpka grogna, se remettant à sa traque sonore.

- Son ou ses petits sont déjà sortis de son ventre depuis un moment. Aide-moi plutôt à trouver où ils ont été enfermés par les salopards d'humains qui ont pensé bon de les capturer et de les amener ici pour les vendre.

Elle avait parlé bien plus calmement qu'elle ne l'aurait pensé, surtout dans une situation aussi tendue. Peut-être parce que ce garçon avait des probabilités plus élevées que la moyenne à ce qu'elle ressente du respect pour lui. Peut-être parce qu'elle préférait préserver le peu de temps qu'ils avaient à trouver ce que cherchait l'ursidé plutôt que de cracher injustement du venin.
Pourtant, Iseda savait combien la colère bouillait dans ses tripes, sa haine pour ses semblables l'alimentant par salves de lave destructrice.

C'est dans ce genre de moments qu'elle se sentirait presque de tuer de ses propres mains quelques ordures à face humaine.
Et après, c'est à cause de ce genre de merdures que d'autres âmes innocentes sont trucidées par les siens. Putain, c'est beau, l'humain.
Qu'est-ce qu'elle donnerait pour ne plus être rangée dans la catégorie homo sapiens, bien qu'elle ne connaisse pas ces termes scientifiques.

Elle passa à l'étale d'un marchand de fourrures, s'activant rapidement. Après tout, même Kraìjs l'avait reconnu : en traque, elle se débrouillait plutôt bien. Peut-être pas autant que cette ourse qui avait bravé les frontières de la civilisation humaine pour retrouver sa descendance, mais quand même...

- Si tu trouves la caisse dans laquelle il est enfermé, appelle-moi et je viendrai la défoncer. Dépêchons. , gronda-t-elle d'une voix plus rauque que d'habitude. Le marteau dans sa main était équivoque.

Pendant qu'elle cherchait, elle balayait continuellement toute la place marchande de ses yeux acérés, les sens aux aguets.

Tic, tac, tic, tac

Akako était impitoyable.

Tùpka était contente, quelque part, d'avoir un allié aussi déterminé. Elle espérait que leurs efforts à deux suffiraient pour retrouver l'enfant ours et de les guider à l'extérieur de la cité, lui et et sa mère. Seule, elle ne pensait pas qu'elle aurait même une chance d'y arriver dans les temps impartis. Elle était plutôt en froid avec les dieux sur certains points, mais elle se mit à penser que Yeux-bleus et elle étaient peut-être destinés à s'associer pour sauver cette ourse et sa descendance.

La rouquine serra les dents et se concentra, tendant l'oreille, reniflant l'air sec de la place, s'activant. Elle avait la désagréable sensation que les battements de son cœur étaient de paire avec le temps qui s'écoulait, impitoyable.

- Okay.

Elle s'approcha de la caisse qu'avait repérée le jeune homme, marteau toujours en main.

Oreille collée contre ladite caisse, elle entendit à son tour des grattements.

Comme il l'avait dit, ça pouvait tout aussi bien être une poule qui les aurait faits. Tùpka s'attarda encore quelques précieuses petites secondes.
Elle crut entendre un petit gémissement.

Dans le doute... Mieux vaut dégommer cette caisse. Si elle s'était trompée, elle rembourserait éventuellement le marchand à qui elle appartenait. Ou prendrait alors ses jambes à son cou.

La forgeronne se mit donc à détruire la boîte, s'aidant de son marteau et ignorant les échardes qui tailladaient ses mains, féroce presque dans ses gestes.

Un pelage brun apparut entre les brèches.

Les gémissements se faisaient plus sonores, n'étant plus étouffés par la caisse comme ils l'avaient été.

- Kaligẹd ! Je l'ai trouvé ! Ou plutôt : il l'avait trouvé, et elle était en train de le libérer. Détourne l'attention de la mère pendant que je le libère ! Se faire déchirer le dos par les griffes de la mère anxieuse ne serait pas pour l'arranger.

Le cœur frappant sa poitrine comme son marteau qui broyait le bois de la caisse, Tùpka se déchaîna, efficace, arrachant les morceaux de la prison du petit en veillant à ne pas le blesser dans la manœuvre.

Enfin, il fut libre.

JE VAIS LE BUTER CE PUTAIN DE GARDE DE MES OVAI-

Non. Non. Ce n'était pas le plus urgent, à cet instant.
Le plus urgent, c'était de détourner l'attention de l'ourse et d'éviter qu'il n'y ait des blessés. La forgeronne trucida le garde coupable d'un regard incendiaire, lui communiquant par là-même la promesse qu'il payerait pour ça. Cher.
L'animal était désormais furax.

Je n'aurais pas dû relâcher mon attention.
Parce qu'elle avait vu l'ourse et son petit réunis, elle avait cru que tout était réglé. Sauf que l'être humain ne fonctionne pas comme ça ; non, il faut toujours qu'un putain d'ego vienne foutre la merde quelque part. Et voilà, elle sut ce qu'il fallait faire même si elle en avait absolument aucune envie.

Elle prit à son tour un bout de bois et, avec la force surprenante de son bras, l'envoya sur la tête de l'ourse.

Tunk.

- HEY SAC DE POILS ! OUI... OUI, C'EST À TOI QUE JE CAUSE !

Son cri résonna comme un grondement féroce.

- RAMÈNE TON CUL !!

Alliant la force de sa voix rêche avec l'agressivité de son action, de ses paroles et de ses gesticulations, l'attention du prédateur lui était désormais toute réservée.
La rouquine déglutit, se demanda ce qu'elle foutait au juste - elle n'est pas une justicière bordel, au contraire, que les humains disparaissent et ce serait génial - mais continua néanmoins.

- QUOI...? T'AS LES CHOCOTTES, C'EST ÇA ?

Un nouveau copeau de bois avait trouvé place dans sa main.
Putain, je sens que je vais regretter ça, je sens que je vais le regretter...
Comme son cousin, il cogna contre l'épaisse fourrure de l'ursidé.

- VIENS ME CHERCHER GROS PATAPOUF !

C'était plus qu'il n'en fallait pour concentrer sa fureur sur un seul individu.
Tùpka n'hésita pas et prit immédiatement ses jambes à son cou, l'animal écumant de rage à ses trousses.

- Kaligẹd !

Ce n'était pas un appel à l'aide mais plutôt un appel à rejoindre l'opération de la façon la plus utile que le puisse le jeune homme.

Il fallait : 1) faire sortir ce duo d'animaux et : 2) ne pas y laisser sa peau.

C'est ce qui arrive, quand on vend la peau de l'ours avant de l'avoir jerté.

Et ils se retrouvèrent à deux, à courir dans la même rue, avec un ours enragé aux trousses. Tùpka ne jeta que de brefs coups d'oeil en arrière, se concentrant sur ce qui se trouvait devant eux et activant toute sa connaissance des moindres recoins de la ville en vue de guider l'ourse hors de son sein. Heureusement que les gardes avaient bien fait leur boulot quant à l'évacuation des rues... Salopards de merde. Elle serra les dents et les poings, donnant plus de vigueur à ses foulées pour maintenir la distance avec l'animal écumant de rage. Une œillade à droite l'informa sur la suite du plan.
Okay. Elle pensait voir par où passer, mais...

- Il faut qu'on se sépare ! Occupe-toi de l'ourson, je vais guider la mère vers la sortie ouest ! À côté de la laiterie !

Elle s'arrêta deux secondes pour lui permettre de se barrer et émit un sifflement perçant. Son souffle était ras mais elle avait encore de quoi mener à bien sa mission.

- Hey ! Par ici !!

Et détala dans la petite rue à sa droite, où elle serait assurément bien plus à l'aise dans ses mouvements que l'ursidé.
Elle n'avait pas envie de prier les dieux, mais elle pria sa bonne étoile pour qu'elle ne finisse pas avec un morceau de tête en moins face à ce dangereux prédateur qui désormais la talonnait.