Oula, même s’il dit le contraire, il a l’air de s’être amoché en tombant… Je lance un regard inquiet à Genzo. On dirait que son épaule a pris cher. Mince, en plus avoir un bras en vrac, c’est vraiment pas le truc pratique dans notre situation… Comment on va faire pour ressortir du phare s’il peut pas faire de grimpette ? … Tu me diras, je peux toujours le porter. Si tant est que ça froisse pas son égo, je connais tout un tas de gars dans le gang qui préféreraient se laisser mourir dans un coin que d’accepter que je les porte. C’est bien la peine d’avoir des muscles, c’est moi qui vous le dis ! En plus, quand j’étais gamine, je rêvais d’être le prince dans les contes de fées, celui qui sauve la situation et qui porte la princesse dans ses bras pour la sortir d’un bâtiment en feu, avec des explosions en fond et une musique qui fait « POUINN POUIIIN ». … Oui, je rêvais d’être Dwayne Johnson. Ou Tom Cruise. Ça dépend lequel est le mieux payé.
Après m’être assurée que Genzo tiendra le coup, je me tourne vers la porte. Bon, à nous deux. Je saisis la poignée. Elle me reste dans la main alors que la porte s’écroule.
Ah.
C’est vraiment pas solide ces machins ! Je lance un regard désabusé à Genzo :

« Tu m’étonnes qu’ils aient foutu une table devant, j’ai rarement vu une porte aussi peu efficace ! En tout cas, si on rencontre bip bip, je veux un autographe. »

Genre, on lui fera mettre sa papatte dans euh… un truc liquide coloré puis on le fera appuyer sur une feuille random. Et je l’accrocherais dans ma chambre quand on rentrera. La plus grande célébrité que j’ai jamais rencontrée, c’est un gars qui avait fait figurant pour Pulp Fiction. J’ai dû lui casser le nez parce qu’il refusait de nous rendre l’argent qu’il avait emprunté pour acheter sa came. J’ai toujours son autographe au dessus de ma télé, sur un mouchoir en papier avec des grosses taches de sang ! Que de bons souvenirs.
En tout cas, je dois dire que je suis déçue quand je vois ce qu’il se cachait derrière la porte. Pas de calamars géants, pas de squelette, pas de joueurs de poker, pas même un petit portail vers une autre dimension.. Je fais la moue. Pourquoi mettre une table pour empêcher de sortir des boîtes de conserve ? Est-ce qu’elles sont hantées ? Est-ce que dedans, y a des petits esprits malins et malveillants ? Hmm.. Genzo me demande de m’occuper des casiers et je hoche la tête. Si c’est aussi solide que la porte, ça devrait pas être bien compliqué.

Alors qu’il s’avance dans la pièce, je me tourne, vise la fenêtre par laquelle on est entrés, puis effectue un superbe lancer de poignée. Celle-ci finit sa course dehors, très loin, sans un bruit. Si je la retrouve en sortant, je la garderai en souvenir de cette porte qui m’a appris qu’il faudrait jamais se rendre dans les lieux qu’on porte haut dans nos espoirs. Comme quand on dit qu’il faut jamais rencontrer ses héros.

Je rentre ensuite dans la pièce en me dirigeant vers les casiers. En vrai, j’aurais préféré m’occuper de la bouffe, voir si elle était encore comestible, quitte à tester, mais je comprends qu’on m’assigne aux casiers. Avec son bras défoncé, Genzo va pas vraiment pouvoir user de la force si besoin est.

« Bon, alors, à nous deux. »

Je me penche et commence par simplement tirer sur les portes, sans succès. C’est bien rouillé. Je donne ensuite un petit coup de poing dans l’une d’entre elles. Ça ne bouge pas. Humm… Je saisis finalement l’un des casiers pour le soulever et le secouer, dans de grands bruits métalliques. Ben merde alors, c’est bien coincé ! Alors que je lève le casier au dessus de ma tête, mon regard est attiré par une languette au plafond. On dirait ces trucs dans les films qui permettent d’ouvrir les escaliers des greniers.

« Y a un truc là-haut ! »

Euh, bon… les casiers ou la languette ? J’hésite quelques instants, secoue à nouveau le casier qui reste imperméablement fermé. Le plus simple, ce serait quand même de le balancer depuis la fenêtre pour voir s’il s’ouvre avec la chute. Je pourrais aussi le lancer contre un mur, mais vu comme tout est solide ici, c’est un coup à faire s’écrouler le phare… Je repose le casier, plus loin, puis m’occupe de dégager l’accès à la languette en poussant les autres Ensuite, je saute en tendant la main aussi loin que possible. Une fois. Deux fois. Nop. C’est trop haut.

« Hum… Je vais te faire la courte échelle, et toi tu tires dessus, d’acc ? »

Sans attendre sa réponse, je mets un genou à terre et croise les doigts pour lui faire un appui solide. Je peux pas atteindre la languette seule et lui peut pas me faire la courte échelle, alors c’est la seule solution. Toute façon, maintenant qu’on est là, on peut pas repartir en ayant fait les choses à moitié. Même si on trouve pas d’extra-terrestres ou de monstres géants, faut quand même qu’on arrive à découvrir si c’est Crook qui vivait là et ce qu’il y foutait.

« T’inquiète, les fillettes de 4 ans, ça me connaît ! J’ai ETE une fillette de 4 ans ! »

C’est chaud hein ? J’ai été dans la catégorie des êtres les moins à même de se défendre, il y a longtemps. Sauf qu’à l’époque je mordais déjà et j’avais déjà failli rendre aveugle un de mes petits camarades avec un crayon. J’ai très vite compris que dans la vie, les gens font moins chier quand ils ont peur de perdre un œil. Pire encore quand ils risquent de perdre la face ! Que de la gueule ces petits pères, c’est moi qui vous le dis ! Parce que Genzo et moi, on fait partie de ces gens qui ont pas la trouille. La preuve, il l’a déjà perdu son œil ! Et son habilité à faire des clins d’œil qui est pourtant très importante quand on veut draguer des petites mamies à la caisse pour qu’elles nous achètent un paquet de bonbons. Véridique.
En tous les cas, quand Genzo me dit de le faire sauter, je me fais pas prier.

« Ho hisse la saucisse ! »

…
Attendez, est-ce qu’il vient de m’appeler Lilo ? … Est-ce que c’est un petit surnom mignon ? Comme pepette ou dude ? Moi ça me fait penser à la gamine qui fait du vaudou dans ce fameux Disney avec un extra-terrestre. Tout ce dont je me rappelle, c’est qu’elle était fan d’Elvis Presley. Le gars qui est mort sur les toilettes.
Vous imaginez, être un des plus grands chanteurs de tous les temps, et finir sur les chiottes ? C’est vraiment une fin de merde ! Une fin de… vous avez compris… ?
…
Bref.
Je lève les yeux vers la trappe par laquelle Genzo est passée.

« J’vais trouver un moyen de monter ! J’arrive ! »

Je regarde autour de moi, où les meubles en bois me regardent en retour. Ouais, à en juger par la solidité du bois ici, c’est vraiment pas l’idéal. Je finis par aviser les casiers et en traîne un sous la trappe, sur le flanc. Puis j’en empile un autre dessus. Ma tour à deux étages est brinquebalante, pour pas dire qu’elle penche sacrément, mais ça devra faire l’affaire. Puis, en tendant les bras pour garder l’équilibre, je grimpe dessus. Voiiiilà. Non, on se casse pas la gueule. Ça va le faire. Pliant les genoux, je me donne du ressort pour sauter et attraper le bord de la trappe. Les casiers se cassent la figure dans un bordel sonore qui briserait les oreilles les plus fragiles. Alors que je me hisse à l’étage du dessus, la première chose que j’aperçois, c’est le coffre.
C’est un peu un instinct familial, voyez. Quand y a un truc où potentiellement, on peut avoir du pognon, notre radar se déclenche. Comme les cochons qui repèrent des truffes, les Andersons sont des cochons qui repèrent le fric.

« Un coffre ! Genzo, y a un coffre !!! »

Je me retrouve bientôt à quatre pattes sur le sol de l’étage supérieur. Là seulement, j’aperçois le bureau sous lequel se trouve le coffre, mais ça éveille franchement pas mon intérêt de la même manière.

« Ah shoot, je savais que j’aurais dû apprendre à ouvrir les coffres, mon frère le disait tout le temps ! Ça peut servir, imagine tu cambrioles une banque demain ?  Mais moi, tu penses bien, j’lui ai dit que non, j’allais pas cambrioler une banque demain, parce que j’avais autre chose à foutre, comme cuisiner des patates et acheter un porté clé Sailor Moon pour mes clés de moto. Punaise si j’avais su, Sailor Moon aurait attendu ! »

Ceci étant dit, je suis très fière de ce porte-clé. Mais ça empêche pas que personnellement je sais pas comment ouvrir ce coffre. Je sais bien déverrouiller des serrures avec des épingles à cheveux, mais c’est pas du tout le même genre de délire.

« Tu crois que tu peux l’ouvrir ? »

Je me relève en époussetant mes genoux couverts de toile d’araignée et de poussières. Puis j’avise la télévision. Mon coeur fait un bond, surtout quand je vois les cassettes à côté :

« Pokémon !!! »

C’est presque aussi précieux que le coffre. Et en attendant que Genzo s’en occupe, je peux bien m’intéresser à ça, non ? Je saisis la première cassette qui vient :

« C’est les premiers épisodes ! C’est carrément les meilleurs ! »

L’idée me vient de me poser là, de foutre la cassette dans le lecteur et de prendre une boîte de conserve en regardant ces petits fragments de mon enfance à la télé. Ça serait peut-être abuser, non… ? Avec un petit soupire, je repose la cassette et pose les mains sur mes hanches en examinant les lieux.

« Il devait se mettre bien le gars qui vivait ici, avec ses bouteilles et ses dessins animés, la mer en fond. C’est carrément le paradis. Pourquoi il s’est tiré ? Il en a eu marre de vivre seul ou bien… c’était plus tordu que ça… ? »

Pokémon, c’était quand même la vie à l’époque. Y avait rien de mieux que se foutre devant un épisode en revenant de l’école avec un donut. Bon, c’est vrai que le donut je l’invente, y avait rarement ce genre de trucs à la maison, mais déjà on avait la télé pour regarder Pokémon, et c’était pas mal, quand même ! Moi j’en demandais pas beaucoup plus. Surtout quand ma mère était en train de s’engueuler avec son mec du moment dans la cuisine. Les deux sont bizarrement associés dans ma tête :
Pikachu attaque tonnerre sur…
Vraiment un sale con !
Quand ma mère était célibataire, elle venait regarder avec moi en buvant de la vodka. Je me souviendrais toujours de la fois où elle a balancé son verre sur la télévision en disant que c’était que des conneries, et que la mère de Sasha avait de la chance de se taper M. Mime, parce qu’au moins il l’ouvrait pas. Et en plus elle avait réussi à se débarrasser de son gamin en l’envoyant chercher des pokémons. Ensuite elle m’a demandé si je voulais pas attraper des chats errants et elle m’a foutue dehors avec dix dollars et trois pansements. Mike était furax quand il m’a retrouvée, deux pâtés de maisons plus loin, mais j’avais pas réussi à attraper un seul chat. Bizarrement, attraper des trucs c’est beaucoup moins facile quand on a pas de pokéballs. Surtout quand on a sept ans.

Je lance un regard à Genzo, qui s’affaire sur le coffre. Il a l’air de savoir ce qu’il fait, ce qui est plus que ce que je peux moi-même dire. Tous ces trucs bizarres, ça me passe au dessus de la tête et j’ai l’impression d’être dans un escape game dont on m’aurait pas expliqué les règles. Je me demande au fond, si tout ça, c’est pas un truc orchestré par Crook, ou quelque chose de plus grand, genre une caméra cachée dont on serait les pigeons. Je jette des petits coups d’oeil autour de moi, histoire de repérer d’éventuellement micro-caméras. Est-ce que je m’en rendrais seulement compte ?

« Si mademoiselle veut bien ouvrir son coffre ~ »

Je laisse échapper un « iiiih » de joie et toutes mes pensées s’évanouissent alors que je m’approche du coffre.

« T’es vraiment le plus fort, Genzo !!! »

Dire qu’il a réussi à l’ouvrir comme ça ! Juste à la précision et l’agilité de ses mains ! C’est vraiment super impressionnant et j’en suis un peu bouche bée. Toute excitée, je prends une longue inspiration avant d’ouvrir le coffre. À nous le fric et les… les peluches ?
Hein ?
Perplexe, je tends la main vers la peluche Pikachu pour la prendre. Des peluches.

« Uh. »

C’est bien la dernière chose à laquelle je m’attendais. Pikachu me regarde de ses petits yeux noirs. Ça a jamais été mon favori, pour être honnête, j’ai toujours préféré, de loin, Meowth avec sa dégaine de gangster. Mais bon, il est quand même mignon, avec son petit air de rat jaune.

« On dirait que t’as été beaucoup aimé. »

Assez pour être mis dans un coffre verrouillé, mais pas assez pour être emporté. Hum. Son propriétaire avait peut-être l’intention de revenir, mais ça ne s’est jamais fait, et vu l’état du phare, ça va être compliqué maintenant.

« Je t’embarque avec moi. »

Si je le laisse là, il est condamné, c’est certain. Et je veux pas avoir la mort d’un Pikachu sur la conscience ! De son côté, l’extra-terrestre me fait les yeux doux. Il est moche, ça c’est clair, et dans d’autres circonstances, j’aurais pas envisagé de le prendre.

« Je peux pas abandonner l’alien comme ça, pas vrai ? Il va pas mourir tout seul sinon, c’est trop triste ! »

Alors je tends le bras et je récupère l’extra-terrestre aussi. Ça serait pas humain que de le laisser là, et beaucoup trop cruel, surtout de le séparer de son pote Pikachu. Il se ferait royalement chier en attendant la fin. Je remarque néanmoins une inscription sur son derrière et lance à Genzo :

« Oh, t’as vu ? Y a écrit Area 51 sur son cul ! »

Est-ce qu’il a été acheté là-bas ? Ou bien c’est juste là, comme ça, pour le trip, parce que c’est un extra-terrestre ? Je me demande quand même ce qu’ils foutaient là, ces deux-là. C’est quand même pas des trucs à mettre dans un coffre, de toute évidence le type qui les a foutus là avait pas très bien compris le principe. Ou alors c’était ce qu’il avait de plus précieux. Les peluches de son gamin décédé ?
J’avise la photographie qui se trouvait en dessous d’eux :

« C’est quoi ? Euh.. ou plutôt, c’est qui ? »